Nous avons profité de la présence d'Olivier Pinna , directeur du marché Affaires de la SNCF, au congrès des Entreprises du voyage (EDV) pour lui oser des questions. De la politique commerciale "entreprises" à la commission "agences", du télétravail au rapport avec l'aérien, interview omnibus.
Vous êtes présent au congrès des EDV en tant que partenaire. Il n’empêche qu’avec les agences de voyage, la négociation est serrée concernant les commissions…
Olivier Pinna : Tous les trois ans se tient une convention qui détermine les commissions versées aux agences de voyage sur la vente des billets de train. Depuis quelques mois, nous avons rouvert ces négociations qui se terminent fin 2022. Actuellement, cette commission est de 3%. Nous avons fait une proposition. Elle est moindre mais je juge cette baisse presque symbolique. Nous prenons en compte la période difficile traversée par les agences mais nous sommes bien obligés de constater que la SNCF aussi a été très impactée par la crise sanitaire. Donc à partir de là, on essaye d’avoir une discussion équilibrée. J’ajoute que les négociations portent aussi sur un accès facilité, pour les agences, à l’offre TGV OUIGO.
[Plus tard dans le congrès, Jean-Pierre Mas, président des EDV, abordera ce sujet. En substance, il a déclaré que les dossiers “commissions” et “OUIGO” devaient être scindés. Que le résultat des négociations sur l’un ne devait pas impacter celles de l’autre : “On n’est pas au souk de Marrakech”, a-t-il ajouté. Puis, sur un mode plus conciliant, il exprima son optimisme sur la conclusion d’un accord acceptable pour les deux parties avant la fin de l’année. Mais que le temps pressait.]
La RSE est au cœur des préoccupations des entreprises et le rail se targue d’être durable. Le voyage d’affaires en train est-il “tendance” ?
D’abord, la mobilité durable est effectivement dans notre ADN : on émet, pour un même trajet, 80 fois moins qu’en avion, et 50 fois moins qu’en voiture individuelle. Concernant l’appétence des entreprises pour la RSE, avant la crise, on était plus dans l'affichage. Depuis, on constate que de vrais choix sont faits dans les PVE : pour certaines grandes organisations, les seuils sont remontés pour une bascule avion / train à 3 ou 4 heures de trajet avec parfois des pénalités en cas de non-respect. Mais au-delà des PVE qui se durcissent, le tropisme aérien, très ancien dans certaines entreprises, pour des raisons statutaires, historiques, ou plus simplement des habitudes, est en train de s'effilocher. La crise a, là aussi, joué un rôle clé : la raréfaction des vols a obligé à des changements de comportement à l’issue desquels le taux d’adoption du train est très grand. Car les voyageurs ont pu expérimenter, outre une meilleure performance RSE, le confort, le temps utile, la desserte en centre-ville… Ce phénomène de bascule est assez généralisé pour qu’on le constate clairement dans nos chiffres.
Parlons chiffres, justement. Où en est-on du business travel (BT) à la SNCF ?
Avant la crise, le BT à la SNCF représentait environ 20% des passagers et 30% des revenus. Aujourd’hui, ces chiffres sont plus bas car le BT a moins repris que le loisir ou l’affinitaire : environ 15% du volume, mais ça remonte - en avril 2022 on est à 75% des chiffres de 2019. Je pense cependant que certaines entreprises ne revoyageront plus jamais comme avant car de nouvelles habitudes ont été prises. Mais cette nouvelle normalité sera en partie compensée pour nous par cette tendance à la bascule dont je viens de parler. On espère retrouver les niveaux de 2019 vers 2024.
Dans ce contexte, les PME reviennent plus vite que les grands groupes parce que la reprise du voyage leur est plus impérieuse en termes de business et parce que les PVE y sont moins contraignantes. Il y a 15 points de différence entre le retour des PME-PMI et les grands groupes, mais, globalement, tout le monde revient : les PVE des grands groupes ont relâché la pression depuis octobre, tendance certes atténuée par la 5ème vague aujourd'hui derrière nous.
Mais cette nouvelle donne post-Covid offre aussi de nouvelles opportunités. Je pense en particulier à ce quotidien longue distance que nécessite le télétravail à 2 ou 3 heures du siège de l’entreprise.
Considérant cette nouvelle donne, quelles adaptations avez-vous opérées dans votre politique commerciale “entreprises” ?
Depuis décembre dernier, nos traditionnels contrats Pro (pour les PME-PMI, ndr) et Grands comptes ont été enrichis de nouveaux avantages : des remises faciales sur la Seconde - ce qui n’était pas le cas avant - pour répondre à une tendance à un certain “déclassement” du voyageur d’affaires, des remises plus importantes sur certaines routes, un système de discount lié à des objectifs de réduction d'émission de CO2…
En outre, nous avons créé un contrat intermédiaire, le Premium, pour les grosses PME qui voyagent fréquemment et peuvent prétendre à plus d’avantages qu’un contrat pro de base.
Il n'y a pas de seuil pour le contrat Pro qui donne directement 5% de remise sur la Première et sur deux routes préférentielles en Seconde, ainsi que d’autres avantages tels que la délivrance d’un reporting dédié.
Dans tous les cas, les billets sont full flex et à tarif fixe. Tous ces avantages peuvent se cumuler de façon très cadrée avec des tarifs négociés auprès de la TMC qu'utilise l’entreprise. Depuis le mois de décembre plus de 40.000 entreprises y ont adhéré.
La politique commerciale “Farandou”, c’est que tous les usagers s’abonnent. Outre ces contrats entreprises, que proposez-vous au voyageur d’affaires individuellement ?
La carte Liberté a été lancée en mai 2019. Elle s’adresse aux voyageurs d’affaires fréquents. Les niveaux de réduction sont de 45% en Première et de 60% en Seconde par rapport au tarif de référence Business Première. Les billets achetés avec la carte Liberté sont 100% flex et en première classe, le porteur bénéficie des services de la Business 1ère.
Elle est utilisable le week-end, et le porteur de la carte peut même en faire bénéficier ses enfants le week-end (jusqu’à 11 ans, ils paient 50% du prix du billet payé par le titulaire). Elle coûte 399 €, ou 379 € dans le cadre des contrats entreprises. Des nouveautés sur la carte Liberté seront annoncées en juin.
La SNCF est un observatoire pertinent du phénomène de télétravail longue distance. Que pouvez-vous en dire ?
Pour l’instant, le phénomène ne justifie pas de tout chambouler mais c’est une réalité émergente sans aucun doute, et assez importante pour qu’on la constate dans nos chiffres : si l’on garde évidemment nos pics de fréquentation du vendredi soir, du dimanche soir et du lundi matin, on observe aussi, sur les routes à plus ou moins 2 heures des plus grandes villes, des pics les mardis matin et jeudis soir. On analyse ça de très près car ça impacte potentiellement notre production, la mise en place de nos dessertes. Notons que ces nouveaux télétravailleurs justifient aussi les améliorations apportées au service Intercités qu’on oublie trop souvent.
Réalité assez importante pour qu’on adapte notre offre aussi. On a créé le Forfait Max Actif, valable du lundi ou jeudi. C’est un abonnement annuel comprenant 250 voyages (soit l’équivalent de 2 à 3 jours télétravaillés par semaine). Sont éligibles toutes les destinations TGV INOUI et Intercités en France, mais pas le TER. Son prix est variable en fonction de la route choisie, mais on peut dire qu’il est en moyenne autour de 300 €. Et, bien sûr, il offre des remises plus importantes que les cartes Avantages particuliers. On compte déjà entre 6000 et 7000 abonnements.
L’actu récente de la SNCF, c’est bien sûr l’ouverture du rail à la concurrence. Comment la vivez-vous ?
Elle est là, c’est un fait. Trenitalia propose 5 AR Paris-Lyon quotidiens, nous 22. On en prend acte avec sérénité : on améliore notre service (des services restauration supplémentaires sur le Paris-Lyon, par exemple) ou on restructure quand c’est nécessaire, comme dans le cas de la prochaine fusion Thalys-Eurostar.
Mais la concurrence, ce sont aussi des opportunités pour la SNCF dans d’autres pays européens. On en profite depuis mai 2021 avec l’ouverture de la ligne TGV entre Barcelone et Madrid, avec des taux de remplissage de 90% ou plus. On a d'autres projets européens, pas assez avancés pour être rendus publics. Au final, la concurrence stimule le marché et nous stimule aussi.
De nombreux acteurs de la distribution aimeraient vendre des billets reliant tous les points de l’Europe. Sera-ce un jour possible ?
Que cette volonté existe, c’est une très bonne chose mais on se heurte aussi à des réalités opérationnelles : tout n'est pas interopérable, mais les choses avancent. Grâce à Eurostar-Thalys, on peut aller de Londres en Allemagne, par exemple. Il y a des réflexions sur des standards interopérables au niveau de la distribution mais, pour l'instant, les accords ne sont que bilatéraux.
A l’image du projet Midnight Train, de nombreux petits acteurs émergent. Que pensez-vous de leur offre ?
Oui, il y a effectivement Midnight Train (des cabines high standard reliant de nuit les grandes villes européennes, attendues pour 2024, ndr ) qui est une sorte de revival “Orient Express”, mais aussi la relance des trains de nuit par la SNCF, en France et en Europe (Paris-Vienne). Mais encore Raillcoop qui veut relancer, en organisation coopérative, le Lyon-Bordeaux. Ou enfin Le Train, pour exploiter des routes le long de la Côte atlantique. Toutes ces initiatives remettent le train en avant, sont complémentaires de notre offre, ou alors en concurrence, et, dans ce cas, c’est à nous d'être à la hauteur. Et dans tous les cas, c’est bon pour la planète.
Des représentants d’Air France sont présents à ce congrès des EDV. Quand vous les croisez, vous vous faites la bise ?
Les déclarations de Jean-Pierre Farandou (PDG de la SNCF, ndr) ont pu heurter les dirigeants d’Air France. Mais il a, depuis, clarifié son propos. Quand il disait que l'avion n’était pas assez cher au regard de son coût environnemental, il visait avant tout les compagnies lowcost. Dès lors, ces airlines constituent une forme de concurrence déloyale et ont un impact négatif en termes écologiques. Avec Air France, on s'est “rabiboché”, d'autant qu'on travaille ensemble sur le sujet de l'intermodalité.
[Après cet entretien, Christophe Pouille, présent lui aussi au congrès des EDV et en charge du dossier “Train+Air” à la SNCF, a déclaré que ce type d'intermodalité était mis en place avec 12 compagnies aériennes (dont AF), au départ de 18 gares françaises. Un avantage : une seule résa, un seul billet. Une garantie : une place sur le vol suivant en cas de retard du train. Une nouveauté : à partir de juin, une offre digitale simplifiée.]