Pourquoi les gares et aérogares ressemblent de plus en plus à des malls

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Pourquoi les gares et aérogares ressemblent de plus en plus à des malls
Extime, joint-venture ADP/Lagardère Travel Retail de commerces duty-free.

Xerfi vient de publier une étude sur le marché du travel retail en France à l’horizon 2025. Les commerces en gares, aéroports et aires d’autoroutes sont nombreux ? Ils le seront plus encore dans les années à venir.

"Le renouveau du travel retail en France, qu'elles perspectives d'ici 2025 ?", c'est le nom de la très intéressante étude que vient de publier Xerfi Precepta (une synthèse ici). A sa lecture, le voyageur comprend un peu mieux les enjeux et les stratégies des véritables centres commerciaux qu'il parcourt avant de prendre son train ou son avion...

Avec 6,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France en 2022, dont plus de la moitié pour les seuls aéroports, le commerce dans les zones de transit (aéroports (3,5 Mds€), gares (1,8), aires d’autoroutes (1,1) et stations de métro (300 M€)) ou "travel retail" affiche une santé insolente, quasi revenue à son excellente forme pré-pandémique. Une belle performance car la crise sanitaire l’avait évidemment frappé de plein fouet (une chute de moitié), à proportion de la baisse des déplacements domestiques et plus encore internationaux. 

De nouveau, le secteur a le vent dans le dos, porté par un contexte qui lui est favorable aujourd’hui et qui le sera plus encore demain. Le présent : la reprise du trafic aérien et la forte dynamique du marché du luxe. Les perspectives : le retour des touristes asiatiques, les JO de Paris 2024 (1,2 millions de visiteurs étrangers attendus), le Grand Paris Express, en premier lieu. Les inaugurations de nouvelles surfaces commerciales vont donc continuer à s'enchaîner dans les années à venir. Les ventes générées devraient augmenter de 7% par an en moyenne d’ici 2025 pour atteindre 8,2 milliards d’euros, selon les estimations de Xerfi.

Le luxe au cœur des aéroports

Alors que Camaïeu et Kookaï sont placées en redressement judiciaire, le travel retail, lui, ressemble à une chanson de Bashung, ce qui n'est pas si mal : en dehors du sanitaire, il ne connaît pas la crise car sa clientèle d’aéroport - qui porte le secteur - en subit les conséquences de façon bien moindre que le reste de la population. 

Les voyageurs en transit - environ un tiers du flux de CDG - dont le temps d’attente est généralement le plus long, sont l’objet de toutes les sollicitations commerciales. Parmi elles, bien sûr, les espaces duty free. A titre exemplaire, à l'été dernier, comme il est fait référence sur le site d'ADP, "Lagardère Travel Retail a été choisi pour devenir le coassocié du Groupe ADP au sein de la société Extime Duty Free Paris, dans le cadre du déploiement de la marque d'hospitalité et de retail, Extime". En jeu, 140 de points de vente de beauté, de gastronomie, de produits techniques et de mode.

A ce propos, Augustin de Romanet, PDG d'ADP déclarait en juillet 2022 : "Les aéroports étant de véritables lieux de vie, nos passagers veulent - une fois les formalités d'enregistrement et les contrôles passés - pouvoir se détendre, se divertir, faire du shopping et y trouver le meilleur de Paris et de la France en matière de commerces et services. Extime Duty Free Paris, expert du travel retail, fera rayonner à Paris la nouvelle marque d'hospitalité du Groupe ADP, Extime afin d'offrir une expérience unique et mémorable à nos passagers". "Passagers" signifiant ici "consommateurs"...

Mais outre ces espaces duty free, lieux quasi mythiques des hubs internationaux (aux "bonnes affaires" à vérifier car que gagne-t-on à une détaxe de 20% appliquée à des prix augmentés de 50% ? Le wifi est gratuit dans les aéroports parisiens, une vérification du tarif de son parfum chez Sephora, de son Monkey Shoulder chez son caviste est conseillée avant achat), les produits de luxe sont au cœur du dispositif des aéroports parisiens.

Ainsi, l’extension de 6.000 m² de son terminal 1, a permis à l'aéroport séquano-dyonisien d'accueillir une quinzaine de boutiques de luxe supplémentaires (Cartier, Celine, Chanel, Dior...). Et, au-delà du cas parisien et même français, l’étude indique que les dix plus grandes marques de luxe mondiales sont présentes dans les cinq premiers aéroports leaders du travel retail.

Le succès de cette gamme de produits est tel (+22% en valeur, en France, en 2022) que Benoît Samarcq, l'auteur de l’étude, le regarde avec une certaine circonspection : s’agit-il d’une tendance lourde et pérenne ou d’un phénomène de rattrapage post-Covid ?

Pas une interrogation à même de faire douter les directions d’aéroports puisque les projets d’extension ou de réaménagement permettant le développement de nouvelles surfaces commerciales se généralisent bien au-delà d’ADP. Ce sera notamment le cas pour Marseille Provence en 2024 ou de Nice Côte d’Azur en 2026, et, dès cette année, de Bordeaux Mérignac où l'on coupera le ruban de 17.000 m² de surfaces commerciales supplémentaires. 

Les gares au cœur des villes

Bien différente est la politique de Gares & Connexions, la filiale SNCF chargée de la gestion des gares de voyageurs du réseau ferré national français. Les grands projets développés ces 15 dernières années sont derrière nous. Ils ont avant tout répondu à l'augmentation du trafic ferroviaire mais ont joint l'utile au lucratif : les surfaces commerciales s'y sont déployées comme virus par temps humide. Après ceux, notamment, de Montparnasse et Saint-Lazare dans ces dernières années, la livraison des extensions des gares de Toulouse Matabiau, Lyon Part-Dieu et Paris Austerlitz viendront clore , en 2024, le chapitre "grands chantiers".

L'échec du projet pharaonique StatioNord (Gare du Nord) en 2022, sous la pression (et les recours en justice) des riverains notamment, a en effet sonné le glas du XXL. Mais en fin de course car, en fait, dit en substance l'étude, la boucle était bouclée : les gros hubs ferroviaires français ont à peu près tous atteint leur surface commerciale limite.

> Lire aussi : Gare du Nord, une transformation a minima

Désormais, pour Gares & Connexion, l'enjeu est de développer les revenus commerciaux et donc les surfaces commerciales, en les adaptant aux gares de villes moyennes. Et là, le pari qui est fait, c'est le commerce de proximité, voire la mutation des gares en "pôles de vie", en y intégrant des services tels que des centres médicaux (Rouen) ou des espaces de coworking (Annemasse), par exemple.

On comprend aisément une stratégie assise sur une donnée de localisation fort différente des aéroports : les gares sont en centre-ville. Avec un accès à ses commerces (et services, donc) par son parvis, les gares entendent s'adresser aux voyageurs, c'est entendu, mais également à des consommateurs purs et simples, en complément des commerces hors les murs de la gare. 

Le chantier du Grand Paris Express est une opportunité supplémentaire, et de nature exceptionnelle sur le territoire français. Ce réseau se déploiera en effet sur 68 gares connectées entre elles, de 2024 (extension de la ligne de métro 14 jusqu'à Orly) et 2030, fréquentées, selon certaines estimations, par 2 millions de passagers quotidiens. Parmi ces 68 gares, 28 hubs multimodaux connectés avec le réseau de la SNCF, dont les surfaces commerciales cumulées atteignent les 25 à 35.000 m². Pour relativiser : Créteil-Soleil ou les Quatre-Temps totalisent quelque 140.000 m²; en province, le Cap 3000 proximo-niçois, entre autres, itou. Cependant, souligne l'étude, ces espaces  "(vont) forcément aiguiser l’appétit des spécialistes du commerce en gare et des gestionnaires". On n'en doute pas, d'ailleurs, pour optimiser la rentabilité de ce vaste centre commercial à localisations éclatées, Gares & Connexions et la Société du Grand Paris ont signé un partenariat en 2017.

Être voyageur ET consommateur, une autre déclinaison de la multimodalité.