Tribune JL Baroux : Comment gérer le cours du pétrole ?

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Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes. Créateur du World Air Transport Forum et de l’APG, il fait le point sur l’impact de l’envolée du cours du pétrole sur le marché de l’aérien. 

C’est un peu l’affolement dans le monde des compagnies aériennes devant les conséquences inéluctables du conflit Russo-Ukrainien, dont l’une des premières est l’envolée du cours du pétrole. Il est vrai que cette source d’énergie est indispensable au transport aérien. Sans elle, pas de Jet A-1, le kérosène qui alimente les moteurs des avions. Le temps où l’on pourra s’en passer est très lointain. On n’a pas encore trouvé comment libérer l’énergie suffisante pour faire décoller des appareils qui pèsent plus de 350 tonnes sans son apport. Alors l’attention portée au cours du pétrole de la part des dirigeants est très explicable.

C’est d’ailleurs un vrai casse-tête. Prenons comme base le cours du baril de BRENT, et d’ailleurs de quoi parle-t-on ? L’acronyme BRENT vient de la première lettre des 5 principales plateformes pétrolières de la mer du Nord : Broom, Rannock, Etive, Ness et Tarbit. L’unité de transaction est le baril qui équivaut à 36 gallons de 3,78 litres. Autrement dit, un baril contient 136,08 litres. Ce sont des mesures anglo-saxonnes et on peut remercier les révolutionnaires de 1789 pour avoir imposé le système métrique tout de même plus logique.

Alors on surveille de très près le cours du baril de BRENT qui est directement relié au prix du Jet A-1 que les compagnies achètent. Le 11 mars 2022, le Jet A-1 était vendu 145,62 € l’hectolitre HT et 174,74 € TTC. Rappelons que l’aérien est exempté de la fameuse TICPE (Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Energétiques) qui se monte par exemple à 60,69 centimes d’euros pour un litre de sans plomb 95 ou 98. Bref, il faut être tout de même très spécialisé pour se retrouver dans ce maquis.

Augmentation du baril de BRENT : quand s’arrêtera-t-elle ? 

L’augmentation du baril de BRENT inquiète les transporteurs. Il est passé d’une moyenne de 70 dollars à 112,3 dollars aux dernières cotations. La crainte est qu’il s’envole encore un peu plus. A 70 dollars le baril, le poste carburant correspond à un montant de 18% à 20% des coûts, ce qui est déjà considérable. Autour de 120 dollars il frise les 30% s’il ne les dépasse pas. Mais dans le passé il a déjà franchi la barre des 130 dollars. Il cotait par exemple 134 dollars en juillet 2008. Sa volatilité est d’ailleurs impressionnante car, en décembre 1998 il était à 9,90 dollars et, plus récemment, il est descendu à 19 dollars en avril 2020. Il faut dire que cela correspondait à l’effondrement subit du transport aérien suite à la fermeture des frontières liée au désastreux Covid. Mais enfin en janvier 2016, en pleine prospérité il ne s’échangeait qu’à 31 dollars.

Alors pour se protéger de ces variations imprévues et d’ailleurs imprévisibles, les compagnies aériennes achètent des couvertures par des instruments financiers appelés SWAP. En clair, elles parient sur un prix futur du carburant et elles se protègent à ce tarif-là auprès des organismes financiers ou même directement auprès des pétroliers. Par exemple, Air France/KLM s’est protégée à hauteur de 72% de sa consommation pour le premier trimestre 2022 et le taux de couverture est passé à 63% pour le deuxième trimestre, puis à 42% pour le troisième et 28% pour le quatrième, à un prix oscillant entre 85 et 90 dollars. Cette diminution progressive est très logique car plus on s’éloigne dans le temps et plus les incertitudes sont grandes.

Le cas des low cost 

Tous les transporteurs ne suivent pas la même stratégie. Ryanair par exemple, tout comme Southwest Airlines, a une politique de couverture beaucoup plus forte alors que Wizzair ne fait aucune couverture de carburant. Ce n’est pas non plus étonnant compte tenu de la complexité du sujet. Dans le premier cas, il s’agit pour le transporteur de sécuriser les bases sur lesquelles il construit son budget alors que dans l’autre, il s’agit pour la compagnie d’adapter ses prix de vente aux fluctuations du marché.

En fait, chaque compagnie essaie d’être plus futée que ses compétiteurs et ainsi de se créer un avantage concurrentiel. Mais au fond est-ce que ce n’est pas simplement un exercice plus intellectuel qu’autre chose ? Si le pétrole se maintient durablement au niveau où il est actuellement les compagnies couvertes à des niveaux inférieurs n’hésiteront pas à créer des surcharges carburant qui leur amèneront un profit marginal conséquent. Si par contre le prix du baril s’effondre, elles continueront à payer leur carburant au prix fort et se trouveront alors très pénalisées vis-à-vis d’autres transporteurs qui n’auront pas de couverture.

Je suis tout de même étonné de telles pratiques en sachant que les transporteurs peuvent faire varier leurs tarifs d’une minute à l’autre. Pourquoi alors les prix ne sont-ils pas tout simplement indexés sur le cours du pétrole ? Les clients y gagneraient certainement en compréhension.