Tribune JL Baroux – Aérien : Turbulences par temps troublés

563

Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes. Créateur du World Air Transport Forum et de l’APG, il fait le point sur les grandes tendances observées dans l'aérien alors que les perspectives de reprise sont incertaines.

Le monde a beaucoup de peine à retrouver une sérénité qui l’a quittée depuis 2 ans, c’est-à-dire au début des effets pervers liés à la pandémie. Rappelons si besoin qu’entre la fin février et la fin mars 2020, le trafic aérien s’est effondré de 90%. On se demande encore par quel miracle ce désastre n’a pas réussi à faire disparaitre toutes les compagnies aériennes.

Reconnaissons le support majeur octroyé par les Etats et la capacité de résilience des opérateurs qui ont dû consentir de considérables efforts de restructuration. Mais pendant cette si délicate traversée du désert, les acteurs ne sont pas restés inactifs. Et les grandes manœuvres n’ont pas cessé dans le transport aérien.

Les constructeurs repartis en avant

Les deux principaux : Airbus et Boeing ont même engrangé des commandes en nombre inattendu entrainant d’ailleurs d’importantes tensions dans les chaines d’approvisionnement. Certes Boeing ne s’est pas encore complètement remis des déboires liés à ses deux modèles majeurs : le B737 Max et la dernière version du B777. La précédente gouvernance a privilégié les résultats économiques aux contraintes de fiabilité. Le constructeur américain l’a payé très cher et n’a d’ailleurs pas fini de solder l’addition. Mais le B737 Max est de nouveau en opération et même Ethiopian Airlines, l’un des transporteurs victimes des défauts de l’appareil, a remis en service la version avalisée par la FAA.

Airbus est reparti sur les chapeaux de roue. Il ne faudrait cependant pas que le constructeur européen cède à une certaine arrogance. On a vu où cela pouvait mener son homologue américain. Reste que l’un de ses principaux clients, Qatar Airways, lui cherche des poux dans la tête. On ne sait pas où l’affaire de la peinture qui s’écaille va pouvoir s’arrêter. Il est curieux que les deux parties ne soient pas arrivées à s’entendre tant elles y ont intérêt. Il est vrai que la peinture des A 350 livrés part en morceaux par endroits. Il semblerait que cela soit dû à une couche supplémentaire demandée par Qatar Airways afin que l’appareil ait encore une plus belle apparence. Mais cela ne semble pas justifier la mise au sol des avions mis en cause. Alors on se trouve peut-être devant une question d’égo. Il faut dire que les protagonistes n’en manquent pas. L’affaire a été portée devant un tribunal anglais qui a donné la première manche à Qatar Airways. La riposte d’Airbus ne devrait pas tarder. Au fond, voilà qui fera au moins l’affaire des grands cabinets d’avocats pendant quelques années.

Les low costs reviennent en force

Transavia France devient le bras armé essentiel du groupe Air France/KLM. La compagnie est maintenant beaucoup plus puissante que sa maison-mère hollandaise. Elle est en passe de remplacer Air France sur tout le domestique français à destination d’Orly et elle dispose d’un réseau international significatif. Les négociations avec les syndicats du groupe Air France ayant abouti, Transavia n’est plus condamnée à ne pas dépasser 30 appareils en exploitation et elle se dirige allègrement vers le double. Certes ses résultats économiques n’ont jamais été très brillants, mais son système opérationnel est parfaitement rodé.

EasyJet et Ryanair n’ont pas tardé à reprendre leurs opérations. Les deux transporteurs d’Outre-Manche sont tout de même très handicapés par le Brexit. EasyJet qui a son siège au Royaume Uni a été amenée à trouver un habillage européen pour poursuivre ses opérations. L’horizon se dégage pour les deux grands opérateurs, de même que pour Wizzair dont les grandes ambitions sont probablement très freinées par la situation actuelle.

Plus curieuse est l’expansion forcenée de Volotea sur le marché français. Le transporteur espagnol, dont les fondateurs dirigeants Carlos Munoz et Lazaro Ros ont par le passé crée Vueling, a tiré son épingle du jeu en convertissant, dès le début de la pandémie, ses opérations vers les dessertes domestiques ce qui l’a mis à l’abri des fluctuations liées au stop & go d’ouverture des frontières européennes. On peut se demander toutefois si cette boulimie d’ouvertures va rencontrer un marché suffisant.

Et puis il faut maintenant faire face au conflit entre la Russie et l’Ukraine. Le transport aérien sera une victime collatérale d’une question dont il est complètement étranger. Les espaces aériens se ferment, les approvisionnements de pièces détachées deviennent une arme dans le conflit. Les dégâts seront bien évidemment considérables et on ne sait pas où ils vont s’arrêter. Décidément les temps présents sont très troublés pour un transport aérien qui n’en avait pas besoin.