Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes, créateur du World Air Transport Forum et de l’APG World Connect.
Je ne voudrais pas être à la place des dirigeants de notre compagnie nationale. Ils doivent affronter une situation particulièrement complexe. Les résultats de l’exercice 2020 sont bien évidemment catastrophiques, mais d’une part ils étaient attendus et d’autre part ils ne sont pas dus à une quelconque faute de management. Seule la manière de gérer la pandémie par les gouvernements de la planète est la cause des énormes pertes engrangées par le groupe. Alors le premier souci est celui de remonter les fonds propres, mais ce n’est hélas pas le seul.
Revenir à des fonds propres positifs
A la suite des pertes de 2020, un peu plus de 7 milliards d’euros, soit quand même 808.000 € chaque heure pendant toute l’année, les capitaux propres du groupe sont passés en négatif et pas qu’un peu : -5,427 milliards d’euros. Or les règles sont strictes, pour avoir le droit d’opérer, une compagnie aérienne doit avoir des capitaux propres positifs, faute de quoi elle perd son CTA (Certificat de Transport Aérien). C’est bien sûr inenvisageable pour Air France. L’Etat a déjà fait savoir qu’il la soutiendrait autant que cela serait nécessaire et ce n’est d’ailleurs que justice. Mais comment faire pour renforcer les fonds propres de la compagnie sans pour cela devenir fortement majoritaire puisque le gouvernement français exclut de détenir plus de 30% du capital ? Sauf qu'à 5 € l’action, la capitalisation boursière est de l’ordre de 2,5 milliards d’euros alors qu’il faudra remettre au moins 6 milliards pour retrouver des capitaux propres positifs... Voilà un casse-tête administratif et financier dont tout le monde se serait bien passé.
Au fond, cette situation très dégradée est également due au passé de l’entreprise et pas au passé récent. Les dirigeants actuels paient au prix fort les difficultés accumulées au fil du temps.
Un dialogue social impossible
C’est la source de tous les maux. Les discussions entre les syndicats de pilotes et la direction ont toujours été conflictuelles, tout au moins jusqu’à l’arrivée à la tête du SNPL de dirigeants plus enclins au dialogue. Depuis que je suis dans ce métier, plus de 50 ans, le transport aérien français a été marqué par la puissance et l’égoïsme de la corporation des pilotes. Se sachant indispensables à l’existence même des transporteurs, ils ont manié avec constance et abus le droit de grève que la loi leur octroie. Ils se sont opposés en permanence à tous les développements techniques et économiques qui pouvaient mettre en cause leurs privilèges. Je pense en particulier à la guerre qu’ils ont menée contre le pilotage à deux des avions. Ils se sont opposés farouchement au développement de Transavia qui pouvait devenir une solution pour la desserte du marché domestique. Et pas plus tard qu’en mai 2018, ils ont conduit le PDG de l’époque, Jean Marc Janaillac, à la démission. Au fond, les dirigeants de la compagnie mènent leur stratégie avec la crainte permanente d’entrer en conflit avec leurs pilotes. Cela a conduit à créer des aberrations opérationnelles.
L’imbroglio HOP
Voilà une illustration de la crainte des dirigeants. Après avoir racheté les transporteurs régionaux, Air France a très logiquement essayé de les unifier. Sauf que les dirigeants de l’époque ont eu peur que cette réunification ne devienne très onéreuse car les pilotes des trois compagnies concernées : Régional, Brit’Air et Airlinair, avaient pour chacune d’entre elles des avantages et des inconvénients par rapport aux autres. Or, chacun voulait les avantages des autres sans pour cela abandonner les leurs. Alors on a créé un être hybride que personne ne peut diriger. Sauf qu’il appartient à Air France. Il est donc logique, pour simplifier, de l’intégrer complètement dans la maison-mère. Pour ce faire, il faut progressivement rétrécir les opérations de HOP et transférer les pilotes concernés dans l’ensemble Air France. C’est ce qui était prévu sauf que les pilotes d’Air France s’opposent avec la dernière énergie à l’accès des nouveaux venus aux règles de séniorité qui gèrent leur carrière. Oui mais le code du travail dit exactement le contraire. Comment alors sortir d’un imbroglio dans lequel le groupe s’est mis tout seul ?
Voilà un petit aperçu des difficultés auxquelles les dirigeants d’Air France sont affrontées. Elles ne sont pas minces. S’ajoutent les difficiles relations avec la partie néerlandaise, le renouvellement de la flotte moyen-courrier et la reconquête de la clientèle une fois que les pays voudront bien ouvrir leurs frontières.
Il leur faudra beaucoup de courage et d’imagination pour se sortir d’affaire.