Les mails privés ne justifient pas un licenciement

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Même si le règlement intérieur interdit l'usage des courriels privés, l'entreprise n'a pas le droit d'utiliser cette justification pour licencier un salarié selon la Cour européenne des droits de l'homme qui opère ainsi un revirement. Sa décision doit faire jurisprudence dans 47 pays européens, dont la France.

L'affaire date de 2007, un ingénieur roumain de 38 ans, Bogdan Mihai Barbulescu,avait été licencié par son employeur pour avoir utilisé la messagerie de la société à des fins personnelles, en infraction au règlement intérieur. Dénonçant l'espionnage de ses communications par son employeur, l'ingénieur s'estimait victime d'une violation du droit au respect de la vie privée et de la correspondance, protégé par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Les juges de la Grande Chambre, l'instance suprême de la CEDH, ont statué en appel d'une décision de 2016. Ils considèrent que "i[les autorités nationales [roumaines] n'ont pas correctement protégé le droit de Bogdan Mihai Barbulescu au respect de sa vie privée et de sa correspondance et n'ont donc pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts en jeu]i", précise la décision adoptée par 11 voix contre 6.

La Cour estime que Bogdan Mihai Barbulescu "n'avait pas été informé de la nature et de l'étendue de la surveillance opérée par son employeur ni de la possibilité que celui-ci ait accès au contenu même de ses messages". Elle considère par ailleurs que les tribunaux roumains "n'ont pas déterminé quelles raisons spécifiques avaient justifié la mise en place des mesures de surveillance" et ne se sont pas prononcés sur "la possibilité pour l'employeur de faire usage de mesures moins intrusives pour la vie privée et la correspondance de Monsieur Barbulescu".

Ce jugement est un revirement car dans un 1er temps, la CEDH avait considéré que les tribunaux roumains allaient dans le bon sens en considérant que la conduite de l'employeur avait été raisonnable, et que la surveillance des communications avait constitué le seul moyen d'établir qu'il y avait infraction disciplinaire. La Cour avait validé la possibilité pour une entreprise de surveiller l'usage d'internet dans le cadre d'une procédure disciplinaire. Mais l'ingénieur roumain n'ayant pas été informé de cette surveillance, la CEDH revoit sa position.

La décision de la CEDH est appelée à faire jurisprudence pour les 47 membres du Conseil de l'Europe. Elle répond aux demandes de la Confédération européenne des syndicats (CES) et du gouvernement français de mieux encadrer la surveillance de l'utilisation d'internet exercée par une entreprise.