Satisfaction voyageur : la guerre et la pandémie auraient-elles bon dos ?
Dans un sondage GBTA auquel répondirent, en juin dernier, 547 personnes (dont 80% se partageaient à parts égales entre acheteurs/travel managers et fournisseurs), on a repéré ce tableau qui recensait les réponses à la question "Comment caractériseriez-vous l'impact (des circonstances actuelles) sur le retour aux voyages d'affaires non essentiels dans votre entreprise ?"
Depuis la stabilisation pandémique (cette expression a-t-elle un quelconque sens en termes épidémiologiques ? On ne saurait le jurer), praticiens et analystes du BT savaient fort bien que le séisme Covid provoquerait une onde de choc baissière outrepassant le duty of care : économie exsangue, budgets voyages rognés, peut-être, surtout, expérimentation intense de la visio, et, pour les plus optimistes, enjeu de durabilité.
Restons sérieux
L'enjeu de durabilité comme frein aux voyages d'affaires ? Ce tableau semble nous indiquer que cet augure, il faut le laisser aux Bisounours qui se sont injectés du plasma de Télétubbies dans les yeux, des synapses de licornes arc-en-ciel dans la cervelle. Restons sérieux.
Et le sérieux, ça se passe en Ukraine. Rappelez-vous la métaphore belliqueuse d'Emmanuel Macron en mars 2020 : "Nous sommes en guerre". Avec le recul, elle paraît de bien mauvais goût car la guerre, la vraie, depuis, sévit entre deux Etats souverains en plein cœur de l'Europe, comme à une époque qu'on croyait révolue. Et cette catastrophe supplante désormais le souci sanitaire : elle est cause de cessation de plus d'un tiers (35%) des voyages non essentiels, contre 29% pour le Covid.
La reprise du voyage d'affaires doit donc désormais faire face à une hydre à deux têtes : Covid et guerre en Ukraine, le reste n'est que conséquence de l'une, de l'autre, ou de la conjugaison des deux. Mais il y a une autre distinction que l'on peut établir :
- La cessation des voyages pour raisons économiques : risque de récession, inflation, prix des hydrocarbures...
- La cessation des voyages rendus impossibles par le facteur Covid ou la situation géopolitique : la visite d'un fournisseur en Chine ou d'un client en Russie par exemple...
- La cessation des voyages pour éviter l'inconfort aux voyageurs...
Inconfortable n'est pas impossible
C'est ce dernier point qui nous intéresse. L'inconfort, c'est, par exemple, l'allongement d'un trajet Europe-Asie par contournement du ciel russe. Ou encore : le maintien d'obligations sanitaires très contraignantes pour certaines destinations. Ou enfin la pénurie de personnel.
On avoue notre surprise et notre vif intérêt à la lecture de cette statistique : un quart des voyages non essentiels (24%) seraient purement et simplement stoppés en raison des "staffing shortages". Les "staffing shortages" en question, sont-ce ceux des entreprises clientes ? Oui, certainement, mais tout aussi certainement, à la marge. Plus vraisemblablement - et c'est une conséquence du Covid qu'on avait mal anticipée - ceux causés par le départ (volontaire ou forcé) des staffs d'opérateurs de voyages et, surtout, leur non-retour ! Lesquels de ces professionnels défaillants manquent le plus ? Ceux dont l'absence implique (liste non exhaustive)... Des annulations de vols ? Un parcours "aéroport" pénibilisé ? L'empêchement d'une communication fluide avec son agence de voyages ?
L'enquête ne va pas à ce niveau de détail mais quoiqu'il en soit, dans ce cas, c'est bien la difficulté du voyage qui freine la reprise et non son impossibilité. Mais quoi ? Dans l'hypothèse que tout personnel "fournisseurs" serait rendu à son poste, comme au temps mille fois béni du doux An de Grâce 2019, cela signifierait-il que le parcours voyageur redeviendrait ce suave chemin de sable chaud tapissé de pétales de roses ?
Conversation informelle
Ca nous rappelle cette conversation lors d'une soirée où votre serviteur tomba incidemment sur un manager "développement" d'une très grosse TMC. La soirée était 100% non professionnelle, l'heure était tardive, l'ambiance festive, le "food & beverage" adapté aux circonstances, pas assez, cependant, pour que ledit manager ne manque de nous préciser : "Si tu écris, tu ne me cites pas, hein" (lisez, vous allez comprendre dans quelle mesure la requête revêtait quelque pertinence)...
Le manager : On fait vraiment un boulot ingrat car le business travel, ça ne marche pas. Les gens ne sont pas contents. Et encore, moi, ça va, je ne suis pas en contact direct avec eux...
Votre serviteur : Quels gens ?
Le manager : Les voyageurs !
Votre serviteur : J'imagine... La période est difficile.
Le manager : Oh, mais même en dehors des circonstances, ça ne marche pas ! Les outils ne sont pas au point.
Votre serviteur : Mais les outils, tu ne crois pas qu'ils s'améliorent ?
Le manager : Pas sûr. Mais même s'ils s'améliorent, ça ne marche pas. Et si ça ne marche pas et que ça ne marchera jamais, c'est parce qu'au global, les gens, voyager pour leur boulot, ça les fait ch... Et franchement, je les comprends.
"Il faut imaginer Sisyphe heureux"
Membres éminents de l'écosystème du business travel, ou, du moins, ceux d'entre vous qui comptent la satisfaction du voyageur parmi vos objectifs, imaginez-vous en Sisyphe. Un Sisyphe qui, dans les circonstances actuelles, devrait gravir une montagne un peu plus haute (le Covid ou la guerre) ou pousser un rocher un peu plus gros (la guerre ou le Covid). C'est tout !
Ca vous aidera peut-être à vous imaginer, selon le souhait d'Albert Camus, en "Sisyphe heureux"... Rappelons, si nécessaire, le contexte de l'assertion camusienne : nous faire accepter l'absurdité de la condition humaine. En cette occurrence particulière : se taper (pour le compte du patron) retards, annulations, contraintes diverses et variées, éloignement de nos proches, dysfonctionnements, et autres jetlags éventuels, tout en étant HAPPYYYYYYY ! Il n'est pas déconseillé, pour y croire, de s'écouter le morceau idoine de Pharrel Williams. Et, au besoin, finalement, y ajouter du plasma de Télétubbies et des synapses de licornes arc-en-ciel (entendons-nous bien : en vente libre) n'est pas superflu.