Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes, créateur du World Air Transport Forum et de l’APG World Connect. Dans cette tribune, il déplore les incohérences qui marquent cette fin d'année 2021 et le début de 2022 dans l'aérien.
Chaque mois amène son lot d’incohérences dans le secteur aérien, depuis la gestion calamiteuse des capacités d’Orly, jusqu’aux aberrations de la distribution d’énormes dividendes chez Boeing alors que l’entreprise n’avait pas le cash nécessaire, en passant par les interdictions de vols pour faire plaisir à une minorité d’écologistes forcenés. Eh bien, cela continue. On vient d’apprendre la venue sur l’axe transatlantique de deux nouvelles compagnies Play et Norse Atlantic Airways, et dans un autre domaine, l’obligation de faire voler des avions à vide juste pour maintenir les « slots », afin de suivre les instructions de Bruxelles.
Mensonge
Play est la nouvelle compagnie islandaise « low cost » bâtie sur les décombres de l’ancienne WOW Air qui a cessé ses activités le 28 mars 2019 après seulement 8 ans d’activité. Les clients ont été informés en consultant le site internet de la compagnie et les pauvres acheteurs de billets en avance n’ont plus eu que leurs deux yeux pour pleurer. A force de vendre au-dessous du prix de revient et de tenter de compenser les pertes par du volume de passagers et des encaissements bien avant le transport, le résultat est inéluctable lorsque tout le cash, qui appartient en théorie aux clients, a été brûlé. On prend les mêmes et on recommence ! Faut-il rappeler que le CEO de Play, Birgir Jonsson n’est autre que l’ex CEO adjoint de WOW Air ? Si encore les leçons avaient été tirées des expériences malheureuses passées, ce serait acceptable, mais la nouvelle compagnie reprend la même stratégie que la précédente. C’est ainsi que l’on voit des affichages tarifaires mensongers : 135 € pour un Paris-Boston, mais sur la base d’un aller-retour uniquement ! En fait cela coûte 327,78 € l’aller simple le 12 mai, par exemple, et 378,82 € l’aller-retour du 12 au 26 mai. Dans tous les cas de figure, cela ne peut pas couvrir les coûts de 17 heures de vol pour un aller-retour qui revient en réalité à 22 € par heure de vol. Ce n’est pas parce que l’on a un site internet très efficace et des appareils de dernière génération que l’on peut se permettre de telles pratiques.
Défaut de paiement
Le cas de Norse Atlantic Airways est en tous points similaire, sauf que la compagnie nouvelle n’entend pas utiliser sa base d’Oslo en tant que « hub » mais profiter de ses droits communautaires pour faire du transatlantique. Or, le nouveau transporteur norvégien est la copie de feu Norwegian Air Shuttle, dont on a vu les dégâts qu’elle a pu causer en mettant sur le marché des tarifs sans commune mesure avec les charges. Même si elle est gérée comme une compagnie « low cost » pure et dure, avec, en particulier, du personnel attaché à une autre entité que le transporteur afin qu’il coûte moins cher. On trouve les mêmes acteurs et en particulier Bjorn Kjos l’ex CEO de Norwegian qui, il n’y a pas si longtemps, donnait des leçons de management lors d’un Paris Air Forum. Les salariés français de l’ex Norwegian attendent toujours d’être payés. J’ajoute qu’XL Airways n’a pas pu résister à l’offensive tarifaire de l’opérateur nordique et que son PDG Laurent Magnin n’a eu d’autre choix que de déposer le bilan de sa compagnie alors qu’elle était parfaitement viable dans un environnement concurrentiel raisonnable.
Le plus étonnant dans cette histoire est que les deux transporteurs ont obtenu leur AOC (Airline Operating Carrier) dans leur pays respectif et que, de ce fait, ils détiennent les droits d’opérer à partir de n’importe quelle plateforme européenne à la condition d’obtenir les « slots ». Et ils les ont eu sans difficulté particulière à partir de Roissy CDG ! Autrement dit : on permet à ce qu’il faut bien appeler des prédateurs d’opérer à partir des aéroports parisiens alors qu’on interdit à Air France de desservir Orly à partir de Bordeaux. Belle manière de défendre le pavillon français...
A vide
Dans le même temps les compagnies européennes, en particulier celles du groupe Lufthansa, se trouvent dans l’obligation d’opérer des vols à vide uniquement pour maintenir leurs slots, en particulier à Francfort. Rappelons que selon les directives européennes, ceux-ci sont automatiquement remis dans le domaine public s’ils ne sont pas utilisés au moins à 80%. Bon... Et comment fait-on lorsque, suite à la fermeture/réouverture des frontières les avions sont cloués au sol et que seuls 35% du volume de trafic de 2019 a pu être opéré en 2021 ? Qu’attendent les autorités de Bruxelles pour assouplir cette règle, certes valable lorsque le transport aérien marche à plein, mais qui n’est certainement pas adaptée à la situation actuelle ?
Le transport aérien va certainement repartir. Personne ne peut prédire quand et avec quelle rapidité il retrouvera le niveau de 2019. Ce n’est pas une raison pour ne pas adapter les règles anciennes et pour autoriser les dérives passées.