Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes. Créateur du World Air Transport Forum et de l’APG, il rappelle, dans cette tribune, la grande diversité d'activités qu'implique le transport aérien... Et la grande diversité de statuts qui lui fait écho.
Le lundi 10 mars le transport aérien allemand a été presque totalement paralysé suite à une grève massive des salariés au sol dans les aéroports organisée par le puissant syndicat Ver.di. C’est ainsi, par exemple? que l’aéroport de Berlin a été totalement fermé, que Francfort était dans l’incapacité d’assurer les correspondances, que Munich et Hambourg ont été eux aussi très perturbés. Au total, 3.400 vols ont dû être annulés et 500.000 passagers n’ont pas pu voyager. L’objet de ce conflit social est d’obtenir une revalorisation des rémunérations pour l’ensemble des employés de ce secteur. Ils sont, dans ce pays, 28.000 répartis en une grande variété de métiers dont finalement chacun peut bloquer une activité dont on ne dira jamais assez la complexité.
Les pilotes au sommet d’une pyramide rigide
En effet, dans le transport aérien, une forte hiérarchie s’est établie au fil du temps entre ces différentes activités. Tout en haut de la pyramide, sont les pilotes. Ils sont les mieux rémunérés, les plus considérés, et les plus choyés par les compagnies. Ils sont également puissamment syndiqués et sont capables de tenir des conflits sociaux de longue durée largement soutenus par leurs organisations syndicales. Ils ont toujours gagné leurs bras de fer avec les directions des compagnies. Pour tout dire, ils sont un peu, de par leur capacité de nuisance, le cauchemar des directions.
Juste derrière, sont les navigants commerciaux. Eux aussi sont bien représentés par leurs syndicats. Par contre, il est plus facile de former un PNC (Personnel Navigant Commercial) qu’un pilote ou PNT (Personnel Navigant Technique). Alors, certains transporteurs, et en particulier les low costs, ont tendance à les surexploiter en sachant que contrairement aux pilotes, ils sont aisément remplaçables.
Mais les navigants ne peuvent assurer seuls l’exploitation du transport aérien. Il faut toute une infrastructure complexe au sol pour faire voler les avions en toute sécurité. Il y a toute la partie technique et opérationnelle indispensable pour assurer les fonctions de commercialisation, de maintenance, voire de sécurité. On se rappelle encore des blocages des aéroports lors des grèves de pompiers. Mais ces employés sont tout de même très correctement payés.
Et puis, une partie importante des fonctions aéroportuaires est souvent confiée à des sous-traitants choisis sur des critères économiques, en clair : parce qu’ils sont les moins chers. La conséquence est qu’ils ne peuvent pas payer leurs salariés à un niveau proche des rémunérations appliquées à ceux des grands groupes aéronautiques. Or, eux aussi sont indispensables et même si leurs capacités de nuisance sont infiniment inférieures à celles des salariés très protégés, comme les contrôleurs aériens, ils sont tout de même capables de montrer leur présence. C’est ce qu’ils ont fait en Allemagne.
Ceux qu’on ne voit pas ou qui ne peuvent se faire entendre
Citons-en quelques exemples, sans être certain de couvrir la grande variété des métiers. Prenons les agents d’enregistrement. Beaucoup d’entre eux appartiennent à des sous-traitants. Leur statut n’est pas reconnu et ils ne bénéficient pas des facilités de transport dont leurs homologues salariés des compagnies peuvent profiter. Ils travaillent en horaires décalés, souvent coupés par de très longues pauses non rémunérées et ils subissent, comme d’ailleurs leurs collègues salariés des compagnies, les mauvaises humeurs de passagers dont certains, heureusement en petit nombre, sont carrément odieux. Dans la chaîne d’exploitation, on trouve les bagagistes. Personne ne les voit mais les passagers sont bien contents de retrouver leurs valises sur les tapis bagages à leur arrivée. Ils travaillent dehors par tous les temps et à tous les horaires.
Les passagers doivent ensuite passer par les PIFs (Postes d’Inspection Filtrage) servis eux aussi presque uniquement par des sociétés sous-traitantes. Ils subissent eux aussi les mauvaises humeurs de clients excédés par une démarche qui ne leur semble pas toujours utile et parfois trop tatillonne, d’autant plus que les procédures ne sont pas homogènes entre les aéroports et parfois même entre les terminaux d’un même aéroport.
Et puis il y a les employés du nettoyage des appareils. Ils ne disposent que d’une trentaine de minutes pour réaménager complètement une cabine. On ne les voit jamais, eux non plus, mais ils font cependant un métier tout à fait honorable à des horaires très variables. On n’imagine pas dans quel état les passagers peuvent parfois laisser leur place. On pourrait ajouter les chauffeurs des bus qui sont une composante très importante de la ponctualité opérationnelle et qui doivent savoir manœuvrer leurs engins au milieu du trafic aérien ou les avitailleurs sans lesquels les appareils n’auraient pas de carburant.
J’en oublie certainement, mais je pense à eux chaque fois que je prends un vol et je suis toujours admiratif lorsque les portes de l’appareil sont fermées à l’heure et que les cales sont enlevées à temps pour que l’appareil puisse respecter son horaire.