La rentrée sociale est bien là. Même si le trafic ferroviaire a été quasi normal ce mardi 9 octobre les cheminot(e)s, à l’appel de la CGT, de SUD (et de FO non représentative), ont remis sur le devant de la scène la réforme ferroviaire contre laquelle ils sont toujours vent debout. Et les récents propos "provocants " (sic) de Guillaume Pepy, sur le Statut du personnel y compris déjà en place ont jeté de l’huile sur le feu. Pat, notre chroniqueur ferroviaire, y voit le Président de la SNCF à la manœuvre, sciemment et en parfaite connaissance de cause, à la veille d’un scrutin professionnel au sein du Groupe Public Ferroviaire. Et de quoi inquiéter la tranquillité des voyageurs d'affaires ...
Sauf aléas juridiques relatifs à la contestation du découpage des Conseils Economiques et Sociaux, les quelques 146 000 cheminot(e)s seront appelés aux urnes du 16 au 22 novembre (vote électronique) pour élire leur représentants et délimiter le rapport de force parmi les organisations qui se présentent à leurs suffrages.
Dans la tradition sociale du Groupe Public Ferroviaire, c’est d’ordinaire le calme plat avant une échéance électorale interne. Les enjeux sont tels que ce n’est pas le moment, ni pour les uns ni pour les autres, de prendre le moindre risque de se trouver en décalage avec les électeurs qu’il vaut mieux prendre dans le sens du poil. En campagne électorale, les organisations syndicales ne font donc en général rien de plus que de présenter au jugement et à l’évaluation de leurs mandants le bilan de leur action avec de nouvelles perspectives.
De son côté, la direction de l’entreprise reste elle-même habituellement attentiste, attendant que les urnes parlent pour savoir avec qui elle devra composer, discuter, négocier.
Au final, comme tous les salariés, les cheminot(e)s auront les syndicats qu’ils méritent. C’est visiblement vrai pour la direction de la SNCF aussi !
Quelle mouche à piqué Guillaume Pepy pour qu’il sorte ainsi des tranchées en agitant un chiffon rouge devant ses personnels statutaires ? Ceux auxquels direction et pouvoirs publics, relayés par les deux organisations syndicales réputées les plus réformistes (UNSA et CFDT), n’avaient pourtant eu de cesse de promettre que le personnel en place en conserverait l’entier bénéfice. Et que ce Statut ne serait caduc que pour les nouveaux embauchés en 2020.
Poser cette question, c’est prendre le risque de la réponse. Car s’il y a au moins une qualité qu’on doit reconnaitre au patron de la SNCF, c’est sa capacité à avoir toujours un coup d’avance.
UNSA et CFDT sans voix
En profilant des menaces sur le sacro-saint Statut des cheminots à la veille d’un scrutin, Guillaume Pepy laisse sans voix UNSA et CFDT. Et par conséquent, risque de les priver de voix dans quelques semaines, au sens suffrages cette fois-ci, en ayant rendu inaudible leur positionnement.
Soit Guillaume Pepy est en service commandé. Soit il a pété les plombs. Ou - alternative qui semble à votre serviteur la plus crédible - il a décidé et parlé en ce moment-ci en toute connaissance de cause, sachant parfaitement ce qu’il faisait et le trouble qu’il allait jeter.
Son objectif : faire perdre quelques points de représentativité aux seules organisations syndicales avec lesquelles il arrivait plus ou moins (plutôt moins que plus, assez souvent déjà) à mener un semblant de dialogue social. Des coups de boutoir portant préjudice à l’UNSA et la CFDT dans leur positionnement et pouvant les amener à un recul électoral.
Au dernier scrutin du 23 novembre 2015, à 39,01 %, elles étaient assez loin de la barre des 50 % dorénavant nécessaire pour valider un accord (UNSA : 23,86 % ; CFDT : 15,15 %). Mais, ayant amené un discours pragmatique et réaliste différent de ce à quoi les cheminot(e)s s’étaient habitués, elles pouvaient espérer une poussée électorale. Un petit peu au-dessus de 5 % de plus chacune, c’est du domaine du possible dans un scrutin professionnel, et elles passaient la barre de 50 % leur accordant le rôle de véritable interlocuteur à la place du verrouillage CGT et SUD (actuellement, respectivement 34,83 % et 16,83 % soit 51,66 %).
Guillaume Pepy a donc fragilisé UNSA et CFDT, assez peut-être pour les arrêter dans leur lancée. Et si c’était à dessein ?
Une perspective réelle d’affaiblissement de ce pôle réformiste car la CFDT à la SNCF est particulièrement fragile depuis plusieurs années. Elle ne doit son sursaut de représentativité (un minimum de 10 % est nécessaire pour être admis autour de la table) qu’à l’apport du syndicat national précédemment autonome des agents de conduite (Fgaac, Fédération générale autonome des agents de conduite, aujourd’hui affiliée à la Cfdt). Une structure syndicale dont le fond électoral est par essence catégoriel, hyper-sensible socialement et n’ignorant rien de ses capacités d’action (selon les uns) ou de nuisance (selon les autres). A priori un électorat pas du tout prêt à se contenter de la modération de la CFDT.
Paradoxalement, il semblerait bien que ce ne soit pas pour déplaire à Guillaume Pepy !
Car négocier avec ceux qui peuvent signer, c’est finalement devoir discuter et transiger pour trouver un point de sortie. Exit ces organisations et il n’y aura aucune nécessité de leur proposer quelque chose pour atténuer ou contenir leur courroux. Et comme en face, CGT et SUD ne sont pas du genre à la SNCF à signer des accords importants engageant un avenir de l’entreprise qui ne serait pas conforme à leurs vues sociétales et politiques, ce sera finalement tout bénéfice pour Guillaume Pepy de pouvoir décider seul.
Il y a bien le risque de conflits sociaux mais les cheminot(e)s ont montré avant l’été qu’ils n’étaient plus trop en capacité ou en volonté (encore ce 9 octobre) de s’inscrire ainsi dans la durée. Dans tout mal comme la grève, il y a aussi un bien pour la direction de l’entreprise : la mesure du rapport de forces réel.
On ne peut pas non plus exclure une petite vengeance personnelle de Guillaume Pepy dont on sait qu’il était resté furieux que ses partenaires sociaux soient allés, en 2016, chercher avec succès directement au Ministère ce que lui leur refusait.
Et ne plus avoir que la CGT et SUD comme interlocuteurs, c’est aussi potentiellement un jour prochain avoir l’occasion rêvée toute une vie de Président d’entreprise publique de faire manger son chapeau à la CGT. Elle qui il n’y a pas si longtemps voulait sa tête
Car la méthode Pepy au bout d’une négociation, c’est : signez-là ou vous n’aurez rien ! La CGT ne voulant pas signer (ne parlons même pas de SUD !), eh bien les cheminots n’auraient rien. Qui sait si la CGT, acculée, ne finirait pas devoir mettre un peu d’eau dans son vin ? Un pari sur l’avenir ?
Et puis, au bout du bout, il reste toujours la possibilité de passer par référendum pour faire valider par les cheminot(e)s directement et par-dessus les syndicats qu’ils auraient choisis pour les représenter, quelque chose qui serait mieux que si c’était pire…
Dans les deux cas de figure, victoire de Pepy par K.O qui passe d’abord par la mise hors d’état des challengers réformistes de la CGT.
Déjà, au niveau de la branche ferroviaire, aucune combinaison naturellement majoritaire n’est susceptible de se dégager. Le patronat de la branche (U.T.P. - Union des Transporteurs Publics et ferroviaires) n’a donc de fait aucune obligation de résultat avec aucune organisation syndicale.
Les envolées de Guillaume Pepy pour tirer à boulets rouges sur le Statut actuel des cheminot(e)s, après y avoir substitué pour les nouveaux embauchés à compter de 2020 quelque chose qui n’est pas encore écrit, ne relèvent donc pas du hasard mais de calculs. Empreints de cynisme.
Et il suffit que Pepy parle en mal du Statut pour lui donner une valeur extraordinaire auprès des cheminot(e)s qui pour la plupart n’ont jamais pris le temps, ni fait l’effort, d’assimiler dans le détail ce texte.
Nos lecteurs ont l’avantage d’avoir pu découvrir ce Statut en annexe d’une précédente chronique. Et auront pu juger que si ce document contient quelques avantages, sinon à quoi bon (disons plutôt des particularités), il collectionne aussi pas mal de contraintes pour les personnels. La combinaison des deux forme un tout : le contrat social, difficile à détricoter.
Pepy, lui qui dit toujours qu’il y a davantage à gagner avant la grève qu’après, pense qu’il aura autant gagné qu’il n’y aura à l’avenir plus réellement de grèves. La prudence serait pourtant de mise comme toujours en matière sociale.
Les cheminots représentent un symbole : ce serait une grande victoire pour ceux qui auraient réussi à détruire la forteresse CGT. C’est d’ailleurs le meilleur argument électoral que la CGT a trouvé dans la période chez les cheminot(e)s ! Servi sur un plateau par Guillaume Pepy !
A la fin, il n’est pas impossible que ce soit la CGT elle-même qui contribue à sa propre destruction. Mais dans un premier temps, par ses diatribes, Guillaume Pepy renforce la CGT (et accessoirement SUD) pour mieux écarter les trublions UNSA et surtout CFDT (qui pèse bien plus dans les entreprises privées).
Pour les clients, usagers, contribuables, voyageurs d’affaires ou pas, cela mérite quand même réflexion. Car qu’est ce qu’on veut ? Des trains pas chers, à l’heure, partout, tout le temps, en toute sécurité. Bon, c’est aussi ce que veulent les organisations syndicales, y compris les plus radicales ou offensives, de la SNCF. Il n’est pas dit, en tout cas ça n’a pas été démontré, que la remise à plat brutale et à l’emporte-pièce du contrat social des cheminot(e)s aille forcément dans ce sens.
PAT
Dans la tradition sociale du Groupe Public Ferroviaire, c’est d’ordinaire le calme plat avant une échéance électorale interne. Les enjeux sont tels que ce n’est pas le moment, ni pour les uns ni pour les autres, de prendre le moindre risque de se trouver en décalage avec les électeurs qu’il vaut mieux prendre dans le sens du poil. En campagne électorale, les organisations syndicales ne font donc en général rien de plus que de présenter au jugement et à l’évaluation de leurs mandants le bilan de leur action avec de nouvelles perspectives.
De son côté, la direction de l’entreprise reste elle-même habituellement attentiste, attendant que les urnes parlent pour savoir avec qui elle devra composer, discuter, négocier.
Au final, comme tous les salariés, les cheminot(e)s auront les syndicats qu’ils méritent. C’est visiblement vrai pour la direction de la SNCF aussi !
Quelle mouche à piqué Guillaume Pepy pour qu’il sorte ainsi des tranchées en agitant un chiffon rouge devant ses personnels statutaires ? Ceux auxquels direction et pouvoirs publics, relayés par les deux organisations syndicales réputées les plus réformistes (UNSA et CFDT), n’avaient pourtant eu de cesse de promettre que le personnel en place en conserverait l’entier bénéfice. Et que ce Statut ne serait caduc que pour les nouveaux embauchés en 2020.
Poser cette question, c’est prendre le risque de la réponse. Car s’il y a au moins une qualité qu’on doit reconnaitre au patron de la SNCF, c’est sa capacité à avoir toujours un coup d’avance.
UNSA et CFDT sans voix
En profilant des menaces sur le sacro-saint Statut des cheminots à la veille d’un scrutin, Guillaume Pepy laisse sans voix UNSA et CFDT. Et par conséquent, risque de les priver de voix dans quelques semaines, au sens suffrages cette fois-ci, en ayant rendu inaudible leur positionnement.
Soit Guillaume Pepy est en service commandé. Soit il a pété les plombs. Ou - alternative qui semble à votre serviteur la plus crédible - il a décidé et parlé en ce moment-ci en toute connaissance de cause, sachant parfaitement ce qu’il faisait et le trouble qu’il allait jeter.
Son objectif : faire perdre quelques points de représentativité aux seules organisations syndicales avec lesquelles il arrivait plus ou moins (plutôt moins que plus, assez souvent déjà) à mener un semblant de dialogue social. Des coups de boutoir portant préjudice à l’UNSA et la CFDT dans leur positionnement et pouvant les amener à un recul électoral.
Au dernier scrutin du 23 novembre 2015, à 39,01 %, elles étaient assez loin de la barre des 50 % dorénavant nécessaire pour valider un accord (UNSA : 23,86 % ; CFDT : 15,15 %). Mais, ayant amené un discours pragmatique et réaliste différent de ce à quoi les cheminot(e)s s’étaient habitués, elles pouvaient espérer une poussée électorale. Un petit peu au-dessus de 5 % de plus chacune, c’est du domaine du possible dans un scrutin professionnel, et elles passaient la barre de 50 % leur accordant le rôle de véritable interlocuteur à la place du verrouillage CGT et SUD (actuellement, respectivement 34,83 % et 16,83 % soit 51,66 %).
Guillaume Pepy a donc fragilisé UNSA et CFDT, assez peut-être pour les arrêter dans leur lancée. Et si c’était à dessein ?
Une perspective réelle d’affaiblissement de ce pôle réformiste car la CFDT à la SNCF est particulièrement fragile depuis plusieurs années. Elle ne doit son sursaut de représentativité (un minimum de 10 % est nécessaire pour être admis autour de la table) qu’à l’apport du syndicat national précédemment autonome des agents de conduite (Fgaac, Fédération générale autonome des agents de conduite, aujourd’hui affiliée à la Cfdt). Une structure syndicale dont le fond électoral est par essence catégoriel, hyper-sensible socialement et n’ignorant rien de ses capacités d’action (selon les uns) ou de nuisance (selon les autres). A priori un électorat pas du tout prêt à se contenter de la modération de la CFDT.
Paradoxalement, il semblerait bien que ce ne soit pas pour déplaire à Guillaume Pepy !
Car négocier avec ceux qui peuvent signer, c’est finalement devoir discuter et transiger pour trouver un point de sortie. Exit ces organisations et il n’y aura aucune nécessité de leur proposer quelque chose pour atténuer ou contenir leur courroux. Et comme en face, CGT et SUD ne sont pas du genre à la SNCF à signer des accords importants engageant un avenir de l’entreprise qui ne serait pas conforme à leurs vues sociétales et politiques, ce sera finalement tout bénéfice pour Guillaume Pepy de pouvoir décider seul.
Il y a bien le risque de conflits sociaux mais les cheminot(e)s ont montré avant l’été qu’ils n’étaient plus trop en capacité ou en volonté (encore ce 9 octobre) de s’inscrire ainsi dans la durée. Dans tout mal comme la grève, il y a aussi un bien pour la direction de l’entreprise : la mesure du rapport de forces réel.
On ne peut pas non plus exclure une petite vengeance personnelle de Guillaume Pepy dont on sait qu’il était resté furieux que ses partenaires sociaux soient allés, en 2016, chercher avec succès directement au Ministère ce que lui leur refusait.
Et ne plus avoir que la CGT et SUD comme interlocuteurs, c’est aussi potentiellement un jour prochain avoir l’occasion rêvée toute une vie de Président d’entreprise publique de faire manger son chapeau à la CGT. Elle qui il n’y a pas si longtemps voulait sa tête
Car la méthode Pepy au bout d’une négociation, c’est : signez-là ou vous n’aurez rien ! La CGT ne voulant pas signer (ne parlons même pas de SUD !), eh bien les cheminots n’auraient rien. Qui sait si la CGT, acculée, ne finirait pas devoir mettre un peu d’eau dans son vin ? Un pari sur l’avenir ?
Et puis, au bout du bout, il reste toujours la possibilité de passer par référendum pour faire valider par les cheminot(e)s directement et par-dessus les syndicats qu’ils auraient choisis pour les représenter, quelque chose qui serait mieux que si c’était pire…
Dans les deux cas de figure, victoire de Pepy par K.O qui passe d’abord par la mise hors d’état des challengers réformistes de la CGT.
Déjà, au niveau de la branche ferroviaire, aucune combinaison naturellement majoritaire n’est susceptible de se dégager. Le patronat de la branche (U.T.P. - Union des Transporteurs Publics et ferroviaires) n’a donc de fait aucune obligation de résultat avec aucune organisation syndicale.
Les envolées de Guillaume Pepy pour tirer à boulets rouges sur le Statut actuel des cheminot(e)s, après y avoir substitué pour les nouveaux embauchés à compter de 2020 quelque chose qui n’est pas encore écrit, ne relèvent donc pas du hasard mais de calculs. Empreints de cynisme.
Et il suffit que Pepy parle en mal du Statut pour lui donner une valeur extraordinaire auprès des cheminot(e)s qui pour la plupart n’ont jamais pris le temps, ni fait l’effort, d’assimiler dans le détail ce texte.
Nos lecteurs ont l’avantage d’avoir pu découvrir ce Statut en annexe d’une précédente chronique. Et auront pu juger que si ce document contient quelques avantages, sinon à quoi bon (disons plutôt des particularités), il collectionne aussi pas mal de contraintes pour les personnels. La combinaison des deux forme un tout : le contrat social, difficile à détricoter.
Pepy, lui qui dit toujours qu’il y a davantage à gagner avant la grève qu’après, pense qu’il aura autant gagné qu’il n’y aura à l’avenir plus réellement de grèves. La prudence serait pourtant de mise comme toujours en matière sociale.
Les cheminots représentent un symbole : ce serait une grande victoire pour ceux qui auraient réussi à détruire la forteresse CGT. C’est d’ailleurs le meilleur argument électoral que la CGT a trouvé dans la période chez les cheminot(e)s ! Servi sur un plateau par Guillaume Pepy !
A la fin, il n’est pas impossible que ce soit la CGT elle-même qui contribue à sa propre destruction. Mais dans un premier temps, par ses diatribes, Guillaume Pepy renforce la CGT (et accessoirement SUD) pour mieux écarter les trublions UNSA et surtout CFDT (qui pèse bien plus dans les entreprises privées).
Pour les clients, usagers, contribuables, voyageurs d’affaires ou pas, cela mérite quand même réflexion. Car qu’est ce qu’on veut ? Des trains pas chers, à l’heure, partout, tout le temps, en toute sécurité. Bon, c’est aussi ce que veulent les organisations syndicales, y compris les plus radicales ou offensives, de la SNCF. Il n’est pas dit, en tout cas ça n’a pas été démontré, que la remise à plat brutale et à l’emporte-pièce du contrat social des cheminot(e)s aille forcément dans ce sens.
PAT