Agir seul et vous faire payer tous : l’improbable croisade verte de l’Europe

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Vers où vole donc le projet européen d’échange de quotas d'émission (ETS, pour Emission Trading System), et surtout son extension au domaine aérien ? A quelle légitimité peut prétendre un système, certes concerté au niveau communautaire, mais qui suscite l’hostilité une fois sorti des limites de l’Union Européenne ? Les responsables de l’aviation civile, et pas des moindres, se succèdent à la barre pour accabler l’accusé ETS. Ils dénoncent, entre autres, le manque d’efficacité de l’entreprise. Mais personne ne s’y trompe : les acteurs du transport aérien craignent avant tout pour le portefeuille des compagnies, dans lequel la flambée du carburant a déjà fait un trou conséquent. Si la démarche environnementale initiée par l’Europe semble donc logique, et même louable, la méthode semble poser problème et pourrait bien tuer le projet dans l’œuf, ou du moins étouffer son efficacité.

Après les États-Unis, qui tapent régulièrement sur le projet ETS, c’est donc la Chine qui vient d’asséner un coup violent aux ambitions vertes de l’UE, en menaçant ses compagnies de mesures de rétorsion. Un coup qui semble enrayer la machine européenne, puisque ses dirigeants battent en retraite. Quelques jours après les menaces pointées par l’aviation civile chinoise, Bloomberg révèle mercredi que l’Europe réfléchirait à une « dérogation » accordée à l’Empire du Milieu. «Nous devons analyser les détails du projet chinois pour réduire les émissions des compagnies aériennes», indique ainsi dans le média économique Isaac Valero-Ladron, le porte-parole en charge des questions climatiques. Il précise quand même, crédibilité oblige, que «Tous les transporteurs doivent être traités de la même manière, quelle que soit leur nationalité, pour éviter de fausser la concurrence». Pourtant, l’Europe semble bien ouvrir la porte à des «aménagements» qui permettraient de ne pas froisser des partenaires puissants, mais qui mineraient ainsi la légitimité du projet quelques mois avant sa mise en place.
Concrètement, la Chine pourrait donc être autorisée à déroger à la règle, en prouvant à l’Europe qu’elle compense la non-application du système en menant des actions sur son propre territoire. On veut y croire, mais comment s’assurer des calculs, et tout simplement imposer un contrôle des chiffres face à un partenaire capable de faire vaciller un projet global en haussant la voix ?

Plus largement, si la Chine parvient à passer à travers les mailles du filet, comment expliquer aux autres pays extra-européens qu’ils devront, eux, se plier aux règles d’une institution auxquelles ils n’appartiennent pas. D'autant qu'au sein même de l'Union les États membres traînent des pieds, et obligent l'Europe à hausser le ton pour que les législations nationales s'adaptent au projet communautaire. On en revient alors au problème de fond du projet, qui pourrait bien lui coûter cher : une telle mesure peut-elle être prise au niveau européen et prétendre prêcher la bonne parole aux compagnies aériennes internationales ? Les enjeux financiers et politiques semblent bien peser trop lourd pour un système inédit dans le domaine aérien, pour que l’Europe puisse agir seule tout en faisant payer ses partenaires. Et la mise en place d’un système concerté au niveau mondial semble aussi complexe qu’inévitable.

Florian Guillemin