CDG Express ou la méthode de gestion étatique à la française

140

L’aéroport de Roissy Charles de Gaulle a été inauguré en 1973 avec une seule aérogare appelée maintenant Roissy 1. A l’époque, il a été tout de suite question d’une desserte rapide en site propre, entendez une voie ferrée. Formidable décision, car, bien entendu, il n’était pas question de créer une nouvelle grande plateforme aéronautique sans la relier avec la capitale.

Sauf que… La gare RER de Roissy a été implantée à 1 km de l’aérogare. Pourquoi donc une telle aberration ? C’est simple comme la France, il a fallu créer un compromis entre les différents acteurs concernés : Air France ne voulait pas voir un concurrent de sa desserte en bus, la RATP tenait ferme pour gérer une opération que la SNCF entendait bien exploiter, et Aéroport de Paris comptait bien trouver une utilisation à sa flotte de bus. C’est ainsi qu’au lieu d’amener directement les trains à l’intérieur du terminal, comme cela se pratique partout, le compromis à la française a accouché de cette situation qui ne satisfaisait personne, mais n’avantageait aucune des parties. Les clients, là-dedans étant, bien entendu les seuls oubliés.

Bon, Roissy s’est développé et l’aérogare 2 est devenue le pôle d’hébergement des grands terminaux, d’abord les 2A, 2B, 2C, 2D, puis 2F, 2E et ses extensions. Alors une gare a été créée, celle-ci au point de jonction des terminaux avec une vocation double : un arrêt des TGV et, bien entendu la desserte de Paris.

Sauf que… La voie utilisée pour entrer dans Paris est la même que celle qui desserte les banlieues nord. Et bien entendu au prétexte de l’égalité, autre valeur bien française, il n’était pas pensable que les clients capables de payer beaucoup plus cher que les banlieusards soient privilégiés et qu’ils puissent avoir, sur les mêmes voies, une desserte quasiment privatisée. C’est ainsi que, pour aller de la gare du Nord à Roissy, les trains sont obligés de respecter 11 arrêts et que les clients qui arrivent des Etats Unis ou d’Asie avec leurs bagages et leurs contraintes horaires, se retrouvent mélangés à une population, certes très valeureuse, mais qui n’a ni les mêmes besoins, ni les mêmes moyens. Bref, tous les responsables tombent alors d’accord sur la nécessité de créer entre Paris et l’aéroport de Charles de Gaulle, le grand point d’entrée sur le territoire français, un accès rapide avec des rames adaptées à la clientèle aérienne. Enfin, un outil digne de l’image de marque de grande qualité que les Pouvoirs Publics veulent donner de la capitale.

Et tout le monde de se mettre en chantier pour lancer le projet dès 2003. Celui-ci est important, mais il utilise la voie ferrée centrale ce qui interdit les arrêts intermédiaires. Le montant est alors de 600 millions d’€, somme déjà respectable. Et la mise en service est prévue pour 2012.

Sauf que … De discussions en commissions, personne n’arrive à se mettre d’accord, ni sur le tracé, ni sur le point d’entrée dans Paris, le trafic vers la gare du Nord est saturé aux dires de la SNCF. Et le projet s’enlise pendant que le trafic de Charles de Gaulle passe de 30 à 70 millions de passagers et que l’autoroute A1 devient complètement engorgée aux heures de pointe. Donc, en attendant que le projet du fameux CDG Express veuille bien avancer, on neutralise une des 3 voies de l’autoroute A1 pour que les taxis et les bus puissent circuler plus aisément. Bon, les oubliés sont les clients qui utilisent une voiture particulière.

Entre temps, les études sont poursuivies. On crée même une mission particulière confiée à Pierre-Henri Gourgeon, le fraichement débarqué président d’Air France/KLM et le budget passe de 600 millions d’€ à plus de 2,5 milliards, bref une multiplication par 4 en 13 ans. Pas mal comme taux d’inflation. Car ou bien le premier budget était entièrement sous-estimé et alors, bravo, les concepteurs, ou l’actuel est grossièrement surestimé. Bref personne ne peut vraiment dire combien cela va coûter à la sortie. D’autant plus qu’il faut maintenant trouver les financements. Qui va payer l’ardoise ? Le premier projet était supporté par Vinci, la seule société qui avait soumissionné à l’appel d’offres. Plus compliquée est la situation actuelle. Finalement, cela devrait être piloté par une société commune entre Paris Aéroports et la SNCF.

Sauf que… L’addition est terriblement élevée et Paris Aéroports a de gros investissements à faire pour rénover ses aérogares qui en ont bien besoin. Alors, comme on sait si bien le faire en France, les Pouvoirs Publics décident de faire payer les passagers en prélevant une taxe, finalement supportée par ceux qui ne pourront surtout pas bénéficier du CDG Express lequel sera au mieux opérationnel dans une dizaine d’années. Bien entendu, les compagnies aériennes au premier rang desquelles Air France, poussent des cris d’orfraie. Il faut dire qu’elles ont quelques bonnes raisons pour cela. Elles ne sont pas les promoteurs de l’opération et elles ne tireront aucun bénéfice de l’exploitation future car elles ne seront pas actionnaires.

Devant cette montée de bouclier, le Secrétaire d’Etat aux Transports, Alain Vidalies, décide que d’une manière ou d’une autre Air France, qui crie le plus fort, sera compensée du montant de la taxe payée. Bref, on garde la taxe stupide dont le montant de 30 millions d’€ représente une goutte d’eau dans le projet et on créé un système de compensation de manière à ne pas la rendre douloureuse.

Qui a dit qu’on ne marchait pas sur la tête ?

Jean-Louis Baroux
Jean-Louis Baroux fonde en 1983 Air Promotion Group qui deviendra le leader français dans la représentation de compagnies aériennes. En 1991, il crée APG Global Associates, premier réseau mondial de services commerciaux pour le transport aérien. Avec 145 pays couverts et 240 compagnies aériennes clientes, ce réseau est le meilleur observatoire des pratiques commerciales du transport aérien.
Créateur et animateur pendant 17 ans du Cannes Airlines Forum, Jean-Louis Baroux est l’auteur de Compagnies aériennes : la faillite du modèle (2010) et Transport aérien : une profession au bord de la crise de nerfs (2012). Il est également l'auteur de "Peur sur le Vatican" qui est son premier roman.