Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes. Créateur du World Air Transport Forum et de l’APG, il se demande quel saut technologique permettra d'atteindre la neutralité carbone de l'aérien en 2050.
Guillaume Faury, CEO d’Airbus, l’a indiqué dès le début de cette année : dans l’état actuel, la décarbonation du transport aérien pour 2050 est un leurre. Voilà au moins une vérité bonne à entendre surtout lorsqu’elle vient d’une autorité incontestée. Ce n’est d’ailleurs qu’une preuve d’honnêteté. Comment arriver à la neutralité carbone alors que les quelques 18.000 appareils actuellement en commande seront livrés à cadence de 1.500 à 2.000 par an à partir de 2027 au mieux ? Cela amène une fin de livraison 15 ans plus tard soit après 2040 alors que ces avions auront une durée de vie de plus de 20 ans !
Le tout sans compter sur les nouvelles commandes qui ne manqueront pas d’arriver et peut-être de s’accélérer sous la pression d’une demande de transport aérien croissante en provenance des pays asiatiques, sud-américains et africains. Bien sûr, on parle beaucoup du carburant miracle - le SAF (Sustainable Aviation Fuel), mais on ne sait pas comment produire les quantités nécessaires et on n’est même pas certains qu’il sera, en fin de compte, réellement neutre en carbone.
Pour atteindre l’objectif, il faudra non seulement de nombreuses améliorations techniques qui ne manqueront pas de se produire avec des moteurs sans cesse plus performants, des matériaux nouveaux, plus résistants et plus légers, et très probablement une refonte de la navigation aérienne dont les fondamentaux datent maintenant de plus d’un demi-siècle. Mais il faudra bien arriver à un véritable saut technologique qui permettra de construire des appareils et d’exploiter un transport aérien non polluant. Ce n’est pas gagné.
Accélération
Si on reprend les véritables sauts technologiques passés on peut néanmoins considérer qu’ils n’ont de cesse de s’accélérer car chacun d’eux amène des connaissances qui, elles-mêmes, permettront de nouvelles avancées. Sans remonter à la préhistoire avec la domestication du feu ni à l’antiquité et le Principe d’Archimède, la découverte de l’imprimerie par Gutenberg au milieu du 15ème siècle, puis la machine à vapeur de Denis Papin en 1698, le métier à filer de Richard Arkwright en 1769, les grandes découvertes se sont sans cesse rapprochées.
Il a fallu deux siècles pour passer la machine à vapeur de Denis Papin aux premières automobiles à la toute fin du 19ème siècle, mais entre le premier vol des frères Wright le 17 décembre 1903 et la mise en service régulier des premiers Boeing 747 quadriréacteurs de 500 places à la fin de 1969, seulement 67 années se sont écoulées et pourtant, quel progrès en si peu de temps !
Alors pourquoi cette accélération formidable des avancées technologiques ne se produirait-elle pas dans le transport aérien ? Le Solar Impulse, initié et largement piloté par Bertrand Piccard, a bouclé son tour du monde avec une propulsion entièrement fournie par l’énergie solaire le 23 juillet 2016. Alors, est-on si loin de la maîtrise des vols aériens sans consommation d’énergie fossile ? Certes, dans l’état des connaissances, cela paraît impossible, mais qui aurait parié, en 1902, que 50 ans plus tard, des passagers traverseraient les océans à bord d’appareils très confortables ?
Des milliers de milliards de dollars
Faisons le pari que le saut technologique se produira probablement plus tôt qu’on ne pourrait le penser avec l’utilisation de l’intelligence artificielle et les capacités quasi infinies des ordinateurs et des puces électroniques.
Je ne suis pas technicien et je ne sais pas par où et comment cette avancée va se produire, mais je suis bien certain qu’elle se fera car les enjeux économiques et sociologiques sont trop importants pour que cela ne se fasse pas. La nouvelle propulsion sera-telle électrique, à hydrogène voire atomique ? Je n’en sais rien. En revanche, nous pouvons être certains que ces développements vont coûter un argent colossal. Probablement plusieurs milliers de milliards de dollars. Il faudra bien les payer et mieux ne vaut pas faire confiance aux gouvernements, plus attentifs à leur avenir électoral et donc plus enclins à soutenir, au moins pour le moment, les modes de transport alternatifs à l’aérien.
Il est urgent que tous les acteurs du transport aérien, depuis les constructeurs jusqu’aux distributeurs que sont les agents de voyages en passant par les compagnies aériennes et les aéroports se mettent ensemble pour créer et abonder un énorme fonds d’investissement nécessaire à soutenir la recherche.
