Tribune Julien Etchanchu (Advito) : « L’aérien doit anticiper la décroissance »

197
Tribune Julien Etchanchu (Advito) :

Julien Etchanchu est spécialiste des questions environnementales dans le cabinet de conseil Advito (filiale de BCD Travel). Dans cette tribune, il évoque le spectre d'une crise énergétique majeure à laquelle les compagnies aériennes ferait bien de se préparer.

C’est une tribune potentiellement historique. Dans le JDD du 26 juin, Patrick Pouyanné , Catherine, McGregor et Jean-Bernard Lévy appellent les Français à réduire dès maintenant leur consommation d’énergie. « L’effort doit être immédiat, collectif et massif. Chaque geste compte ». Que les PDG de Total, Engie et EDF appellent à la sobriété énergétique, et donc à une baisse des revenus de leur groupe, a de quoi faire réfléchir.

La crise énergétique qui se profile pourrait bien être d’une ampleur colossale. Pourtant, si la crise en Ukraine a probablement accéléré les choses, c’est bien d’une crise structurelle qu'il s’agit. Nombre de spécialistes alertent depuis des années sur un possible effondrement de l’offre énergétique avant l’horizon 2030. La production gazière en baisse continue en Mer du Nord, l’OPEP qui ne parvient plus à augmenter sa production d’or noir, le nucléaire qui bat de l’aile en France, la sécheresse qui impacte la production hydraulique un peu partout… « Nous entrons dans les récifs », écrit Mathieu Auzanneau du Shift Project.

Et le secteur aérien dans tout ça ? Ne le cachons pas, l’équation est complexe, et la pression monte. Là, ce n’est plus Greenpeace qui prône la sobriété, mais le PDG de Total. Devant ce changement de paradigme, le secteur peut-il raisonnablement continuer à miser sur une croissance infinie de l’offre ? Qui peut encore sérieusement croire que le trafic va être quadruplé d’ici 2050 comme le pronostique IATA ? Aujourd’hui, le secteur mise tout sur l’efficacité énergétique et les biocarburants. Mais renouveler une flotte prend des années, le premier avion à hydrogène n’est pas attendu avant 2035 et, dans le meilleur des cas, les SAF représenteront 4% des besoins d’ici 2030. Or, on parle d’une pénurie énergétique à l’hiver 2022.

Choc énergétique

Pour les compagnies aériennes, le scenario noir est en train de passer de peu réaliste à possible, voire probable : celui d’une hausse massive des prix de l’énergie qui entraînerait une baisse conséquente de la demande. Déjà sous pression des défenseurs du climat pour réduire leurs émissions, les compagnies pourraient bien être contraintes de réduire la voilure à cause d’un choc énergétique sans précédent. La question ici n’est pas d’être pour ou contre la décroissance, mais plutôt de la considérer comme potentiellement inéluctable, de l’anticiper afin d’amortir le choc. Et après tout, est-ce une si mauvaise nouvelle ? Le secteur ne pourrait-il pas prospérer avec moins de vols, des billets plus chers, un produit amélioré et une meilleure expérience client ?

Dans un monde plus incertain que jamais, difficile de se projeter et d’établir des pronostics fiables. Mais pour un secteur déjà ébranlé par deux années de pandémie, affronter une crise énergétique d’une ampleur inégalée dans l’histoire est un scenario qui ne peut plus être exclu.