Directeur commercial de Thalys, Bruno Dierickx fait le point sur la situation de l'acteur ferroviaire et détaille sa politique corporate.
Quel est, dans cette période très délicate, l’état des lieux de Thalys ?
Thalys traverse la crise la plus grave de son histoire comme tous les acteurs du transport. On résiste mieux que l'aérien mais on va perdre plus de 300 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020. C’est énorme. Lors du déconfinement, en juin, on a assisté à un démarrage encourageant, notamment de la part de la clientèle VAF (voyage amis famille, ndr), on comprend aisément pourquoi. En juillet et août, les voyages leisure ont pris le relais, toujours sur une belle lancée, d’autant plus satisfaisante que les mois d’été ne sont pas les plus favorables pour nos lignes. On s’attendait à une continuité avec une belle croissance à la rentrée, mais c’est pour l’instant très décevant : alors qu’on s’attendait à ce que les voyageurs d'affaires viennent s’ajouter aux autres clients déjà de retour, on a fait 30 % de passagers en moins en septembre par rapport à août.
Pour quelle raison, d’après vos analyses ?
Les nouvelles annonces restrictives, sans aucun doute : l’Allemagne qui met Bruxelles en rouge, puis Paris ; Bruxelles qui met Paris en rouge puis Amsterdam et Rotterdam... Ce qu’on remarque, c’est qu’il y a une certaine incompréhension du public qui sait très bien, en outre que le rouge n'a pas la même signification partout. Même si on comprend les difficultés de la situation, on souhaiterait une plus grande harmonisation européenne. Incompréhension et donc appréhension à voyager, mais aussi manque d’information : en dépit des restrictions entre tous ces pays, les voyages restent possibles pour des motifs professionnels, au même titre que le regroupement familial, par exemple. Souvent, les gens l’ignorent et ça nous porte un préjudice fort. C’est la raison pour laquelle on essaye de faire passer le message.
Comment, concrètement ?
On veut donner des signes encourageants pour l’avenir. Si Thalys s’arrête, si les hôtels ferment, l’économie ne redémarrera pas. Ce mois-ci, on commence une campagne dont le message porte sur le besoin de relier nos villes, de relier l’Europe de nouveau, un retour à une vie un peu plus normale. On y voit des mises en situation de clients business qui vont chercher de nouveaux contrats en Allemagne ou aux Pays-Bas, par exemple. Le message, c’est, en substance : "on peut recommencer". C’est notre modeste contribution à l’effort d’information. On a voulu plus une campagne d’image qu’un déclencheur d’achat. On n’a pas voulu, dans cette période très particulière durant laquelle certaines personnes ont peur de voyager, être racoleur avec des petits prix - même s'il y en a davantage car on les garde plus longtemps dans le système. Ca s’adresse surtout à ceux qui veulent voyager pour leur dire “on est là pour vous, on vous offrira le même service qu’avant”.
Et notamment aux voyageurs d’affaires qui manquent à l’appel dans cette rentrée décevante...
Effectivement. Ils sont bien en-dessous des 50 % qu'ils représentent habituellement pour Thalys. Après les mois d’été encourageants, nous avions misé sur un plan de transport en septembre correspondant à près de 60 % de notre capacité habituelle. Il n’a été que de 40 %. Il y a bien sûr, comme explications, les mesures contraignantes dont je viens de parler et le fait que dans les grands groupes, beaucoup de collaborateurs télétravaillent encore et que les voyages n’ont pas repris. En revanche, les PME, les petits entrepreneurs sont davantage de retour car ils veulent relancer leur business, rencontrer leurs clients et prospects, visiter leurs filiales, c’est, pour eux, une question de survie. Et de notre côté, on a besoin de les soutenir.
Justement, quelles mesures sont prises pour faire revenir le business traveler ?
Elles sont principalement de deux ordres. D’abord, en dépit de ces 40 % de notre capacité habituelle, on a maintenu un plan de transport assez soutenu aussi bien en amplitude qu'en fréquence. C’est particulièrement important d’avoir des trains tout au long de la journée pour ce type de clientèle. On compense la moindre affluence par une baisse de la capacité plutôt que par une baisse des fréquences en passant certains trains à des unités simples (371 passagers) plutôt que multiples (le double). Concrètement, on propose quotidiennement 8 AR Paris-Bruxelles, 5 AR Paris-Amsterdam, 2 AR Paris-Allemagne (Cologne ou Dortmund).
Deuxième mesure : l’offre Thalys Corporate Fair devient accessible à toutes les entreprises sans seuil d’entrée - habituellement de 10.000 € - et sans engagement. Ce programme est intéressant car il offre des réduction sur le tarif de référence : -10% en classe Premium, 8 en Confort, 5 en Standard. Mais ce sont peut-être surtout les conditions d’après-vente qui sont un vrai plus : le billet est remboursable à 100% jusqu’au lendemain du voyage ; il y a une souplesse d’accès au train à la journée (si mon rendez-vous se prolonge, je peux prendre le train de 18h plutôt que 16h, sans frais ni supplément) ; le billet est échangeable sans limite avant le départ. Enfin, l’offre permet un accès aux lounges de Paris-Nord et Bruxelles.
J’ajouterais - mais ceci concerne évidemment tous nos passagers - que le service, qui est dans l’ADN de Thalys, on ne l’a pas voulu au rabais : il est maintenu. Par exemple, depuis le 1er septembre, le service de restauration à la place a été rétabli en Premium. C’est particulièrement apprécié des clients corporate pour leur trajet aller, le matin, pour prendre leur petit-déjeuner.
Des trains de moindre capacité et donc moins rentables, des services maintenus à niveau… Où donc faites-vous des économies ? Et quand envisagez-vous la reprise ?
On fait des économies en back-office, en plan de transport, en logistique, en frais de fonctionnement mais pas service, effectivement. Et pas en personnel non plus : nous n’avons procédé à aucun licenciement. Quant à la reprise, c’est la question à 1 million de dollars. Entre des annonces de mesures sanitaires plus restrictives encore et la découverte d’un vaccin, il y a tous les possibles. On sait, de toute façon, qu’on a encore plusieurs mois de difficulté devant nous, mais je n’ai pas de boule de cristal ! Pour l’avenir à plus long terme, je suis confiant. Thalys était sur une période de croissance intéressante depuis 2017. Pour parler des deux années ante-Covid, on a transporté 7,5 millions de voyageurs pour un CA de 527M€ en 2018 puis 7,85 millions de passagers pour un CA de 549,5M€ en 2019. Le souci environnemental, le transport de centre-ville à centre-ville, le temps utile… Toutes les raisons qui ont fait le succès du ferroviaire en général et de Thalys en particulier ces dernières années seront toujours valides.
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