Tribune JL Baroux – Ecologie ou jalousie ?

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(Ph. Timothy Newman)

Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes. Créateur du World Air Transport Forum et de l’APG, il regrette dans cette tribune la proposition d'interdire les jets privés pour raisons écologiques, y voyant le prétexte à l'expression d'un sentiment "anti-riches" démagogique..

Pour tout dire, je suis un peu en colère. La dernière idée proposée par les écologistes pour sauver la planète consiste à freiner, voire à interdire les vols privés au prétexte qu’ils polluent par passager transporté plus que la voie ferrée par exemple. Tout cela est très sérieux puisqu’il serait question d’interdire les vols lorsqu’un train peut faire le trajet d’un avion en moins de 2 heures 30. Cette proposition vient s’ajouter à la décision d’arrêter certaines lignes aériennes, en particulier le Bordeaux–Orly, pour les mêmes raisons.

Cette chasse à l’aérien en général et plus précisément aux clients qui peuvent se payer les classes affaires ou première est tout simplement insupportable. En fait, cela repose sans doute plus sur de la jalousie que sur toute autre raison. L’égalité, voilà le mot magique au nom duquel on a pu dans le passé se permettre les pires excès. Les exemples sont hélas légion. Les révolutionnaires français ont fait décapiter nombre de leurs concitoyens juste parce que certains avaient des privilèges auxquels les autres n’avaient pas accès. Plus près de nous, on a vu ce que l’idéologie communiste pouvait produire de pire lorsque l’égalitarisme est érigé en pseudo religion. Le pire exemple est encore le plus récent : c’est le génocide de la population cambodgienne perpétré par les khmers rouges.

Il est vrai que les plus fortunés peuvent se permettre d’acheter un jet à plusieurs dizaines de millions de dollars et de s’en servir pour s’affranchir des inconvénients inhérents aux grands aéroports. Est-ce pour cela qu’il faudrait les condamner ? Je passe sur l’idée farfelue que ce mode de transport serait uniquement réservé aux loisirs alors même que l’immense majorité des vols dits « privés » sont opérés à titre professionnel et qu’ils sont justifiés par l’importance de la valeur ajoutée que cela permet de créer. Que les riches dépensent leur argent c’est non seulement normal, mais c’est également utile. Serait-il préférable qu’ils le conservent jalousement dans leur compte bancaire ou je ne sais quels achats de lingots d’or ?

Certes tout le monde doit s’y mettre pour lutter contre la pollution que notre civilisation a créée. Mais alors il faut commencer non pas par le petit bout de la lorgnette, mais par les secteurs les plus émetteurs de CO² et de gaz à effet de serre. Il est curieux de voir combien tous les gouvernements se tournent vers le tout électrique, en particulier en matière de transport sans se préoccuper de notre incapacité à recycler les batteries, ni de calculer l’impact écologique de la production de l’électricité nécessaire. Il est également étonnant de voir les donneurs de leçons publier leurs avis au travers des réseaux sociaux comme si ces derniers n’étaient pas en train de devenir un facteur considérable de pollution.

Et puis, tant qu’on y est, si les riches sont ainsi montrés du doigt il faut tout de suite interdire l’industrie du luxe, laquelle leur est réservée. A quoi sert le beau si les masses laborieuses ne peuvent pas se les payer ? Bernard Arnault a été vilipendé car son avion aurait fait un vol d’une dizaine de minutes pour relier deux aéroports londoniens. Seulement il était bien à bord et je ne pense pas qu’il a fait ce trajet pour son plaisir. Et de quel droit pourrions-nous critiquer un entrepreneur qui a créé une énorme valeur ajoutée, fait vivre des milliers de salariés, contribué fortement à la balance commerciale de la France, construit des musées, animé des fondations au seul prétexte qu’il voyage plus confortablement que le commun des mortels ?

Très probablement les gouvernements ne résisteront pas à concevoir de nouvelles taxes pour frapper le transport aérien et plus particulièrement les vols privés. Les italiens ont d’ailleurs commencé depuis plusieurs années en faisant payer une surcharge de 100 € à chaque passager d’un vol privé. Cela n’a pas pour autant enrichi le pays, ni régulé en quoi que ce soit le transport aérien. Néanmoins, le secteur aérien est prêt à payer afin de poursuivre sa décarbonation. Il est conscient que cela coûtera très cher et qu’il devra en régler le prix. Cela passera par une forme de taxation. Celle-ci sera acceptée à la condition expresse qu’elle serve réellement et uniquement à la recherche pour un transport aérien toujours plus propre et non pas pour alimenter un secteur d’activité concurrent, je pense au transport ferré qui serait, lui, paré de toutes les vertus alors que personne n’a réellement calculé son vrai bilan écologique.

La jalousie est terrible, elle peut conduire à tous les excès. Espérons que nos gouvernants garderont la tête froide en ne cautionnant pas la manière dont elle peut s’exprimer.