Sommet ferroviaire européen : le difficile défi de faire davantage aimer le train

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Durabilité, innovation, numérisation, inclusion… les défis sont nombreux pour les acteurs européens du rail, lesquels souhaitent doubler la part du ferroviaire dans le transport dans les dix ans à venir. Et les investissements à réaliser pour développer le réseau européen et son inter-opérabilité sont considérables, comme l’ont souligné différents intervenants du Sommet ferroviaire européen qui clôturait l’Année européenne du Rail.

Dans le cadre de la Présidence française de l’Union européenne et en marge de la réunion informelle des Ministres de Transports, la SNCF a organisé ce lundi, au siège de Saint-Denis (93), une journée de tables rondes sur l’avenir du transport ferroviaire en Europe. De nombreux ministres des Transports et vingt-quatre dirigeants d’entreprises ferroviaires européennes ont témoigné des nombreuses démarches visant en rendre exemplaire le secteur, en matière de durabilité. Lesquels dirigeants ont publié une tribune commune, ce week-end dans le Journal du Dimanche, pour réclamer « un investissement européen massif » et nouer « un nouveau pacte ferroviaire européen« .

Tous en effet considèrent unanimement que le transport ferroviaire doit jouer un rôle central dans la lutte contre le changement climatique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre… même si le train représente seulement 0,3% des rejets de CO2. L’objectif de la SNCF – comme de nombreux autres opérateurs ferroviaires européens – est de doubler la part du train d’ici à 2030, de la faire passer de 10 à 20%, permettant ainsi à la France de réaliser en dix ans entre le quart et le tiers de son engagement en matière de décarbonation des transports.

«Notre réseau actuel ne le permet pas aujourd’hui, il faut accroitre sa taille et sa qualité », prévient toutefois Jean-Pierre Farandou, le patron de la SNCF, soulignant les « quelques chainons manquants » pour constituer un grand réseau européen. Richard Lutz, CEO de Deutsche Bahn (DB), a d’ailleurs indiqué que l’Allemagne à elle seule investissait 8,6 milliards d’euros par an pour moderniser son réseau. Adina Valean a pour sa part rappelé que le plan de relance européen concernait en grande partie les transports, et notamment les chemins de fer. La Commissaire européenne aux Transports a estimé les besoins de financement du réseau de transports européen à 247 milliards d’euros supplémentaires d’ici à 2050 ; 80 milliards d’euros de fonds européens devraient ainsi soutenir les investissements dans le ferroviaire entre 2021 et 2027, par le biais de différents mécanismes (voir tableau ci-dessous).

Pour atteindre ses objectifs ambitieux, le train doit mieux répondre à la demande, notamment sur le transfrontalier. Il doit surtout attirer davantage, séduire les consommateurs, donner envie de «vous faire préférer le train» pour reprendre un message publicitaire de la SNCF des années 1990. Les opérateurs doivent investir notamment dans un matériel roulant plus confortable, du train régional au futur TGV M. De plus, ces nouvelles rames plus économes s’inscrivent dans l’approche toujours plus durable du ferroviaire. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué aux Transports, a cité aussi la relance des trains de nuit (dont Paris-Vienne depuis décembre dernier) « qui compte peu dans les plans d’exploitation mais beaucoup dans la perception du secteur ferroviaire ». Richard Lutz a aussi rappelé que la décarbonation du rail passait par l’introduction de modes de propulsion alternatifs. L’Allemagne est notamment en pointe sur l’hydrogène, avec toutefois la question de sa production « verte ».

L’approche intermodale doit jouer également en faveur du train, notamment pour les déplacements du quotidien, les trajets domicile travail comptant pour 60% des kilomètres parcourus. Or, le temps de transport est considéré comme plus important que le prix, bien souvent au profit de la voiture. La gare est notamment au cœur des enjeux, avec le besoin de parkings plus grands et équipés de bornes électriques pour y laisser son véhicule et le mettre en charge, d’y trouver une offre de location de vélos, de voitures en autopartage… Pour Thierry Mallet, le PDG de Transdev, « la route est aussi l’allié du train (…). Le premier kilomètre est essentiel pour rabattre vers les gares. Il faut jouer les complémentarités et la qualité de service».

De gauche à droite, Aleš Mihelič (ministre slovène de l’Infrastructure), Richard Lutz (DB), Nicoletta Giadrossi (Ferrovie delloStato), Jean-Baptiste Djebbari (ministre des Transports) et Adina Valean (commissaire européenne aux Transports)

Sur les plus grandes distances en revanche, le prix est davantage un obstacle. L’avion est souvent moins cher que le train. Sur ce point, l’ouverture du rail européen à la concurrence doit contribuer à la baisse des prix et soutenir le report modal en faveur du ferroviaire. «Le train est assez cher. Il faut faire porter le coût davantage vers ceux qui polluent», soutient Laurence Tubiana, CEO de European Climate Foundation. « Le principe du pollueur payeur n’en est qu’à ses débuts, constate Clément Beaune, le Secrétaire d’Etat aux Affaires européennes. Il faut en effet davantage tenir compte des coûts réels des externalités négatives (rejet de CO2 mais aussi pollution de l’air, congestion des routes etc, ndr) dans le prix du transport. Nous devons encourager le report vers les transports les moins polluants, et donc le rail». L’effort est d’autant plus nécessaire que le rythme moyen de hausse du trafic passagers n’a pas dépassé 3% par an ces dernières années, comme l’a rappelé Christophe Fanichet, le PDG de SNCF Voyageurs.

Comment atteindre les objectifs ambitieux du rail européen ? Carole Desnost, directrice Technologies, Innovation et Projets à la SNCF, a insisté sur la dimension collaborative des projets, au niveau français mais aussi européen, afin d’aller plus vite et plus loin en matière d’innovation. Le grand projet Shift2Rail était déjà une base solide, un première épine dorsale européenne, comme l’a rappelé Adina Valean. «Son successeur Europe’s Rail est encore plus ambitieux», a souligné Carole Desnost, notant que deux «phares technologiques» concernaient prioritairement le ferroviaire : la décarbonation et la digitalisation, à la fois du côté client et industriel.

«L’innovation doit améliorer à la fois la capacité et le confort, avec au cœur de nos réflexions le client, pour que son voyage soit agréable, qu’il soit le mieux informé possible, qu’on s’occupe de lui du premier au dernier kilomètre », a renchérit Laurent Bouyer, président et CEO de Siemens Mobility France. Et de prendre notamment deux exemples d’innovation technologique et digitale. D’abord le train autonome, avec ce tout premier projet porté par son entreprise en Allemagne, avec Digital S-Bahn déployé à Hambourg, en partenariat avec la DB. Ensuite le MaaS, plateforme multi-modales dont Siemens se veut un acteur important, comme le souligne par exemple RaaS (pour Renfe as a Service), en partenariat avec la compagnie ferroviaire espagnole.

Karima Delli, présidente de la Commission transport et tourisme du Parlement européen, a pour sa part insisté sur l’inter-opérabilité à apporter dans ce patchwork de vingt-sept réseaux ferrés nationaux. Les Européens, sur ce point, pourraient bien s’inspirer de la Suisse. «Pour mettre en place le Fonds d’infrastructure ferroviaire (voir graphique ci-dessous), nous avons d’abord du nous entendre entre cantons», a rappelé Vincent Ducrot, CEO de chemins fer suisses CFF, ajoutant que ce mécanisme permettait de dégager des moyens largement supérieures à ceux consacrés au ferroviaire en France. Et de préciser que les péages comptaient pour beaucoup moins dans les recettes en Suisse qu’en France. Luc Lallemand, PDG de SNCF Réseau, a pour sa part insisté sur certains éléments contextuels, noté qu’une épargne verte était massivement disponible sur le marché, souligné enfin qu’il était judicieux de tirer profit d’un contexte favorable avec des taux d’intérêt encore bas, avant de rappeler que les partenariats publics privés pour se financer (PPP) n’étaient pas recommandés vu la rentabilité du ferroviaire.

Karima Delli a aussi invité à porter de gros efforts en matière de ticketing. « A quand une carte unique pour voyager partout en Europe ? » a-t-elle interrogé. L’eurodéputée EELV a par ailleurs demandé aux opérateurs européens de vite s’organiser pour ouvrir «de manière encadrée » l’accès aux sources et datas, avant que des entreprises nord-américaines ne développent des applications séduisantes et mettent la main dessus…

L’avenir n’est pas uniquement technologique, soulignent également les dirigeants du secteur : l’investissement humain est une autre clé de la réussite de la transformation du secteur. Et Adina Valean d’inviter à parier davantage sur les jeunes et les femmes. A bon entendeur…