Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes. Créateur du World Air Transport Forum et de l’APG, il revient dans cette tribune sur le renouvellement de flotte des compagnies et leur importance pour bâtir le transport aérien du futur.
Les commandes continuent à pleuvoir auprès des constructeurs. Ryanair a récemment placé un ordre portant sur plus de 300 Boeing 737 de nouvelle génération, Easyjet vient de répliquer, si l’on peut dire avec une commande de 257 Airbus de la série 320 Neo. Cela fait suite aux achats à terme de la part d’Air France, de KLM, et des grands opérateurs américains dont les commandes cumulées se montent à plus de 1000 appareils, sans compter les commandes indiennes, un millier d’appareils et des autres transporteurs asiatiques. Pendant des années, une grosse commande représentait plusieurs dizaines d’appareils, maintenant, c’est devenu plusieurs centaines et pourquoi pas quelques milliers dans le futur ? Où s’arrêtera cette frénésie ? La question est d’autant plus importante que ces achats vont dessiner le transport aérien futur sur plusieurs décennies. Les appareils commandés, plus de 15.000 en tout à ce jour, seront livrés à cadence de 150 par mois, ce qui représente tout de même 100 mois de production soit plus de 8 ans. Autrement dit, les commandes actuelles ne seront finies de livrer qu’entre 2030 et 2035.
Des nouvelles générations aux commandes de l’économie
Seulement les nouveaux appareils ont une durée de vie bien supérieure aux anciens. Dans les années prospères de 1970 à 1990, les avions devaient être renouvelés tous les 15 ans. Les nouveaux sont beaucoup plus performants et ont une durée de vie double. Cela signifie que les appareils livrés en 2030 seront encore en service en…2060. Et bien entendu, les commandes ne vont pas s’arrêter là. On peut légitimement s’attendre à une nouvelle rafale de l’ordre de plusieurs milliers d’appareils par an de toutes tailles, et de même conception. Actuellement, les flottes combinées des compagnies aériennes représentent autour de 30.000 avions. On va probablement vers les 50.000 à échéance de 2040. Alors, la question reste de savoir comment un tel développement sera accepté par les générations qui seront alors aux commandes de l’économie.
Il est frappant de voir comment la tranche de population qui sort des études est imprégnée de la sauvegarde de la planète. Les écologistes l’ont bien compris. Ils ont utilisé à fond les moyens de communication et d’influence que représentent les réseaux sociaux sur cette population. La « honte de voler » est maintenant bien implantée dans les esprits de ceux qui sont nés après l’an 2000, même si cela n’empêche pas le développement des voyages aériens des jeunes générations. Mais pour combien de temps ?
En 2040, cette génération aura pris les commandes de l’économie. Elle remplacera les décisionnaires actuels qui ont pris l’initiative des commandes gigantesques de nouveaux appareils en projetant sur le futur ce qu’ils ont connu par le passé, c’est-à-dire une croissance régulière de 5% par an. Certes tous ont bien conscience de la nécessité de faire tendre le transport aérien vers la neutralité carbone, mais comment y arriver avant que la nouvelle génération prenne le pouvoir ?
Une communication pour les jeunes gérer par les jeunes ?
Il est frappant de voir combien la communication des avancées écologiques du transport aérien, qui sont bien réelles, est véhiculée par des moyens classiques, disons historiques, alors que la génération future ne se sert et n’écoute finalement que des réseaux sociaux. Le lobbying du transport aérien, s’il existe, ce qui reste à démontrer, se sert des vecteurs historiques : la télévision, les journaux, la radio. Il crée des colloques, des conférences et débats qui n’intéressent que la génération actuellement au pouvoir. Et c’est d’ailleurs bien compréhensible. On n’utilise que ce l’on connait.
Il devient urgent de confier la communication sur l’utilité indéniable du transport aérien aux acteurs de moins de 30 ans. Seuls, ils seront capables de s’adresser efficacement aux personnes de leur âge, ceux qui vont prendre les manettes et qui devront le faire accepter aux futurs gouvernements et à la tranche de population qui a moins de 30 ans. Ils utiliseront des moyens que nous avons de la peine à comprendre, je veux parler des influenceurs, et des réseaux sociaux dont la majorité des responsables actuels ne savent pas ce qu’ils sont, à qui ils s’adressent et comment s’en servir.
Le décalage de comportement envers l’information est considérable entre ceux qui disposent des moyens, c’est-à-dire la génération des quarante à cinquante ans actuellement au pouvoir et celle qui va lui succéder. Il y a même pour tout dire une certaine incompréhension entre elles. Comment combler cette différence, voilà un sérieux sujet de réflexion.