Lors du dernier congrès de l’UAF, le PDG du Groupe ADP a souligné la nécessité de transformer les aéroports en hubs intermodaux et multi-énergies pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Un nouveau défi qui exige des ressources financières et technologiques inédites.
Augustin de Romanet n’a pas manqué d’être félicité pour son travail depuis douze ans à la tête du Groupe ADP (Aéroports de Paris), mardi dernier, lors du 6ème congrès de l’Union des Aéroports Français & Francophones Associés (UAF & FA). Son deuxième mandat se termine dans quelques semaines. Et son bilan à la tête du groupe devenu le numéro un mondial de la gestion aéroportuaire peut être qualifié de flatteur.
Devant le parterre bien rempli de l’amphithéâtre du Beffroi à Montrouge, le patron d’ADP, dans le cadre d’une « Carte Blanche à… », a souhaité traiter des défis et enjeux de la décarbonation. « En quelques années les progrès accomplis sont remarquables. Et l’on peut dater du salon du Bourget de 2019 le changement d’état d’esprit de tout notre écosystème » a-t-il d’abord précisé.
« Les aéroports peuvent être des moteurs de la décarbonation du transport aérien, ils ont une légitimité aussi forte que celle des compagnies aériennes, ce sont des acteurs stratégiques dans leur territoire, avec un rôle structurant ». Il a ainsi invité les aéroports à être à l’avant-garde de la transition écologique et énergétique, avec comme objectif, pour les aéroports parisiens, d’être Zéro émission net au sol à Orly et Le Bourget en 2030 et à CDG à l’horizon 2035.
La gare de CDG bientôt plus importante que celle de La Part-Dieu
L’aéroport de demain, a-t-il poursuivi, pourra, en fonction de sa taille, s’appuyer sur deux leviers de transformation, l’intermodalité et les nouvelles énergies. « L’intermodalité ce n’est plus un gros mot pour les aéroports. Il faut promouvoir le train dès que c’est possible. Nous avons beaucoup investi dans la nouvelle gare de CDG pour accélérer les arrivées de TGV, notamment pour permettre à ceux en provenance de l’Ouest et du Sud-Ouest de contourner l’Île-de-France. Nous avons aussi milité pour le CDG Express prévu pour 2027. Et nous allons accueillir le Roissy-Picardie. La gare de CDG va ainsi devenir plus importante que celle de Lyon-Part Dieu en 2030 ».
« A Orly, la décarbonation passe depuis peu par la ligne 14, et en 2027 par la ligne 18. Et il n’y a pas qu’à Paris qu’on pratique la multi-modalité. Je pense au téléphérique qui rejoindra Vitrolles à l’aéroport de Marseille également en 2027. Notre objectif c’est de promouvoir les modes de déplacement ayant le plus faible impact environnemental ».
Sur le sujet épineux des taxes, Augustin de Romanet souhaite que celles-ci deviennent un levier vers des investissements structurels notamment dans l’intermodalité, sur Orly-Val, la gare Massy-TGV ou la gare TGV Pont de Rungis. « Une fiscalité incitative encouragerait des comportements vertueux et accélérerait la transition ».
ADP a acquis trois centrales solaires
Les aéroports, a poursuivi le patron d’ADP, ont aussi vocation à être des hubs multi-énergie, « ce qui veut dire que l’on fait feu de tout bois pour se décarboner, y compris avec la géothermie et la biomasse. A Orly comme à Roissy, nous sommes en train de creuser des puits car nous avons la chance d’avoir de l’eau à 78° à 1800 m sous terre. Nous aurons bientôt 30% du chauffage de nos plateformes qui proviendra de la géothermie ».
Quid de l’énergie solaire ? « Quand je suis arrivé dans le métier, il n’était pas possible d’installer des panneaux solaires dans les aéroports, on nous disait que cela éblouissait les pilotes. La législation a ensuite changé. Et nous sommes en train de nous équiper pour installer près de 200 hectares de panneaux solaires sur nos aéroports ». Dans le cadre de contrats de longue durée – des corporate PPA (Power Purchase Agreements) – signés avec Urbasolar et GazelEnergie en 2020, ADP a également acquis trois centrales solaires en France. « Leur production des 21 prochaines années est réservée à ADP, avec à la clé un prix de l’énergie assez compétitif ». Ces parcs solaires photovoltaïques fourniront 45 GWh d’énergie par an, soit 10% des besoins en électricité annuels pour faire fonctionner les trois aéroports parisiens.
Les aéroports entendent répondre aussi aux utilisateurs d’hydrogène, une énergie pouvant servir à différents modes de transport. Comme l’a rappelé Augustin de Romanet, une station d’hydrogène gazeux alimente la flotte de taxis Hype à CDG. Et une station multi-énergie avec 12 points de charge ultra-rapide en électricité d’origine renouvelable a été inaugurée récemment aux portes de l’aéroport. « Et nous nous préparons aussi à disposer d’une station offrant de l’hydrogène et du biogaz à Orly, à la frontière entre ville et piste, pour les usages tant sur site que hors-site (…). A moyen-terme, nous travaillons sur l’insertion de l’hydrogène et des bornes de recharge dans tous nos aéroports de l’aviation générale ».
L’enjeu des avions bas-carbone
Les aéroports s’impliquent aussi dans la décarbonation des avions. Le groupe a investi 20 millions de dollars dans la société américaine LanzaJet, qui produit des bio-carburants. « Nous militons pour créer une filière européenne de carburant durable qui pour l’instant démarre assez doucement » a-t-il ajouté. « Nous augmentons drastiquement les taux d’incorporation de SAF (sustainable aviation fuel). Au Bourget, c’est plus de 6% de SAF qui sont délivrés tous les jours, ce qui nous permet d’atteindre dès 2024 sur cette plateforme ce que le règlement REfuel EU prévoit pour 2030 ». Et de citer aussi l’aéroport de Clermont-Ferrand, le premier en France à avoir proposé un avitaillement en carburant durable.
La décarbonation passe également par les nouveaux modes de propulsion des avions. « Au lendemain du Bourget il y a un an et demi, nous avons passé des accords avec six constructeurs dont Beyond Aero, VoltAero, Aura Aero ou ZeroAvia, ce dernier prévoyant de faire voler un avion à pile à combustible de 20 places en 2026 et 90 places en 2029 ». Beyond Aero, a-t-il rappelé, présentait pour sa part un avion d’affaires à propulsion hydrogène électrique, alimenté par une pile à combustible, dont la certification est envisagée pour 2029. Cet appareil pourra transporter 8 à 10 passagers, volera à 600km/h et aura 1 600 kilomètres de rayon d’action.
Des investissements colossaux pour décarboner
« Le modèle aéroportuaire français est singulier du fait de son incroyable maillage du territoire. Il jouera un rôle très important dans la connectivité du pays, à mesure que l’avion électrique se développera. Il y a quatre ou cinq ans, le maire du Havre m’interpellait, regrettant qu’il n’y ait personne sur l’aéroport de sa ville, et pas davantage à Deauville ou Caen. Nous lui avions d’abord conseillé de ne pas le fermer, car un aéroport ne se rouvre jamais, de le mettre éventuellement sous cloche (…). Les aéroports régionaux, en prenant des initiatives pour accueillir les nouveaux avions électriques ou à hydrogène, pourront alors initier un début de nouvelles connectivités régionales qui sera formidablement important pour notre pays ».
« Des investissements financiers colossaux sont à réaliser pour réussir la décarbonation », a poursuivi Augustin de Romanet. « Au plan mondial, on estime à 175 milliards de dollars le prix à payer pour décarboner chaque année le secteur aéronautique. Comment dès lors ajuster notre modèle, alors même que la croissance est plus modérée et les ressources financières limitées ? Il va falloir travailler, y compris avec le régulateur, à un juste partage des coûts (…). La transformation doit fédérer toute la communauté aéroportuaire ». Et de conclure : « A nos quatre métiers que sont l’hospitalité, le commerce, l’infrastructure et l’aménagement immobilier, nous en inventons un cinquième, celui d’agrégateur d’innovation pour la décarbonation du transport aérien ».