Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes. Créateur du World Air Transport Forum et de l’APG, il revient, dans cette tribune, à la prise de participation de la Luft au capital d'ITA Airways, et fait le point sur la puissance et les perspectives du groupe allemand.
C’est fait, le Groupe Lufthansa vient de boucler l’achat de 41% des actions de la compagnie ITA Airways (Italia Transporto Aereo SpA) pour un montant de 325 millions d’euros, et ce n’est qu’une première étape car le groupe allemand détient le droit de racheter la totalité du capital pour une valeur totale de 829 millions d’euros.
C’est un coup de maître auquel, d’ailleurs, je ne croyais pas. Je misais sur le nationalisme italien et la fierté des Romains, ajoutés à la bonne santé du successeur de feue Alitalia. Avec 93 appareils, 33 en commande, 70 destinations, 14,8 millions de passagers, 2,4 milliards de chiffre d’affaires et, pour la première fois depuis sa récente création, un résultat positif de 70 millions d’euros, le transporteur italien avait les meilleures raisons du monde pour rester indépendant. Carsten Spohr le PDG du Groupe Lufthansa et ses équipes ont dû manœuvrer de manière particulièrement habile pour finir par convaincre le gouvernement italien.
Une puissance européenne
Et voilà donc Lufthansa à la tête du dernier important marché européen disponible. Si on regarde le Groupe on est frappé de la puissance qu’il contrôle désormais, car il ne fait aucun doute que même avec seulement deux membres du Conseil d’Administration sur cinq, c’est lui qui va tenir les commandes d’ITA. Je note d’ailleurs qu’un nouveau Président du transporteur italien a été nommé dans la foulée, en la personne de Sandron Pappalardo.
Lufthansa contrôle l’ensemble des marchés européens les plus juteux : depuis Brussels Airlines, en passant par Swiss International, Austrian Airlines et Air Dolomiti sans compter des participations majoritaires ou presque sur la compagnie turque Sun Express, Edeiweiss en Suisse et le contrôle complet d’Eurowings le transporteur court courrier allemand.
L’ensemble opère 852 appareils, dessert 1.104 destinations, réalise un chiffre d’affaires de 51 milliards d’euros avec 130.000 salariés, le tout avec un résultat positif de près de 3 milliards d’euros, si on se réfère aux derniers chiffres publiés. C’est 50% plus gros que ses deux compétiteurs européens IAG et Air France/KLM. Saluons la performance.
Melting pot
Reste que ce colosse doit faire face à quelques sérieuses difficultés. D’abord il faut réunir dans une stratégie globale des cultures qui restent encore très nationales. Ce n’est d’ailleurs pas le moindre mérite de Lufthansa que d’avoir rassemblé de grandes disparités européennes sous un même chapeau en gardant l’identité de chacune des composantes.
Ce sera sans doute plus délicat avec le transporteur italien si attaché à ses prérogatives et à ses deux plateformes que sont Rome et Milan. En son temps, l’émirat d’Abou Dhabi s’y est cassé les dents et en remontant le temps, Air France, alors détentrice d’une part importante du capital d’Alitalia, n’a jamais pu unifier l’outil informatique opérationnel. Il est possible que le Groupe allemand réussisse là où beaucoup ont échoué, mais ce ne sera pas facile.
Et puis il faut tenir compte des mécontentements du personnel qui ont tendance à se manifester dès que les gros dangers économiques sont passés. Lufthansa en a fait la douloureuse expérience en 2024 avec les salariés de Brussels Airlines manifestant leurs attentes. La gestion de 130.000 salariés répartis dans une dizaine de compagnies, chacune défendant sa propre personnalité, ne sera pas si facile.
Pour le moment, la croissance semble parfaitement maîtrisée et la prise de contrôle du transporteur italien et de son puissant marché a été faite à un prix particulièrement intéressant qui ne peut pas mettre en danger les capacités financières du Groupe. Alors où s’arrêtera Carsten Spohr ?
Horizon portugais ?
Après le joli coup réalisé par Benjamin Smith, portant Air France-KLM au capital de SAS, à l’été dernier, ce qui verrouille une part significative du marché nord européen, quelles sont les opportunités en Europe ?
A y regarder de près, on ne voit que le Portugal dont la compagnie TAP serait prête à s’unir à un autre transporteur. Curieusement l’opérateur portugais se trouve un peu dans la même situation qu’ITA. Une flotte d’une centaine d’appareils, un peu plus de 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires et un profit de 177 millions d’euros, le tout avec une part importante du marché transatlantique sud.
Or, dans un futur proche, l'Amérique latine constituera une grande opportunité. Alors, Air France-KLM fait les yeux doux au gouvernement portugais, mais il n’est pas le seul. Lufthansa montre également son intérêt et le groupe allemand dispose de disponibilités plus importantes que le franco-néerlandais.
Petit à petit, Lufthansa grignote des parts de l’important et très rentable marché international européen. Quelle sera sa prochaine proie ?