Décarbonation : « Les compagnies aériennes savent que la menace est stratégique »

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La startup toulousaine OpenAirlines a récemment finalisé une levée de fonds pour accélérer son internationalisation et investir dans la R&D. La jeune pousse souhaite aider les compagnies aériennes a réduire leur bilan carbone et son CEO, Alexandre Feray, milite en faveur d’une industrie plus respectueuse de l’environnement tout en étant conscient de la difficulté pour y parvenir. 

Le secteur de l’aérien est-il toujours mobilisé sur le sujet de la décarbonation ? Pourquoi la « sustainability » connaît-elle moins d’échos depuis un an ou deux ? 

Alexandre Feray, CEO d’OpenAirlines

La prise de conscience écologique a connu une accélération considérable depuis le Covid et même un peu avant. Nous avons assisté au lancement de nombreux projets, comme les avions électriques, à hydrogène, l’engouement pour les eVTOL ou le SAF. Mais aujourd’hui, tout le monde rencontre des difficultés. Les compagnies aériennes et les acteurs du secteur se rendent compte que le chantier de la décarbonation est considérable et que cela mettra plus de temps que prévu. D’un point de vue économique, les compagnies sont ressorties rincées et endettées de la crise sanitaire. Malgré des résultats financiers en forte hausse, elles en payent encore les conséquences. 

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Je pense également qu’il y a une volonté de la part des compagnies aériennes de revoir l’aspect communication et éviter d’être accusées de greenwashing, ce qui a été le cas à de nombreuses reprises. En revanche, les acteurs continuent de mettre des moyens importants et, en tant que fournisseur de solution, nous n’avons pas constaté de désintérêt sur le sujet. Simplement, ils se rendent compte que cela sera difficile.

La décarbonation de l’aérien doit-elle être portée par un effort collectif plutôt qu’individuel ? 

Pour réussir à décarboner l’industrie aérienne nous avons besoin de tout le monde, de toutes les parties prenantes. Chez OpenAirlines, nous allons agir sur l’optimisation des opérations pour permettre d’économiser jusqu’à 15% de carburant et donc, réduire l’empreinte carbone. Si le résultat n’est pas négligeable, nous considérons que nos produits sont complémentaires aux autres solutions existantes, notamment l’utilisation de SAF. A court terme, c’est sur ce point que l’on va pouvoir aller chercher l’économie de façon immédiate, alors que les autres solutions ne sont pas encore disponibles ou pas assez développées, comme la filière SAF. Il y a également un aspect économique non négligeable puisque l’achat d’une licence pour un logiciel est bien moins onéreux qu’investir dans le SAF ou l’hydrogène. L’optimisation des opérations permet également une réduction des coûts. L’objectif final est l’économie de carburant, ce qui a un aspect incitatif. 

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L’objectif net zéro carbone d’ici 2050 est-il toujours atteignable ? 

L’objectif du net zéro carbone d’ici 2050 n’est pas impossible à atteindre mais ce sera compliqué. Je pense que le plus important n’est pas de se dire si c’est possible ou non, mais de ne pas baisser les bras et de continuer à faire quelque chose, il ne faut rien lâcher. Les compagnies aériennes savent que la menace n’est pas uniquement environnementale ou politique mais stratégique, que cela soit du côté des passagers ou des entreprises. Sur le marché corpo on a constaté un réel changement avec des PVE bien plus strictes sur l’avion en faveur du train pour les trajets intraeuropéens. A cela s’ajoute bien évidemment la pression des régulateurs…

Une politique de « surtaxation » des acteurs aériens peut-elle avoir un effet négatif sur la décarbonation ? 

Il faut différencier les taxes incitatives des taxes punitives. Selon moi, les taxes punitives ne sont pas d’une grande utilité car la perte pour les compagnies sera imputée au budget alloué aux projets de décarbonation et le risque d’une distorsion de la concurrence doit être pris en compte. Au-delà de l’aspect compétitivité, cela peut desservir la cause écologique puisque les voyageurs iront encore plus loin pour prendre leur avion. En revanche, une taxe comme l’EU ETS (taxe carbone) ou Corsia va avoir beaucoup plus d’impact puisque le montant prélevé est proportionnel au niveau de CO2 émis, ce qui va avoir un effet incitatif pour alléger son bilan carbone.

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Est-ce aux compagnies aériennes ou aux voyageurs de porter la « charge » de la responsabilité environnementale ? 

Je pense que chacun a sa part de responsabilité et que cela va surtout se jouer selon les différences à travers le monde. En Europe, il est bien facile de réaliser des trajets en train qu’en Indonésie ou aux Etats Unis, par exemple. Ce que je veux dire c’est que nous pouvons et nous devons mettre en place des réglementations ou se fixer des objectifs au sein de l’UE, mais nous ne pouvons pas demander au reste du monde de les appliquer, les disparités sont trop grandes. Après, il est facile de dire que nous n’avons pas de poids face à des pays comme la Chine ou l’Inde, où le trafic passagers ne va faire qu’augmenter. Chez eux, il ne faudra pas compter sur la contribution du voyageur mais sur les choix que feront les compagnies aériennes. Ce sera à elles de faire travailler pour décarboner au maximum leur activité. Opérant dans près de 40 pays, nous pouvons tout de même observer que le sujet devient universel, quelque soit la taille des compagnies ou leur localisation. En 2023, notre solution a permis d’économiser 1,4 million de tonnes de CO2, soit 7 fois que le SAF sur cette même année. Si ce dernier monte en puissance, on se dit qu’il y a tout de même des choses à mettre en place afin d’avoir un impact immédiat important sur nos émissions.

 

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