Tribune JL Baroux : Vers une renationalisation du transport aérien ?

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Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes, créateur du World Air Transport Forum et de l’APG World Connect.

2020 sera une année à oublier, particulièrement pour les acteurs du transport aérien, qu’ils soient compagnies aériennes, aéroports, constructeurs, et toute la gamme si importante des sous-traitants.

C’est un désastre. En dehors de la pandémie qui a frappé presque tous les secteurs économiques, les responsables de l’effondrement de l’activité aéronautique sont sans conteste les Etats. Ceux-ci ont été dans l’incapacité de définir une politique sanitaire commune et ont par conséquent fermé leurs frontières. Dès lors il ne faut pas s’étonner que le transport aérien en ait subi les conséquences.

Pluie de dollars

Alors pour compenser leurs décisions funestes, les Etats les plus riches, tout au moins ceux qui pouvaient puiser sans limite dans des caisses bancaires sans fond, ont massivement soutenu financièrement leurs compagnies aériennes majeures. Après tout, ce n’était que justice, d’autant plus que la plupart des aides consistent à garantir des prêts bancaires que les récipiendaires devront bien rembourser.

Ainsi ils ont fait pleuvoir des milliards de dollars ou d’euros sous toutes les formes possibles : prêts garantis, aides fiscales et sociales voire même des prêts directs comme celui que l’Etat français a accordé à Air France, sans oublier au passage de l’assortir d’un taux d’intérêt de 5,6% alors que sur le marché n’importe quel particulier peut emprunter à moins de 2%.

Dans l’ensemble néanmoins, ces mesures ont permis la survie des compagnies aériennes. Celles qui n’ont pas pu en bénéficier, parce que leurs Etats ne disposent pas des ressources nécessaires, sont passées par le dépôt de bilan et le redressement judiciaire. C’est ce qui est arrivé entre autres à Avianca dont le plan de restructuration vient d’être approuvé, mais aussi à Air Mauritius, Thai Airways, Virgin Australia voire à Air Asia X ou Norwegian qui risquent fort de connaître un sort identique.

D’autres ont été purement et simplement liquidées : FlyBe ou SAA par exemple. On oublie parfois que ces restructurations ne se font pas sans dégâts. D’inévitables licenciements sont prononcés et les fournisseurs ou sous-traitants sont largement priés de s’asseoir sur leurs créances.

Contreparties

Mais les supports accordés par les Etats sont souvent assortis de contraintes que les transporteurs ont été bien obligés d’accepter. C’est ce qui est arrivé à Air France ou même à KLM dont le programme d’exploitation a été rogné sous la pression des activistes écologiques. En clair, les pouvoirs publics, tétanisés par la pression environnementale imposent au transport aérien une réduction de son activité tout en lui imposant de financer des recherches destinées à diminuer voire à stopper toute émission de CO². Comment trouver les ressources pour cet objectif très louable, sans disposer des capacités financières lesquelles sont créées uniquement par l’activité ?

Et ce n’est pas tout. Les Etats veulent bien soutenir leurs grands transporteurs, mais à la condition d’entrer dans leur capital. Ce phénomène est tout à fait nouveau, aux Etats Unis par exemple où les dernières facilités octroyées à American Airlines sont assorties d’une prise de 25% du capital par l’Etat Fédéral. Lufthansa elle-même a été contrainte à accepter de céder la même part à l’Etat Allemand.

En France, le prêt de 3 milliards d’€ accordé par le Ministère de l’Economie est assorti d’une clause de conversion en capital si la compagnie se trouvait dans l’incapacité de le rembourser ce qui est tout de même très vraisemblable. Mais alors, compte tenu de la faible capitalisation boursière du groupe Air France/KLM, l’Etat français se retrouvera majoritaire. Pour le moment IAG fait encore de la résistance, mais pour combien de temps ? Finalement seule la compagnie Alitalia a tiré bénéfice de cette situation : elle devait être liquidée le 30 avril dernier et elle a été nationalisée in extremis.

Lorsque que l’on fera l’état de la situation en sortie de cette si difficile période, on risque bien de retrouver un transport aérien largement dépendant des Etats, comme d’ailleurs c’était le cas avant 1980. Les compagnies chinoises sont déjà sous la coupe du Gouvernement, les transporteurs du Golfe ne cachent pas leurs liens avec leurs Etats et les opérateurs occidentaux qui s’étaient affranchis de cette tutelle, vont sans doute y être de nouveau soumis.

Cela n’a au fond que peu d’importance si les gouvernements ne cherchent pas alors à influencer la stratégie des compagnies, mais on peut en douter. La tentation est trop grande pour qu’ils s’empêchent de placer aux postes de commandes des amis politiques. Cela a ruiné nombre de compagnies par le passé, le meilleur exemple étant Alitalia, et hélas, les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets.