Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes. Créateur du World Air Transport Forum et de l’APG, il évoque dans cette tribune la splendeur et la décadence de l'emblématique compagnie scandinave.
L’histoire de SAS (Scandinavian Airlines System) est finalement assez triste. Pendant des années, la compagnie a été un exemple pour le transport aérien européen. Elle était réputée pour sa rigueur, la qualité de son management et sa solidité financière et économique. Elle a connu son heure de gloire et peut-être le début de sa descente aux enfers sous la direction de Jan Carlzon. Ce dernier avait pris la tête de la compagnie en 1981. A cette époque, elle exploitait essentiellement un réseau international. Son nouveau directeur s’est alors lancé dans une stratégie de rachat des transporteurs domestiques scandinaves, mais ses ambitions ne se sont pas arrêtées là.
Il a été le premier à tenter le rapprochement avec d’autres grands transporteurs européens en créant le groupe Alcazar dont l’ambition était de regrouper KLM, Austrian Airlines et Swissair. L’affaire a fait long feu devant la difficulté à intégrer dans un seul ensemble des transporteurs nationaux très imbus de leur valeur et qui ne voulaient pas abdiquer une partie de leur pouvoir. C’est l’époque des grandes manœuvres dans le transport européen alimentées par la création de nouvelles compagnies nouvellement autorisées par l’entrée en service de l’»Open Sky » européen. C’est également la période où les alliances se sont formées, SAS ayant été l’un des fondateurs de la Star Alliance.
Mais il ne faut pas avoir les yeux plus gros que le ventre. Petit à petit, SAS a été amenée à se séparer des compagnies qu’elle contrôlait : Spanair, British Midland et Air Baltic, car il fallait résister à l’offensive massive des fameux « low costs ». C’est également l’époque où les trois Etats qui contrôlaient le capital de la compagnie ont commencé à se désengager pour ne garder qu’une part encore importante, mais tout de même inférieure à la majorité : la Suède 21,4%, la Norvège et le Danemark 14,3% chacun, le reste, 50% du capital, étant mis en bourse. La protection étatique qui avait permis la création et le développement du groupe aérien scandinave s’est dès lors délitée.
Low cost
C’est alors que les « low costs » ont attaqué le marché sur les vols moyen-courriers, qui constituaient tout de même la part la plus importante et, disons-le, la plus juteuse du réseau de SAS. Je note d’ailleurs que ce phénomène a été constaté dans tous les pays européens et que tous les transporteurs traditionnels n’ont pas voulu y voir un quelconque danger et ont traité les nouveaux entrants par le mépris. C’était plus simple que de se réformer. Alors les Ryanair et Easyjet ont progressivement pris des parts de marché de plus en plus significatives en obligeant les compagnies historiques à aligner leurs tarifs sur ceux qu’ils imposaient. Et comme les transporteurs n’ont pas voulu ou pas pu baisser leurs charges internes, ils ont tout simplement diminué leurs prestations en les amenant au niveau des « low costs ». Ces derniers ont eu alors tous les bons arguments pour faire basculer les clients vers leurs vols puisqu’il n’y avait plus de différence dans les produits.
Alors on a vu arriver en Scandinavie un nouvel opérateur issu d’une compagnie régionale : Norwegian, créé à partir d’un transporteur régional, Norwegian Air Shuttle. Le nouvel arrivant avait des ambitions considérables car il voulait non seulement devenir un acteur majeur européen mais également un des importants opérateurs long courrier, qui plus est à bas coûts avec une flotte moderne de Boeings 787 entièrement pris en leasing. L’affaire a tourné court après avoir entrainé de considérables dégâts dans les compagnies aériennes long-courriers. Mais il se trouve que les mêmes acteurs ont repris du service en replaçant sur les mêmes bases une autre compagnie Norse Atlantic Airways. Si on ajoute l’arrivée de Wizzair, un autre « low cost », hongrois celui-là, mais que les terres scandinaves aimantent, tous les ingrédients sont réunis pour mettre en très sérieuse difficulté la compagnie historique.
Et ce qui devait arriver arriva. SAS, le transporteur mythique scandinave a été conduit à se mettre sous la protection du « Chapter 11 » américain, plus flexible que la procédure de dépôt de bilan européen, afin de se restructurer en profondeur. Cela ne sera pas facile. Les pilotes ont commencé par déposer un préavis de grève en réponse à la décision de la direction de diminuer leur salaire de 30%. Voilà qui n’arrangera pas les affaires de la compagnie qui semble s’enfoncer dans une spirale un peu infernale, ni d’ailleurs celles des pilotes.
Après l’agonie d’Alitalia il serait très regrettable de voir SAS ne pas réussir son redressement. Mais cela ne pourra se faire que si le transport aérien retrouve les voies du bon sens, en arrêtant la course aux volumes de passagers pour revenir à des tarifs enfin raisonnables.