Lyria (Fabien Soulet) : “Notre clientèle préfigure le voyage d’affaires de demain”

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Lyria (Fabien Soulet) : “Notre clientèle préfigure le voyage d’affaires de demain”
Crédit BBouillot

Chez Lyria, le moral est au beau fixe notamment concernant la clientèle corpo. Fabien Soulet, son CEO, nous parle du choc d’offres que son entreprise engage, de l’avantage de son train sur l’avion… et même de la visioconférence créatrice de voyages !

Alors qu’on n’en est qu’aux prémisses d’une reprise du business travel, vous décidez d’augmenter vos places disponibles d’un tiers. Pourquoi une telle décision ?

On sort du covid après avoir souffert et notre marché reprend bien depuis février, y compris le corpo qui représentait un gros tiers de notre clientèle en 2019. On a choisi d’être offensifs, effectivement, et ça se matérialise par une grosse augmentation de capacité. Depuis le 28 mars, nous effectuons 17 AR quotidiens entre Paris et nos quatre destinations suisses : Genève (8 AR), Lausanne (6), Bâle et Zurich (6). En plus de fréquences plus importantes, nous utilisons de nouvelles rames à deux étages, acquises en 2019, transportant 500 passagers contre 350. Ce qui nous permet de passer de 13.500 places quotidiennes en 2019 à 18.000 depuis ce lundi. Ces quelque 4.500 places supplémentaires correspondraient, dans l’aérien, à l’ajout d’une trentaine de vols chaque jour en A319 ou A320.

Vous m’avez dit “comment” mais pas “pourquoi”...

Parce qu'on a la conviction que le voyage d’affaires en train va repartir rapidement et plus rapidement que le reste du marché. C’est, pour le ferroviaire, le paradoxe de cette crise : évidemment elle nous a fait souffrir pendant deux ans comme tout le monde mais elle a aussi révélé la pertinence du choix du train, je pense à la  préoccupation environnementale, notamment. 

A ce titre, on n’a jamais eu de relations aussi denses avec nos grands comptes que pendant la crise sanitaire au moment où il n y avait plus de voyages : nos équipes commerciales ont été très sollicitées par les travel managers et les acheteurs dès juin 2020, une fois la sidération passée, sur le thème : “On veut faire un reset de nos PVE. Nos directions nous demandent des objectifs RSE, etc”. Et dans cette redéfinition des PVE, le train est encouragé voire obligatoire pour les trajets de 3 ou 4 heures de centre-ville à centre-ville. On sait que la bascule de l’avion vers le train se fait autour de 3h30 et nous sommes justement dans ce périmètre-là : Paris-Bâle 3h04, Genève 3h11, Lausanne 3h40, Zurich 4h.

Vous l’avez dit, vos temps de trajet sont à la bascule train/aérien mais certains voyageurs sont très attachés à l’avion. Comment les convaincre ?

Ce que vous dites est juste. C’est notamment le cas des voyageurs de grands comptes qui font aussi des déplacements intercontinentaux et dont le réflexe “avion” est bien ancré. Mais précisément - c’est un des autres “avantages", si je puis dire - de cette crise : la raréfaction des vols a obligé certains d’entre eux à utiliser le train. Et ils l’adoptent. C’est la preuve par l’exemple. En conséquence, ce qu'il y a de nouveau c'est que le train est désormais dans le scope de tous les voyageurs d’affaires, je dis bien “tous”, y compris ceux que l’on vient d’évoquer.

Pourquoi une telle adoption ?

Le point fort du train c'est évidemment le temps utile. Une étude vient de montrer que lorsque 83% du temps en train est utile, c’est seulement 30% pour l’avion, avec en plus, pour le train, une bonne connexion wifi, c’est du moins le cas tout au long de nos lignes, à part dans les tunnels. Avec le développement de la visio, le train se transforme en véritable bureau mobile. Pour le dire trivialement, le train et le BT, c'est le beurre et l’argent du beurre : le bénéfice de la visio et du télétravail auquel s’ajoute celui du rendez-vous en présentiel à l’arrivée. 

©Vincent Dixon

Fort de ces arguments, quelles sont vos offres “entreprises” ?

On propose deux grandes offres : grands comptes et PME. On négocie un contrat avec les entreprises en fonction de leur nombre de voyages et plus on va vers le grand compte, plus c’est personnalisé. L’objectif est donc de s’adresser à des entreprises de toutes tailles mais aussi de correspondre à des PVE différentes. L’un des grands principes généraux de l’offre entreprise est la flexibilité des billets.

Et le prix ?… C’est aussi un des objectifs de ce “choc d’offres” ?

Oui, le saut quantitatif est tellement massif qu’on ne se contente pas d’attendre sagement les changements d’habitude donc oui, notre politique tarifaire est plus agressive. On a une offre avant tout loisir à 49€ sur un nombre de trains important jusque 15 jours avant le voyage. Pour le corpo, on passe par nos offres entreprises négociées, toujours flexibles… Objectivement, sauf dans le cas extrême du vol Easyjet réservé un mois à l’avance etc, on est beaucoup moins cher que l'aérien. Je vais prendre un exemple extrême. Nous avons 3 classes : première, seconde et une classe premium qu'on appelle “business première” (notre photo) : tout le confort de la première avec des services particuliers, notamment un repas semi-gastronomique chaud servi à toute heure de la journée mais aussi un entre-soi et du calme, dans cette voiture 11 en bout de train, sans passage. Le prix est fixe : 195 € pour Genève et Lausanne. Si on réserve environ 15 jours avant son départ un billet sur une grande compagnie aérienne, ce sera environ le double, au minimum +50%. Donc nous sommes très compétitifs, même sur cette classe et d'autant plus compétitifs que le voyageur de l’aérien va y retrouver le confort d’une business class qui n’existe d'ailleurs plus sur les moyens courriers. 

Quand vous parlez de concurrence, vous ne parlez que de l’aérien. Qu’en est-il de celle du ferroviaire ?

Je n'ai pas connaissance d’un projet sur nos lignes. J’ajoute que la Suisse n'est pas dans l'UE, les règles de la concurrence ne sont donc pas tout à fait les mêmes. En revanche, Trenitalia sur Paris-Lyon empreinte la LGV qui est aussi la nôtre (jusqu’à Mâcon, pour se rendre à Genève, ndr) donc il est possible que nous ayons un impact de second niveau dans les années qui viennent, en termes de bougés d’horaires par exemple. 

Donc oui, notre concurrence, c’est l’aérien et elle est très forte. C’est d'ailleurs une spécificité de Lyria que d’être en concurrence aussi frontale avec l’aérien : sur toutes nos routes il y a de grands aéroports voire des aéroports internationaux. Ainsi que des compagnies puissantes : Swiss, Air France et Easyjet pour Genève. Avant la crise, Paris restait la deuxième destination de l’aéroport de Genève après Londres. Je pense que d’ici fin 2022 le poids de l’avion va beaucoup baisser sur nos trajets.

Quels sont vos objectifs en nombre de passagers ?

En 2019, nous en avons transporté 4,5 millions de voyageurs et un peu plus de la moitié en 2021. Le début 2022 est tronqué par Omicron mais je pense qu’en fin d’année on aura de nouveau atteint les 4,5 millions de 2019. Et que ce chiffre sera dépassé en 2023. Cet optimisme, qui concerne notamment le corpo, est aussi étayé par un constat : en termes de voyageurs d’affaires, le mois de novembre de 2021 correspondait à 85% du mois de novembre 2019, alors que les autres transporteurs confondus (ferroviaires des autres lignes et aérien) n’en étaient qu’à 65 ou 70% d’après la récente étude due au think tank Marco Polo. C’est dû à nos prises de parts de marché sur l’aérien. C’est ce potentiel qui est extraordinaire pour Lyria. Je pense que les conditions sont très favorables au train en général mais je n’aurais pas les mêmes perspectives de croissance sur un Paris-Lyon ou un Paris-Lille, bien sûr.

Prendre des parts de marché à l’aérien, certes. Mais peut-être que ça ne fera que compenser la baisse des déplacements professionnels en général…

Nos voyageurs d’affaires ont une spécificité : la durée de leur séjour en Suisse est de 2 ou 3 jours - l’aller-retour dans une journée n’arrive qu’en troisième position. Déjà avant la crise, en raison de la durée du trajet, ils groupaient leurs rendez-vous. Ils le feront d’autant plus après et je pense que la visio aura beaucoup moins d’impact sur ce genre de déplacements à fort ROI. De plus, le premier motif de ces déplacements est le rendez-vous externe (clients, fournisseurs, partenaires), ensuite la formation, les events, les salons… Et seulement en troisième position, les réunions internes, celles qui sont les plus susceptibles d’être remplacées par du distanciel. C’est une typologie d’avant crise qui préfigure le voyage d’affaires qui va s’appliquer en général.

De plus, je suis plutôt optimiste concernant l’impact de la visio sur le BT. A court-terme, oui, bien sûr, certains voyages seront remplacés au profit du distanciel mais à plus long terme, c'est moins évident. Je m’explique : la visio permet de multiplier les échanges, les interactions à distance et grâce à cet outil on pourra développer des projets opérés par des équipes disséminés plutôt que sur un site comme nous avons l’habitude de le faire, ou encore développer des partenariats extérieurs plus lointains, plus nombreux et plus fréquents. Or ces gens-là devront se rencontrer à certains moments. Ce qui engendrera de nouveaux voyages, qui n’auraient pas eu lieu sans les outils de communication distancielle. Donc dans 2 ou 3 ans chaque personne voyagera moins mais les personnes voyageant seront plus nombreuses. J’imagine qu’à une époque on a pu croire que le téléphone diminuerait le nombre de déplacements, ça n'a pas vraiment été le cas…