Droit de retrait, comment analyser la situation ?

387

A la suite de l’agression de deux contrôleurs en région Rhône-Alpes et pendant 48 heures, un risque de grève a plané ce week-end sur les TER au niveau national. À la rédaction de Déplacements Pros, nous avons fortement craint et redouté ce scénario-catastrophe. Retour sur ce week-end socialement très chaud à la SNCF avec Pat, notre chroniqueur ferroviaire, pour faire un peu de vulgarisation et se livrer à l’analyse. Avec ce Coup de Pat, nous tentons d'avoir un coup d’avance !

Au départ, c’est ce que l’on devrait nommer un fait divers avec un risque de banalisation à ainsi parler. L’agression de deux contrôleurs dans un train entre Lyon et Grenoble vendredi soir, 6 février. Le lendemain matin, les contrôleurs affectés à Lyon, Chambéry et Valence exercent leur droit de retrait.

Le trafic régional en Rhône-Alpes s’en trouvera quasiment interrompu. Il ne reviendra progressivement à la normale que dans la soirée de ce dimanche au bénéfice d’une négociation entre partenaires sociaux. Non sans que les cheminots n’aient fait auparavant planer la menace d’une paralysie du trafic sur l’ensemble du territoire national.

D'abord les faits

Vendredi vers 19h30, le contrôleur d’un TER reliant Lyon à Grenoble est avisé que trois personnes présentes à bord en état d’ébriété importunent une jeune voyageuse. Le contrôleur vient au devant de ces perturbateurs, accompagné par un collègue qui n’est pas en service mais lui prête assistance (une pratique déontologique).

S’en suivent des violences volontaires à coups de poing et tesson de bouteille. Nez cassé, lésions faciales pour l’un des contrôleurs (11 jours d’ITT). Côte cassée pour le second (8 jours d’ITT). Pour mémoire, le nombre de jours d’ITT – Incapacité Totale de Travail –  est une notion de médecine légale qui permet de qualifier juridiquement les faits. Plus de 8 jours d’ITT, c’est un délit. Cette durée peut être très inférieure au temps qu’il faut à une victime pour se rétablir. Et nul ne doute qu’il en faudra à ces deux contrôleurs.

Dans la foulée, une fois de plus et malheureusement on peut le prédire, pas la dernière fois, l’ensemble des contrôleurs « posent le sac » comme disent les cheminots.

Grève sauvage ou droit de retrait ?

SNCF, sur les pages de son site Infolignes titrera grève comme motif des perturbations. Mais les contrôleurs et leurs organisation syndicales, se placeront quant-à-eux dans le cadre juridique de l’exercice du droit de retrait.

Et pour cause, puisqu’une grève à la SNCF nécessite pas mal de formalisme, de concertations, de palabres, de déclarations individuelles, de définition d’un programme adapté pour assurer un service garanti. Là, rien de tout ça. Le droit de retrait c’est imparable. Selon l’article L.4131-1 du Code du travail, en cas de danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, tout salarié peut suspendre son activité. La jurisprudence sociale est venue préciser qu’il suffit que le salarié ait un motif raisonnable de craindre pour sa vie ou sa santé. Il n’est donc pas nécessaire que ce danger soit objectif ou se réalise.

La RATP a connu une situation similaire il y a de cela quelques jours seulement. On le voit à chaque fois, et nous l’avons déjà écrit, les exploitants de services de transports sont tétanisés devant ces mises en œuvre d’un droit de retrait. Guillaume Pepy avait déjà plaidé pour des alternatives à ces blocages. C’était presque pile poil il y a un an. Il n’avait recueilli qu’une volée de bois-vert de ses interlocuteurs

Situation dangereuse ou climat social délétère ?

La compassion et le soutien sont nécessaires aux agents du service public victimes de tels agissements. Mais objectivement, la présence d’individus mal intentionnés ou asociaux en un endroit précis, dans des circonstances particulières, signifie-t-elle que tous les salariés (les voyageurs de même, pas plus mais pas moins d’ailleurs) soient simultanément menacés, surtout de manière imminente ? Qu’il puisse y avoir danger, oui. Que ce danger puisse avoir des conséquences graves, la preuve en est régulièrement donnée. Que ce danger grave soit imminent, condition cumulative fixée par la loi à laquelle se réfèrent les acteurs de ces droits de retrait, non, bien sûr que ce non.

Et paradoxalement, c’est enlever au public de manière brutale, violente aussi même si c’est socialement cette fois, le service pourtant tant défendu !  Au risque de provoquer ensuite des réactions de rejet et priver les personnels de la solidarité que pourtant ils revendiquent avec raison, haut et fort. A contrario, on a vu récemment autour d’une intense actualité dramatique, le soutien, la reconnaissance, la prise de conscience collective envers les forces de l’ordre et de sécurité. A méditer, même si ce n’est pas facile pour des contrôleurs ou autres personnels en contact avec le public ainsi exposés alors que leur cœur de métier n’est bien entendu pas le maintien de l’ordre.

Guillaume Pepy a raison d’insister. C’est, pour une grande part, un problème de sécurité publique. SNCF ne peut pas tout, toute seule. N’empêche que ses personnels ont cette fois encore accompagné l’exercice de leur droit de retrait (que nous considérons ici comme juridiquement très discutable) de revendications.

Nous ne savons pas dans le détail comment ces revendications ont été posées, détaillées. Juste que pendant toute la journée du samedi, selon le syndicat SUD-Rail, la direction de la SNCF jouait le pourrissement, ne voulait pas trouver un compromis. Sentiment partagé et relayé également par la CGT dans un communiqué (cf. fichier pièce-jointe à la fin de cet article) de sa structure régionale lyonnaise. SUD ayant en conséquence menacé d’une extension du mouvement à l’ensemble de la compagnie ferroviaire dès le lundi matin.

Mais nous savons maintenant que ce qui a été satisfait a de fait été jugé suffisant pour permettre la levée de ce droit de retrait. Des contrôleurs actuellement embauchés en C.D.D. (dans une entreprise comme SNCF, on peut d’ailleurs se demander pourquoi et comment vu l’encadrement légal de ce type de contrat précaire) seront requalifiés en C.D.I. En outre, 8 recrutements supplémentaires de contrôleurs seront réalisés. On est sur des questions d’emploi, c’est légitime, c’est important. Mais nous sommes bien loin de problématiques liées à la sécurité des personnes

L’art de la négociation

L’émotion aidant, les rancœurs étant accumulées, les dernières velléités de grève nationale chez les cheminots s’étant surtout exprimées chez les contrôleurs, le rapport de force de départ déjà conséquent dans une région et ça aurait pu conduire à un lundi noir, très noir ! A n’en pas douter, si tel avait le cas, on en serait encore-là à cette heure-ci. Partie remise ?

Les plus grands conflits sociaux au sein de SNCF n’ont jamais commencé autrement que par des actions coup de poing. Tout le monde a en tête le pouvoir revendicatif pour les uns, de nuisance pour les autres, des agents de conduite. Mais, dans l’organisation opérationnelle de SNCF, pour faire rouler des trains, des agents d’accompagnement sont encore dans la plupart des cas nécessaires, indispensables même. Et les contrôleurs se veulent à deux par train, plutôt qu’un. Tandis que SNCF expérimente, applique parfois déjà, l’équipement à agent seul (le conducteur). L’E.A.S. dans le jargon technique.

La menace d’extension de SUD n’était donc pas à prendre à la légère. Nul doute qu’elle ne l’aura pas été. Et au contraire, elle aura été intégrée à la réflexion côté direction SNCF. Laquelle, d’expérience, est bien contente de trouver organisation comme la CGT par exemple à qui causer avant que l’affaire ne devienne socialement insoluble.
 
Bis repetita, nous voilà donc bien loin des questions de sûreté et de l’exercice du droit de retrait. Des revendications ont été satisfaites. Sur l’emploi, on l’a vu. Malgré les gains annoncés, les effectifs globaux et budgétaires de SNCF n’auront pourtant pas bougé à la hausse d’une unité ! Des effectifs nationaux qui baissent .
 
Restent les questions de sûreté. A voir au prochain droit de retrait. Nécessairement, d’un jour à l’autre, hélas.
 
PAT
 

Pour information
Deux mineurs, identifiés par les forces de l’ordre comme auteurs des violences à l’encontre des contrôleurs SNCF ont été interpellés ce 9 février au matin dans les environs de la ville de Moirans. Très défavorablement connus des services de police pour d’autres faits, ils sont actuellement en garde à vue. Le troisième agresseur est lui aussi identifié. Il est activement recherché par les services de police et de gendarmerie.