« Une correspondance de moins de 3 heures démultiplie les risques d’incidents bagage »

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Dirby est l’un des deux prestataires privés en charge de la gestion des incidents bagages à Orly et CDG (en plus des services internes à Air France). Emmanuelle Dos Santos, sa directrice exécutive pose ses valises et vide son sac sans s’égarer.

En quoi consiste votre métier ?

Emmanuelle Dos Santos – Nous assistons les voyageurs en cas d’incident bagage. Ils sont de trois ordres : perte (5 %), bris (18 %) et retard (77 %). Au niveau mondial, les incidents bagage étaient au nombre de 5,69 pour 1.000 passagers. Nous sommes chargés de rechercher le bagage et de la réacheminer vers son propriétaire. Concrètement, quand un voyageur constate un problème, il a recours à notre agence présente dans la salle de livraison des bagages (la salle des tapis roulants, ndr). Dirby est en marque blanche, notre comptoir est donc siglé du nom de la compagnie aérienne pour laquelle nous travaillons.

Emmanuelle Dos Santos, directrice exécutive de Dirby.

Ce sont donc les compagnies aériennes vos clients, et non les aéroports ? 

Oui. Mais le choix se fait en concertation avec les assistanys aéroportuaires – en l’occurrence ALYZIA – Groupe 3Squi opère pour le compte des compagnies aériennes toute l’assistance au sol (enregistrement, embarquement, gestion bagages, gestion bus, entretien, maintenance…) et les aéroports eux-mêmes. Dans les deux aéroports ADP, nous travaillons pour une douzaine de compagnies, notamment : Transavia, TAP Air Portugal, Singapour Airlines et les trois grandes compagnies du Maghreb – Royal Air Maroc, Tunis Air et Air Algérie. Notre mode de rémunération diffère à la marge d’un client à l’autre mais la règle générale est la rémunération à l’incident traité.

La crise sanitaire a-t-elle modifié votre façon de travailler ?

La baisse radicale du nombre de vols a bien sûr affecté notre activité. Et quand il y a eu reprise, il a fallu se soumettre aux règlements en termes de gestes barrière. Pour cela on a fait appel à un dispositif que nous avions initié dans un autre contexte. En effet, parce que nous avons le projet de travailler dans des aéroports de province (c’est déjà le cas à Lyon-Saint Exupéry, ndr) où le trafic est beaucoup plus fluctuant, nous avons développé des bornes qui permettent d’assister les voyageurs sans mobiliser autant de personnels – l’objectif était donc une réduction de nos coûts. Aujourd’hui, ces bornes sont une parade efficace pour répondre aux exigences sanitaires. Nous sommes donc monté en puissance dans leur déploiement. Par ailleurs, nous avons développé un robot ayant la même fonction que ces bornes, qui se déplace dans la salle des bagages.

Quelle est la principale cause de perte de bagages ?

Techniquement, les pertes de bagages, à proprement parler, sont rares : environ 5 % des incidents bagage. On parle en premier lieu de bagage « retardé »… Et ce n’est qu’au bout de 21 jours après l’arrivée à destination du voyageur qu’on parle de bagage perdu. Dans des cas, les bagages ont été retrouvés et réacheminés dans ce laps de temps. Ces retards représentent 77 % des incidents. A ce propos, la plupart des contrats liant la compagnie à ses clients contiennent un codicille précisant : « le bagage peut suivre le passager ». Comprendre : arriver après lui. La compagnie doit bien sûr tout mettre en œuvre pour que bagages et passagers prennent le même vol. Doit tout mettre en œuvre aussi pour le réacheminer le bagage retardé au domicile du passager – et c’est là notre mission – et ça se fera évidemment à ses frais, mais elle ne paiera pas de dédommagement pour cet incident. Si dédommagement il y a, il correspond aux frais occasionnés par le retard du bagage – l’achat d’un nécessaire de toilette, par exemple. 

Donc quelle est la principale cause de bagages « retardés » ?

Il peut s’agir d’erreur au moment du chargement des bagages, d’erreur d’étiquetage des bagages, un bagage resté coincé dans un tapis roulant, un bagage jugé douteux, mis de côté pour contrôle. Mais le cas le plus fréquent – près d’un sur deux – se produit sur les vols avec transit. Et quand une correspondance dure moins de 3 heures, les défauts d’acheminement sont démultipliés.

Dans ce deuxième cas, ce sont donc plusieurs voyageurs d’un même vol qui sont concernés…

Oui, ça peut être une quarantaine de passagers d’un vol. Et dans ce cas, les bornes dont on parlait revêtent un autre intérêt : plutôt qu’une queue de quarante personnes devant notre comptoir, deux, trois ou quatre réparties sur chaque borne.

De belles histoires de bagages ?

Belles, je ne sais pas mais dignes de comédies, sûrement. Telle que cette histoire de futurs mariés qui égarent leur valise contenant costume, robe blanche et alliances. Ou encore, dernièrement, nos agents confrontés à un gros crabe particulièrement virulent. Il avait été conservé dans un bloc de glace qui avait fondu et le stress l’avait surexcité. Globalement, ce n’est pas rare de retrouver des animaux vivants ou morts – ou bien une partie d’entre eux, telle une carapace de tortue. Ces cas sont souvent liés à de la contrebande, or notre rôle est aussi de s’assurer – en collaboration avec les douanes – de la conformité de ce qui est transporté dans les bagages que nous avons à gérer. Beaucoup moins comique et beaucoup plus poignant : cette passagère dont la valise égarée contenait l’unique photo de son père récemment décédé. Nous l’avons retrouvée. Poignant, donc, mais aussi gratifiant pour nos équipes.