Le secteur du transport aérien français réclame au gouvernement une concertation sur la hausse de la TSBA et entend apporter sa contribution aux études d’impact de la mesure.
La hausse de la Taxe de Solidarité sur les Billets d’Avion (TSBA), annoncée par le premier ministre Michel Barnier, a été confirmée par les premiers éléments du projet de loi de finances dévoilé jeudi dernier. Laquelle vise à faire passer la collecte de 462 millions cette année à 1,462 milliard en 2025. Sans surprise, la mesure fait l’unanimité contre elle, dans le secteur de l’aérien comme chez les professionnels du tourisme (EDV, Seto), du patronat aux syndicats. Ben Smith, le patron d’Air France-KLM, a prévenu que la hausse de la TSBA serait “un choc” pour son groupe et le transport aérien français tout entier. La compagnie française est déjà le plus grand contributeur de la taxe (140 millions d’euros collectés en 2023).
Ce lundi, c’était au tour de la FNAM (Fédération nationale de l’aviation et de ses métiers), qui rassemble le secteur aérien français, et de l’UAF&FA (Union des Aéroports français & Francophones associés) de sortir du bois pour dire tout le mal qu’ils pensent des mesures envisagées, évoquant un “choc fiscal” qui va entraîner une grave perte de compétitivité des opérateurs français.
L’heure est désormais au lobbying, ont indiqué de concert les deux présidents lors d’un point presse, ce lundi à Paris. “Nous espérons qu’il y aura désormais de la place pour la concertation” appelle de ses voeux Pascal de Izaguirre, Président de la FNAM et PDG de la compagnie Corsair. Un calendrier de rendez-vous serait déjà pris avec des politiques de tous bords (ou presque).
Thomas Juin, Président de l’UAF, a insisté de son côté sur la nécessité de communiquer le plus largement possible sur “l’impact très négatif d’une telle mesure”, laquelle va avoir des effets totalement contre-productifs. En favorisant la concurrence étrangère, elle va in fine affaiblir le pavillon français et faire perdre des recettes fiscales à l’Etat. A l’heure où le secteur doit investir dans la décarbonation, les compagnies françaises auront également plus de difficultés pour renouveler leurs flottes et acquérir des avions plus propres. Autre constat, la hausse de la TSBA se répercutera inévitablement sur le prix final du billet d’avion.
Le nouveau barème de cette « taxe de solidarité » (prélevée sur tous les billets d’avion émis en France) devrait être de nouveau défini autour de trois zones : vols intra-UE et assimilés ; vols jusqu’à 5 000 kilomètres ; vols de plus de 5 000 kilomètres. Elle variait jusqu’à présent de 2,63 euros (vol intra-européen en classe éco) à 63,60 euros par billet (vol extra-européen en business et first). Ces montants devraient ainsi plus ou moins tripler. Il persiste toutefois une interrogation quant à la nouvelle répartition de la taxe entre les différentes classes à bord des avions, même si l’on peut penser que les classes avant (affaires, première) seront les plus concernées par la hausse.
Pourquoi la hausse de la TSBA va accentuer le déclin du pavillon français ? “Taxer le long courrier international au départ de la France, c’est inciter les passagers à privilégier des routes alternatives hors de France et donc rallonger les temps de parcours et favoriser les fuites de carbone”, a rappelé Thomas Juin. Les hubs européens (Madrid, Francfort…) seraient favorisés par rapport à Paris, et ceux situés hors d’Europe (Istanbul, Dubai…) davantage encore, comme le montre ce tableau ci-dessus.
Le moyen courrier sera aussi impacté : il suffira d’aller prendre son avion dans un pays frontalier pour profiter de tarifs moins chers. Quant aux vols intérieurs, Pascal de Izaguirre ne manque pas de rappeler qu’il est déjà pénalisé par des taxes élevées (40% du prix du billet).
Thomas Juin a manifesté notamment son inquiétude concernant la menace que la nouvelle hausse de la taxe fait peser sur l’avenir de l’aviation d’affaires, laquelle contribuerait à hauteur de 150 millions environ : “Pour la longue distance sur l’international, le passager devrait ainsi payer 3 000 euros de plus, 300 euros sur la courte distance. Or, je rappelle qu’il est mensonger de dire que l’aviation d’affaires concerne d’abord des milliardaires. Près de 80% des déplacements en jet privé sont opérés pour des motifs professionnels, ils concernent beaucoup des TPE et PME et se situent dans des territoires mal desservis. 75% des vols de l’aviation d’affaires sont effectués entre des villes sans liaisons ferroviaires à vitesse rapide inférieures à 3h30”.
L’aviation d’affaires est par ailleurs massivement mobilisée pour les évacuations médicales, sanitaires et le secours aux personnes, puis pour la surveillance des réseaux d’infrastructures critiques et la lutte contre les incendies. “Taxer l’aviation d’affaires avec les montants envisagés, c’est “la tuer et mettre en péril la localisation d’un grand nombre de PME, d’ETI et donc d’emplois dans les territoires”, a-t-il alerté.
Pascal de Izaguirre a aussi voulu dénoncer certaines idées fausses :
“Non l’avion n’est pas un mode de transport pour les riches”.
Le patron de Corsair a rappelé le poids du tourisme affinitaire (25% des passagers dans les avions), notamment sur le Maghreb et les collectivités territoriales d’outre-mer, et bien sûr celui des voyageurs d’affaires. Et de noter que la sociologie du passager aérien, en France, était la même que celle de l’usager du TGV.
“Non le transport aérien français n’est pas moins taxé que dans d’autres pays européens”
Le transport aérien hexagonal subit au contraire une superposition de mesures fiscales européennes et françaises qui en font l’un des secteurs les plus taxés de France, a-t-il souligné. Le cadre fiscal et réglementaire, notamment pour des motifs environnementaux, est déjà particulièrement étendu (TAC, TSBA, TNSA, T2S, TEILTD…). Au-delà de ces taxes, les compagnies aériennes opérant des liaisons aériennes de et vers la France sont soumises à la compensation obligatoire des émissions de CO2 des vols domestiques, au système européen d’échange de quotas d’émission, aux mandats d’incorporation de carburants aéronautiques durables (ReFuelEU), à Corsia…
“Et nous sommes le seul pays au monde où les compagnies aériennes paient à 100% la sureté” a ajouté Pascal de Izaguirre. “Sur les 27 pays de l’Union européenne, seuls 7 appliquent une fiscalité spécifique au secteur aérien, a-t-il poursuivi. Bientôt moins : la Suède va abolir sa taxe sur l’aviation à compter du 1ᵉʳ juillet prochain. Et l’Italie a récemment annoncé qu’elle allait baisser la sienne ».
Avec la nouvelle hausse, le fruit de la taxe se répartirait ainsi : 210 millions d’euros pour la lutte contre les pandémies mondiales (la destination originelle de la taxe, dite alors « taxe Chirac»), 252 millions d’euros pour les infrastructures de transport non aériennes («écotaxe») et donc un milliard d’euros pour combler le déficit budgétaire de l’État. Le secteur du transport aérien va ainsi payer à lui seul 55% du nouveau produit pour la fiscalité verte du gouvernement, alors qu’il ne représente que 6% des émissions de CO2 en France. Et la FNAM de critiquer aussi le volet financement des infrastructures non aériennes qui soutient d’abord le ferroviaire alors que cette somme pourrait aider prioritairement à décarboner l’aviation.