SNCF : un rapport peut tout dire mais le gouvernement peut-il tout faire?

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Cette fois, il semble bien qu'un rapport ne soit pas destiné à caler une armoire bancale : demandé pour le mois de janvier, retardé à mi-février, le rapport Spinetta publié la semaine dernière propose 43 pistes pour essayer de remettre le chemin de fer français sur les rails. Des discussions ont débuté dès ce lundi à Matignon, mais toutes les pistes seront-elles envisageable ? Voici l'occasion d'un Coup de Pat mûrement réfléchi.

C'est la fin du ferroviaire selon Sud-Rail, une politique anti-ferroviaire pour la CGT, un véritable big-bang d'après l'UNSA et enfin de manière plus nuancée mais un sujet de mobilisation pour la CFDT afin de défendre les cheminots, l’intérêt commun et faire entendre ses revendications. Autrement dit, le rapport Spinetta fait l'unanimité syndicale contre lui.

Un rapport peut tout dire. Mais un gouvernement peut-il tout faire ?

L’heure du chamboule-tout annoncé n’est donc peut-être pas arrivée. Car au-delà des cheminot(e)s qui naturellement défendront leur contrat social, peut-être que le voyageur, client, usager, consommateur, contribuable lambda portera une autre vision que celle très libérale (trop ?) du rapport Spinetta.

1937 : les précédentes compagnies privées furent regroupées et nationalisées. Elles étaient financièrement exsangues. Un problème qui vient donc de loin.

Jusqu’en 1972, le Parlement votait chaque année une subvention d’équilibre à la SNCF qui, depuis sa création, était déjà (jusqu’en 1982), sous la forme de Société Anonyme.

En 1997, vingt ans déjà, la création de RFF – Réseau Ferré de France – devait déjà régler ce problème de dette récurrente du réseau (et non pas de l’exploitation). Il y eut une réforme puis une réforme de la réforme. On sait ce qu’il en est. Puis une réunification en 2014 avec toujours le même problème de trajectoire financière.

Parce que ce sera de nouveau une Société Anonyme, la gestion sera plus vertueuse ? Euh… L’argument du rapporteur est d’expliquer que l’Etat doit se protéger de lui-même en limitant sa capacité à imposer des choix politiques coûteux à la SNCF. Ce qu’il ne s’interdisait pourtant pas de faire quand la SNCF était une société anonyme. Et après-tout, puisque l’Etat c’est nous, est-ce le problème de la seule SNCF ?

Car même s’il brasse quelques gros chiffres, je coupe ici, j’économie là, je transfère là… le rapport Spinetta ne fournit aucune martingale.

Question : la concurrence, c'est le progrès et les économies ?

Oui, bon la concurrence normalement elle est censée être là depuis 2006 du moins sur le papier ! Il y a bien Thello. Mais à part ça, en 2016 le constat a bien dû être fait qu’aucun opérateur ne manifestait d’intérêt pour la reprise des Trains d’Equilibre du Territoire. Bigre…

A moins que le futur modèle économique soit de privatiser les profits et de collectiviser les charges ? Là, ça change tout. Mais nous serions bien avancés.

Pas plus que les enseignants n’ont à définir tout seuls ce que doit être le système d’éducation, les postiers le service public postal, les électriciens la politique énergétique du pays, les infirmier(e)s et médecins le système de santé, les cheminots n’ont pas à dicter leurs vues.

Mais « (les cheminots) en savent plus que quiconque sur leur métier, ses conditions d’exercice et les voies de progrès que pourrait emprunter l’entreprise ». C’est le rapport Spinetta qui l’affirme ! Qui l’eut cru ?

Au travers de leurs organisations syndicales, ils vont donc assurément saisir cette invite dans le cadre des concertations qui leur sont promises.

Le syndicalisme 2.0 de la génération Y

Les réseaux sociaux de cheminot(e)s, très actifs dans la période, témoignent déjà d’un certain état d’énervement après une campagne médiatique assez sévère perçue par les intéressés comme dirigée contre eux. Il n’y a que les cheminots à avoir le droit de dire du mal de la SNCF, surtout pas les médias, c’est comme ça ! Des cheminot(e)s qui, chauffés à blanc, sont manifestement prêts à en découdre.

Dans une précédente chronique lors de la grève de 2014, nous soulignions que la génération Y (née entre 1980 et 1990) avait fait son entrée massive dans le jeu social à la SNCF . Ils ont pris davantage de poids depuis.

Et 2014, est resté en travers des plus virulents d’entre eux. Pour mémoire, CFDT et UNSA étaient sortis du conflit en approuvant les grandes lignes de la réforme du système ferroviaire avec un accord, davantage avec le gouvernement de l’époque qu’avec la direction de la SNCF. Ce qui reste perçu par les plus radicaux comme une trahison ayant brisé l’éphémère unité syndicale.

CFDT et UNSA n’ont eu de cesse depuis que de défendre leurs acquis : confirmation du Statut, maintien d’une structure en EPIC, confirmation de la réglementation du travail. Toutes choses peu ou prou remises en cause aujourd’hui au travers du rapport Spinetta. Certes au conditionnel sous la plume du missionné. Des propositions, des pistes, des perspectives quand même et donc des menaces suffisamment concrètes. Il ne sera donc peut-être pas aussi simple aux pouvoirs publics de trouver la porte de sortie comme ce fut le cas en 2014 et à l’UNSA et la CFDT de pouvoir valoriser aussi facilement quelque chose auprès de leurs mandants.

D’autant que la remise en cause vraiment rapide du difficile équilibre porté par la loi de réforme du système ferroviaire du 4 août 2014 affaiblit les organisations présentées comme réformistes. Dans une partie du corps social cheminot, elles sont abusivement pointées du doigt comme ayant trahi. Elles sont quelque peu trahies à leur tour. Il ne faudra pas s’étonner qu’elles ne se satisfassent pas de promesses sans garanties sur la durée.

C’est donc la CGT-Cheminots qui est en bonne posture pour reprendre la main. Elle menace. Il n’y a pas qu’elle puisque les 4 organisations syndicales représentatives de cheminots disent, chacune avec leur vocabulaire et leur style, à peu-près la même chose. C’est-à-dire tout le mal qu’elles pensent des conclusions Spinetta ! Il faudra bien faire avec.

Et les cheminot(e)s de la génération Y dissèquent, commentent, évaluent, relaient tout ça avec les nouvelles techniques de l’information et de la communication. Le groupe Facebook « Je bosse à la SNCF et j’assume » compte quelques 20 000 membres. 35 000 inscrits sur le forum « Cheminots.net ». De sacrées assemblées générales… numériques même si elles ne remplaceront pas celles autour des braseros qu’on verra, le moment venu, dans les images des informations télévisées.

Les cheminot(e)s de 1986 (4 semaines de grève, sur la grille de rémunération et les mécanismes statutaires d’avancement déjà) avaient inventé les coordinations. En 1995 (3 semaines), la notion de "grève par procuration" (ce à quoi plus grand monde ne croit aujourd’hui). Mais ceux de 2018 pourraient bien être tentés d’initier de nouvelles expérimentations sociales ou du moins de s’y essayer. Ce qui est étonnant (et inquiétant ?) c’est de lire leurs certitudes que s’ils bloquent tout, rien ne leur résistera.

Le Statut, agité comme un chiffon rouge

Nos lecteurs ne l’ont certainement jamais eu en mains ce fameux Statut. La plupart des cheminot(e)s n’ont eux-mêmes jamais fait l’effort de le lire.

Nous le plaçons en pièce jointe pour les plus curieux. Leur déception sera peut-être grande de ne pas y trouver le beurre, l’agent du beurre et la crémière ! C’est à dessein.

C’est que, quoiqu’on en dise, le Statut des relations collectives entre SNCF, SNCF Réseau, SNCF Mobilités constituant le Groupe Public Ferroviaire et leurs personnels n’est pas quelque chose de si généreux que ça. Sinon, sans doute, la SNCF n’aurait pas autant de mal à recruter ! Des candidatures elle en reçoit à la pelle mais les postulants sont vite découragés quand ils font la balance entre les avantages et les inconvénients.

Certes, la sécurité promise de l’emploi est un atout indéniable dans le monde du travail d’aujourd’hui. Encore que lorsqu’on est qualifié…

Parmi les causes de rupture du contrat de travail, le Statut ne prévoit en effet pas la suppression d’emploi pour motif économique ou organisationnel. Oui, mais c’est déjà au prix d’une mobilité géographique et professionnelle absolue.

Parmi ce qui dans le Statut est pointé négativement par le rapport Spinetta, il y a aussi le déroulement de carrière (ou de salaire). Il est vrai que le Statut régit une certaine automaticité, pas illimitée, mais toutefois minimale. Ce qu’on appelle le Glissement Vieillesse Technicité. Au fur et à mesure de sa carrière, le cheminot prend d’abord de l’ancienneté. Il y a 23,60 % d’écart de salaire, à qualification égale, entre un nouvel embauché et un agent ayant 28 ans d’ancienneté (21 ans chez les agents de conduite). Faites le calcul : pas loin de 1 % de progression garantie en rythme annuel. C’est mieux que rien. Et comme les négociations salariales annuelles dans le Groupe Public Ferroviaire c’est plutôt rien par les temps qui courent, c’est déjà ça. Qui pourrait penser que Guillaume Pepy paie deux fois ?

Et puis, bon an, mal an, dans le cadre d’un véritable folklore d’entreprise (les notations comme à l’école) un certain nombre de cheminots vont passer d’une qualification à l’autre (grade comme à l’armée et ça y ressemble), un peu sur des bases d’ancienneté et donc d’expérience, beaucoup sur des appréciations et sur la satisfaction à des pré-requis (réussite à des examens professionnels). Ce qui conduit, au grand dam des financiers, à ce que la masse salariale continue de grimper, doucement mais sûrement en même temps que le cheminot lambda se valorise professionnellement. Les métiers de la SNCF ont ceci de particulier qu’ils s’apprennent assez peu en formation initiale, mais davantage sur le terrain par la pratique.

A bien lire, il n’est pas certain que des investigations sur cet aspect des choses aient été inscrites dans la lettre de mission de J.C. Spinetta, sinon de manière subliminale, mais force est de constater qu’il s’en est préoccupé : "Le redressement financier du système ferroviaire nécessite un effort considérable du groupe public ferroviaire dans un contexte où, au fil de l’eau, la masse salariale comme les coûts augmentent d’environ 2% par an (soit 3 milliards d’euros de coûts supplémentaires à l’horizon 2026)".

Maladroit car les cheminot(e)s traduisent qu’ils sont responsables de la dette puisque trop payés ! Rapport qui fait l’impasse sur le fait que les salaires de la SNCF sont plutôt faibles. Dans la grille statutaire de salaire, certains grades ont même des rémunérations en-dessous du SMIC.

"Il faut que l’opinion publique comprenne que les cheminots sont plutôt mal payés". C’est Dominique Bussereau, ancien secrétaire d’état aux transports qui le dit ! Les cheminot(e)s se s’attendaient sans doute pas à un soutien, au moins sur ce point, de ce côté-là de l’échiquier politique. Dominique Bussereau est un ancien cheminot. Ça ne compte peut-être pas pour l’opinion publique ou ceux qui la font !

A ce sujet, le chiffre de 3 173 € de revenu brut moyen mensuel cité ici ou là (versus 3 034 € "dans le privé") fait hurler les cheminot(e)s. Un chiffre issu du bilan social 2016. Mais une moyenne qui ne correspond à aucune réalité collective car il inclut de nombreux éléments variables de solde (toujours le vocabulaire militaire propre à la SNCF !). Autrement-dit, des primes et indemnités liées aux sujétions des métiers (travail nuit, des dimanches et fête, déplacements, nuisances...). Ce qui ramène aux conditions de travail et donc à la réglementation idoine. Quelque chose qui passe mal et qui ne date pas non plus d’hier, puisque nous en parlions déjà en 2012.

Un observateur avisé avait relevé que les Assises nationales de la mobilité qui ont précédé ce travail législatif n’avaient pas évoqué le train ! Prémonitoire ?

Cette fois-ci ça ne passe pas. On casse ?

Sauf à ce que les uns et les autres mettent rapidement de l’eau dans leur vin, le climat social au sein de la SNCF risque d’être chaud ce printemps.

"Les conditions sont réunies pour aller vers un mouvement plus dur qu'en 1995", c’est Sud-Rail qui le dit et qui n’est jamais à une annonce de grand soir près. Mais on ne sera jamais trop prudent.

D’autant que le mouvement syndical est affaibli à la SNCF. Et, voyageurs d’affaires, croyez-moi, cet affaiblissement n’est pas une bonne nouvelle ! Ceux qui vont la faire cette grève, c’est la génération Y précitée. Celle que la SNCF a embauchée en sélectionnant bien leur profil pour déliter un corps social jugé d’un autre temps. Elle n’a plus qu’à craindre un sacré retour de bâton. On en reparlera.

La représentation syndicale et ses moyens font d’ailleurs l’objet d’âpres discussions en ce moment sur fond d’ordonnance gouvernementale. Cela nous éloigne en apparence du rapport Spinetta mais il est fort possible que ça devienne une monnaie d’échange si tant est que la SNCF se mette à regretter l’époque ou, mine de rien, elle cogérait tant bien que mal avec la CGT.

Il y a un autre secteur de l’économie, tout aussi stratégique que celui de la SNCF (et avec autant de dette, celle du nucléaire, Jean-Cyril Spinetta doit en savoir quelque chose !) qui résiste encore et toujours : les I.E.G., Industries Electriques et Gazières c’est pourtant 150 entreprises historiquement publiques mais ouvertes aujourd’hui aux capitaux privés. On n’en fait pas tout un plat. Un point de sortie pour les cheminot(e)s si attachés à leur Statut qui pourraient ainsi, sur ce modèle des I.E.G., être indifféremment du public ou du privé ?

Manifestation nationale ou grève ? Les deux !

Premier rendez-vous de démonstration de force dans l’agenda social, une manifestation nationale le jeudi 22 mars , à l’initiative de la CGT. Les autres organisations lui reprocheront peut-être d’avoir décidé seule. Mais il n’est pas dit que leurs réserves puissent être audibles.

La réussite d’une manifestation nationale à Paris est par nature quelque peu incompatible avec une journée de grève massive puisque si pas de trains, pas de manifestants (et c’était déjà une date réservée par les fonctionnaires, ce que ne sont pas les cheminots).

Les organisations syndicales de cheminots ont un mois pour affiner leur stratégie. Ce n’est pas tant le 22 mars que ça se joue mais très certainement assez rapidement après. Et encore, si ça tient jusque-là sans un embrasement général du corps social cheminot !

PAT