Les VTC violemment agressés par la loi Grandguillaume

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Bien des sujets occupent le terrain médiatique en cette rentrée; certains à juste titre, d’autres peut-être moins pertinents. Tranquillement, la loi la plus régressive jamais proposée pour réglementer les VTC fait son chemin en direction du Sénat, où elle devrait être soumise au vote dans le courant du mois d’Octobre.

Alors que la loi Thévenoud sur laquelle nous avions eu l’occasion de nous exprimer dans ces colonnes était en application depuis un an à peine, le scénario bien connu se reproduit: grève des taxis en janvier, nomination d’un médiateur en février en la personne de Laurent Grandguillaume. Dès le mois de juin Proposition de Loi, procédure d’urgence qui réduira le nombre de navettes, vote ultra-rapide en juillet à l’Assemblée Nationale. Il s’agit de la faire impérativement passer avant la fin du Quinquennat.

Or si la loi Thévenoud était critiquable, elle avait au minimum un mérite : celui de tenter de trouver un équilibre entre taxis et VTC. On lui doit quelques absurdités mais aussi de nouvelles obligations à destination des taxis: forfaits aéroports, obligation d’accepter les cartes de crédit, autant de dispositions qui sont de vrais progrès pour les consommateurs. A quelques mois d’échéances décisives, Laurent Grandguillaume et le Ministre du Transport renoncent définitivement à cet équilibre avec un texte électoral qui vise unilatéralement les VTC ; en espérant s’attirer le calme et surtout les voix des taxis. Nous verrons plus bas qu’ils ne sauraient être plus explicites à ce sujet.

Les deux mesures phares du texte à retenir sont les suivantes:

1. Suppression de l’autorisation des chauffeurs LOTI de travailler avec les plateformes VTC. La loi LOTI date des années 80 et a créé un statut de chauffeur tout à fait respectable. Des entreprises se sont créées qui ont permis de créer de très nombreux nouveaux emplois. Ils représentent plus d’un tiers des chauffeurs actuellement utilisés par les plateformes.

2. Dans le même temps, renforcement considérable des conditions d’accès à la profession de chauffeur VTC. Aujourd’hui, la carte VTC requiert la réussite d’un examen. Rappelons que l’examen existant, dont l’obligation date seulement de Mars 2016, est déjà très difficile, avec un taux d’échec de 50% environ. On avait glosé sur certaines questions telles : “que faut-il répondre à un passager américain qui vous interroge sur la Campagne Hillary / Trump” où “que trouvait-on au 18ème siècle Place de la Bastille”. Il s’agit :

  • a. D’abord de le rendre plus difficile encore, ajout de nouvelles matières alors qu’il dure déjà 3h30
  • b. Ensuite d’en transférer la responsabilité à la Chambre des Métiers et de l’Artisanat, c’est à dire un lieu d’influence fort des taxis. On rappellera que la Région Nord est dirigée par le Président de l’un des principaux Syndicats de taxis.
  • c. Enfin d’y ajouter une épreuve pratique individuelle qui, compte tenu de la nécessité de passer une heure en voiture avec chaque candidat, conduit à un goulot d’étranglement équivalent à celui du permis de conduire. Épreuve parfaitement inutile par ailleurs, dont le seul objet est de ralentir le flux de diplômés.
Lorsque nous avons tenté de protester contre plusieurs dispositions et notamment contre le transfert de l’examen en Chambre des Métiers, les députés ont reçu plusieurs coups de fil leur demandant « qui votait aux prochaines législatives »: “sont-ce les plateformes VTC?” leur a-t-il été finement communiqué. Lorsqu’un député de l’opposition tenta d’introduire quelques amendements au texte, le Ministre des Transports n’a-t-il pas déclaré que ce député avait le droit d’exprimer cette position et qu’ainsi les électeurs sauraient clairement le contenu de sa pensée. Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites.

Mais revenons à l’essentiel. L’objectif de cette loi est de satisfaire une revendication centrale des taxis : raréfier l’offre de chauffeurs. Point 1, couper entre un tiers et la moitié, point 2, sous le prétexte de renforcer la qualification, rendre la profession difficilement accessible. Or souvenons-nous de ce qu’était le transport parisien avant l’existence des VTC: impossibilité de trouver un taxi, comportement des chauffeurs, refus de courses. A l’heure où Paris a l’ambition de retrouver une vocation touristique un peu mise à mal, où les parisiens trouvent davantage de solutions de mobilité, à l’heure du recul programmé du véhicule individuel, voici une loi aux motivations corporatistes non ambiguës et dont le résultat net est de nous faire retourner à l’époque pré-numérique où trouver un taxi revenait à se procurer une bouteille de Château Petrus 1961. Ce n’est pas non plus un hasard si la journée parisienne sans voiture de ce dimanche a vu les taxis autorisés à circuler tandis que cette possibilité était déniée aux VTC.

Il y’a plus grave encore. Une information peu communiquée au demeurant. Quel a été le secteur le plus créateur d’emplois du quinquennat ? Les VTC avec une quinzaine de milliers. Et un potentiel de 50 000 supplémentaires sur les cinq prochaines années. On peut discuter des imperfections du modèle et nous y sommes prêts. Il n’en reste pas moins que pendant que l’attention est concentrée sur Alstom Belfort - 200 emplois -, un texte se prépare à en détruire silencieusement des dizaines de milliers. C’est peut-être en arrière-plan le plus gros plan social de ces dix dernières années.

Vous noterez que j’évoque à peine le destin de plusieurs startups française dont la mienne, SnapCar, fait partie. Toutes en fort développement, l’une ou plusieurs de ces startups ont vocation à devenir leader européen et espèrent bien faire concurrence au géant américain du secteur, dont le comportement justement commence à présenter des éléments repoussants. Les détruire entraîne l’ajout d’un “U” aux GAFA, éliminant à nouveau la chance française de créer un acteur global du numérique.

La loi Grandguillaume arrive « demain » au Sénat. Vous le comprenez, au-delà du vote d’un texte ce qui se joue est bien plus grand: la création d’emplois, le confort des consommateurs, le développement du numérique français. Messieurs les Parlementaires, démontrez-nous que l’avenir de votre pays compte plus que de protéger quelques intérêts corporatistes. De toute manière, même s’ils peuvent hélas être ralentis, le progrès technologique et les mutations économiques et sociales qu’il produit ne peuvent être stoppés.