Parce que Trainline est devenu un acteur important du ferroviaire en Europe, parce que cette solution est indépendante de tout opérateur, la vision de son directeur des partenariats à l'échelle européenne, Christopher Michau, est riche d'enseignements dans un contexte d'ouverture du secteur à la concurrence.
La concurrence du ferroviaire européen est lancée. C’est, on l’imagine, l’enjeu numéro un de Trainline.
Christopher Michau : Notre actualité, ce sont des fonctionnalités lancées en 2021 visant à fluidifier le parcours voyageur. ID Search, une fonctionnalité qui permet de suivre en temps réel l’avancée d’un train; Récup’ Retard, destinée à simplifier les demandes de compensation suite au retard de son train; Seat map pour choisir son siège. Mais il est vrai que nous sommes concentrés sur une grande ambition, notre développement au niveau européen, dans 45 pays, et que ça se fait dans le contexte très porteur de l’ouverture des marchés.
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Votre destin est d’une certaine façon liée à la concurrence, à la multiplicité des opérateurs, ce qui explique votre origine britannique…
Effectivement, ce n’est pas un hasard si nous nous sommes développés sur un marché concurrentiel. Mais je rappelle qu’au départ, Trainline a été créée par Virgin Trains en 1997, avant de devenir indépendant de tout opérateur. Notre effort a alors porté sur la dématérialisation - dans la recherche, la réservation et le ticketing. Nous avons d’ailleurs été les premiers à proposer des tickets digitaux en Angleterre. Puis nous nous sommes implantés en Europe continentale avec, notamment, une arrivée en France en 2016, avec, comme point d’entrée, l’acquisition de Captain Train. Aujourd’hui, notre base de données comprend 270 compagnies de train et de bus dont environ 160 transporteurs ferroviaires.
Quelles sont les caractéristiques de votre offre business et se fait-elle en direct ou via des intermédiaires ?
On se définit comme une plateforme aussi bien B2C avec 80 millions visites mensuelles, que B2B, à la fois en direct avec, à date, 1200 entreprises clientes, ou par l’intermédiaire des GDS, des OBT ou des TMC, telles que TripActions avec qui nous avons annoncé un partenariat en juin dernier. Pour ces acteurs, notre valeur ajoutée, ce sont évidemment notre connectivité - qui tend, pour chacun des opérateurs, à l’exhaustivité en termes de trajets, de tarifs, de fonctionnalités - mais aussi notre travail de veille, pour l’intégration de nouveaux acteurs comme pour la modification des systèmes des acteurs existants, avec un degré d’intégration très poussé et rapide. Et qu’elle soit en direct ou non, notre offre business comprend évidemment un système de facturation centralisé, une intégration des différents niveaux d’approbation du voyage…
Concrètement, je dois faire un Paris-Vienne-Munich-Paris. Que me permet Trainline ?
Vous pouvez prendre le Night Jet qui vient de se lancer, puis, de Vienne à Munich, emprunter l’Autrichienne OBB puis revenir à Paris avec la SNCF… Votre choix se fera pour chaque tronçon en fonction des différentes offres des différents opérateurs. Et tout cela se matérialisera par une transaction unique.
Vous avez forcément un regard bienveillant sur l’ouverture du train à la concurrence puisqu’elle rend votre service d’autant plus utile…
Plus que bienveillant, la perspective est très excitante ! Mais on pense aussi que c’est bénéfique pour le consommateur. Prenons le cas de l’Italie, puisque ce pays a devancé les directives européennes en s’ouvrant à la concurrence en 2011, ce qui permet d’avoir du recul. En 2012, la compagnie privée NTV se lance sur la ligne Milan-Rome, l'équivalent d’un Paris-Lyon, venant ainsi concurrencer l’historique Trenitalia… Cinq ans plus tard, on pouvait constater une amélioration du produit (avec notamment une augmentation des fréquences), une réduction des prix de 40% et un doublement du nombre de passagers…Sur ce trajet, le train était utilisé dans un tiers des cas, dans la moitié des cas pour l'avion, le reste en voiture. Ces proportions sont aujourd’hui de 75% pour le train et 17% pour l’avion... D’ici la fin du mois de janvier, Trenitalia va lancer cinq fréquences sur le Paris-Lyon, en plus de la vingtaine opérée par la SNCF. Il y a donc une demande pour cette ligne, certes l’une des lignes les plus fréquentées d’Europe, mais qui est assez onéreuse.
On peut aussi regarder vers l’Espagne. Madrid-Barcelone s’est ouvert à la concurrence en mai avec l'arrivée de la SNCF via Ouigo espagne… Elle remplit ses rames à des taux de 90% sur une ligne elle aussi déjà très fréquentée. Donc même avec un haut niveau de volumétrie, la demande augmente. Quant à la Renfe, elle a ouvert un bureau à Paris et s'intéresse au sud de la France, ainsi qu’au Paris-Londres en concurrence avec l'Eurostar…
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Et qu’en sera-t-il de l’effet de l’ouverture du marché sur des lignes moins fréquentées, parfois structurellement déficitaires ?
Il y a beaucoup de projets à des états d’avancement différents mais qui, tous, se placent sur ces créneaux de lignes grandement délaissées voire non opérées par la SNCF. La Française Railcoop se lance d'ici fin 2022 sur Lyon-Bordeaux en vitesse classique et a obtenu l’autorisation d'ouvrir six autres lignes - dans le nord de la France, en liaison avec la Bretagne… Autre exemple : la compagnie Le Train devrait faire du grande vitesse dans l’ouest de la France, dans un premier temps : Nantes-Bordeaux, Nantes-Rennes… Ce sont des projets… A chaque fois, du province-province sans passer par Paris. Est-ce que ça va marcher ? En tout cas, ces nouveaux acteurs sont devant une feuille blanche, ils débarquent sans la même base de coûts que l’opérateur historique.
On assiste aussi à des offres totalement nouvelles : la startup Midnight Trains proposera des trains de nuit entre Paris et différentes capitales ou métropoles européennes (Berlin, Rome, Milan, Madrid, Barcelone, Porto, Edimbourg… ndr) avec un haut niveau de service.
Midnight Trains s’intéresse beaucoup aux voyageurs d’affaires. Pensez-vous qu’un train de nuit puisse séduire cette clientèle ?
Pour un voyageur d’affaires, ça peut être un vrai gain de temps et de confort de ne pas être obligé de se lever aux aurores pour passer la journée à Berlin, et d’opter pour un trajet de nuit dès lors que la literie est bonne, que la cabine dispose d’une douche, qu'on a pu se restaurer, et c’est précisément ce que ce projet propose. Mais il est vrai que ça reste à prouver… Alors on peut se tourner vers l'Autriche où l’OBB a développé ses trains de nuit depuis longtemps et qui sont aujourd’hui rentables. C’est d'ailleurs pourquoi la SNCF s’est associée à cet opérateur pour Nightjet.
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Bref ce sont des opportunités énormes pour le ferroviaire qui ont été amplifiées par la pandémie. C’est vrai sur le segment de la clientèle loisir, c'est peut-être encore plus vrai pour les entreprises dans un souci de RSE. En conséquence, on voit beaucoup de business model qui étaient parfois en gestation avant la pandémie et qui se développent car elles ont une vraie opportunité de fonctionner.
La volonté de substituer le train à l’avion pour certaines lignes participe-t-elle, d'après vous, à une promotion du train et cela aura-t-il un impact dans la PVE ?
Oui : les entreprises ont entendu le message. D’autre part, l’obligation d’utiliser 1% de biocarburants qui s’impose aux compagnies aériennes dès cette année en France sera répercutée sur le prix des billets : un autre avantage concurrentiel pour le train.
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Comment envisagez-vous le paysage ferroviaire en 2025 ?
Tout concourt à ce que le train connaisse une importante augmentation de fréquentation. Nous avons parlé des arguments économiques et environnementaux… Et tout cela se passe dans un climat politique très favorable aussi puisqu'au niveau de la Commission européenne, il y a eu un rapport rendu public à la mi-décembre qui entend promouvoir le train en Europe. Et un groupe de travail est en place pour faciliter cette expansion. Donc la fréquentation du train, que ce soit loisirs ou pro va augmenter, ça fait peu de doutes. Et un cercle vertueux se sera enclenché : parce qu’il y aura plus d’opérateurs, de nouvelles offres (Trenitalia apporte par exemple une classe “executive” sur Paris-Lyon), des tarifs plus bas et de meilleurs services, alors il y aura plus de voyageurs donc plus d’économies d’échelle pour les opérateurs, etc. Pour ces raisons, la part modale du train va augmenter mais aussi l’utilisation du train pour des usages inédits. Ce qui sera alors important, ce sera de guider le consommateur dans cette offre pléthorique - et là, Trainline a un grand rôle à jouer par sa capacité à offrir l’ensemble de l'offre et à la combiner.