Dans un objectif d’améliorer la régularité des trains, la SNCF adopte l’intelligence artificielle pour en faire l’un des piliers de la maintenance prédictive. Entretien avec Cyril Verdun, directeur de l’ingénierie de maintenance chez SNCF Voyageurs et Pierre Audier, Data Scientist SNCF.
Le PDG de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, s’est fixé un « zéro panne » d’ici 2034 et une amélioration de la régularité des lignes. Un objectif ambitieux…
Quels sont aujourd’hui vos plus gros défis en matière de maintenance ? Pour quels enjeux et conséquences pour le voyageur ?
Cyril Verdun : L’enjeu est d’assurer la sécurité des transports au quotidien, la régularité des trains et le niveau de confort des voyageurs. Pour y parvenir, il faut compter sur la fiabilité du matériel et la maintenance tient une place importante. Le tout, dans un contexte économique contraint par l’augmentation des charges, notamment le prix de l’énergie et l’arrivée de la concurrence. Nous devons être capables de proposer un meilleur service, tout en restant compétitifs et rentables.
Comment l’intelligence artificielle peut-elle vous aider à améliorer la maintenance prédictive ? Parle-t-on d’intelligence artificielle traditionnelle ou générative ?
CV : Lorsqu’on parle de maintenance prédictive cela englobe trois choses : connaître l’état du matériel, anticiper les pannes et la suppression de la maintenance préventive. La maintenance prédictive c’est tout ce que l’on va mettre en place pour supprimer ou alléger au maximum le « contrôle technique » des trains. Au lieu de quatre jours à l’entrepôt, un appareil va par exemple pouvoir y rester un jour ou parfois seulement quelques heures car la majorité de la maintenance aura été faite avant que la panne arrive. L’IA, couplée à l’intelligence naturelle, nous permet d’y parvenir. En réalité, au sein de la SNCF, nous utilisons l’intelligence naturelle pour 90% des opérations et l’IA pour seulement 10%. Nous allons utiliser l’IA lorsqu’une partie de l’information nous manque et que nous ne pouvons pas relier une action à une décision. Chez SNCF, la maintenance prédictive est progressivement déployée depuis 2013 et il y a 5 ou 6 ans nous avons commencé à introduire l’IA pour nous aider sur de nouveaux modèles d’algorithmes.
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Pierre Audier : Nous parlons avant tout d’IA traditionnelle. L’IA générative, nous l’utilisons en interne pour augmenter notre productivité, pour coder ou pour améliorer le traitement des données mais pas sur la partie maintenance au sens propre. Notre objectif est d’enrichir nos IA grâce à l’intelligence de nos experts et faire en sorte qu’il y ait de moins en moins de maintenance préventive systématique.
Lorsque Jean-Pierre Farandou parle de « zéro panne » d’ici 10 ans, est-ce un objectif réalisable ?
CV : L’objectif est ambitieux même si ce n’est, bien évidemment, pas possible de tout anticiper. De notre côté, on l’interprète comme un but à atteindre en matière de pannes visibles, c’est-à-dire ce qui va impacter directement le voyageur. Toutes les pannes que nous gérons au quotidien et que le voyageur ne voit pas, celles-ci, nous ne pouvons pas les supprimer totalement. Dans 10 ans, Jean-Pierre Farandou parle d’un objectif ambitieux où il fait référence aux pannes physiques et c’est ce vers quoi nous voulons tendre.
Le renouvellement de la flotte fait-il également partie de votre stratégie ? Les nouveaux trains vont-ils permettre d’améliorer la régularité des lignes ?
CV : Tout ce que nous mettons en place depuis 11 ans nous le faisons par opportunisme. Lorsque nous avons décidé de renouveler la flotte de certains trains, notamment avec le TGV M et le RER NG (sur les lignes E et D), nous n’avions pas spécifié à Alstom ou Bombardier le besoin d’avoir des trains connectés. La demande est venue après 2013, lorsque nous avons réalisé que nous allions avoir besoin de systèmes embarqués à bord pour nous permettre de mieux récolter et traiter la data des appareils. Ces nouveaux modèles vont assurément nous aider à améliorer nos objectifs en matière de maintenance prédictive et sur les TGV ce sera une première.
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PA : Le TGV M va nous permettre de récolter les données et d’avoir la possibilité d’agir à distance sur ce train à grande vitesse en cas de problème. Lorsque je parle « d’agir à distance », je parle du fait de pouvoir transmettre un message aux personnes sur place ou au conducteur pour agir. En réalité, le système à travers lequel la donnée est récoltée est unidirectionnel. Nous ne pouvons pas agir de façon directe à distance pour des raisons de sécurité, nos systèmes sont protégés pour faire en sorte que cela n’arrive pas.
En 2020, la SNCF annonçait l’arrivée des premiers trains autonomes en 2025. Ce projet est-il toujours d’actualité ?
CV : Cette question dépasse nos fonctions mais nous avons encore des conducteurs dans nos trains et nous ne comptons pas nous en séparer. En revanche, nous nous donnons pour mission d’alléger au maximum les tâches techniques, notamment mécaniques. Aujourd’hui, on parle d’ailleurs d’agent de conduite. Les trains autonomes ne sont donc pas à l’ordre du jour.