Philippe Chérèque, Amex GBT: «Nous ne nous développerons pas en rachetant des TMC concurrentes»

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Responsable de la stratégie technologique et innovation, Philippe Chérèque est désormais l’homme-clé du nouvel American Express GBT (Global Business Travel). Son but: mettre en place l’ensemble des outils technologiques capables d’assurer le développement de la TMC et d’optimiser l’offre de services amenés aux clients. Une mission complexe, engagée il y a moins de 6 mois et dont les premiers résultats devraient être visibles avant l’été.

«Tout est question de stratégie et de bonnes stratégies» expliquait Philippe Chérèque lorsqu’il était le patron de la technologie chez Amadeus. Pour cet ancien d’Air France, qui a fait ses débuts dans l’univers de la programmation chez Télémécanique, la technologie n’est qu’un moyen pour atteindre des objectifs. Il reste à bien définir celles qui feront rebondir l’agence de voyage pour la ramener sur les voies d’un développement qui lui fait défaut depuis quelques mois. Cette évocation des résultats un peu décevants, Philippe Chérèque la balaye d’un revers de main, «Nous avons toujours su nous adapter au marché, à la crise économique et au changement naturel au sein des entreprises» et d’ajouter «Aujourd’hui ce que nous mettons en place, c’est le nouveau corps technologique d’American GBT. Cela demande du temps, un minimum de réflexion et beaucoup de logique. Cela ne veut pas dire que nous ne faisons rien pendant ce temps, bien au contraire. Ma mission est de faire en sorte que la technologie développe le volume d’affaires et apporte de nouveaux clients», explique le patron es technologies, nommé en septembre dernier.

Optimiste ? Ce n’est pas dans la nature de Philippe Chérèque de s’appuyer sur la méthode Coué pour se rassurer. Il voit et vit l’objectif à atteindre. Il lui faut aujourd’hui le partager avec les équipes et les clients. Et le patron de la technologie ne se fixe, au final, qu’un seul objectif : faire évoluer Amex GBT pour conforter sa place de TMC capable de fournir des services efficaces et reconnus aux entreprises dans le domaine du voyage d’affaires. «Je parle souvent de la plate-forme multicanale qu’il faut impérativement intégrer à nos offres et qui, seule, est capable d’intervenir sur l’ensemble des outils mis en œuvre dans l’entreprise, que ce soit dans l’univers de la mobilité ou non», explique t-il. Rencontre avec celui qui détient les clés de l’avenir technologique d’Amex.

DeplacementsPros.com: Voilà près d’un an qu’American Express GBT a annoncé de grands projets dans le monde du voyage d’affaires. Qu’en est-il aujourd’hui?

Philippe Chérèque: Avant de répondre à votre question, et d’apporter des précisions sur la stratégie que nous allons annoncer, je voudrais simplement préciser que nous n’avons pas arrêté nos activités pendant cette grande période de réflexion et de mise en place des outils qui feront demain le nouvel American Express GBT. C’est important de dire que nous restons aujourd’hui très présents sur l’ensemble des pays que nous couvrons et que globalement, le résultat reste bon même si nous avons connu quelques difficultés sur certains marchés européens comme la France.

Où en sommes-nous? Très exactement là où nous souhaitions être aujourd’hui, c’est-à-dire à travailler à l’intégration des technologies qui, demain, permettront pour le On Line comme pour le Off Line de répondre avec rapidité aux besoins de nos clients. Il serait ambitieux de dire que nous avons aujourd’hui toutes les briques qui vont composer le corps technologique de la TMC. Nous nous sommes donnés deux ans pour atteindre cet objectif et pour trouver tous les maillons d’une chaîne qui doit nous être propre, adaptable à l’ensemble de nos marchés et paramétrable en fonction des habitudes et des cultures que nous rencontrons dans les pays où nous sommes installés.

DeplacementsPros.com: Le mot technologie recouvre un grand nombre de domaines, quels sont les univers sur lesquels vous avez focalisé vos efforts?

Philippe Chérèque: Je ne crois pas qu’un développement technologique se fasse par l’apport de briques qui n’auraient pas de points communs. La réservation, par exemple, est une petite partie du service fourni par les TMC. Nous devons, et nous le faisons déjà en partie, proposer aux clients d’avoir, quasi en temps réel, le coût global d’un voyage et son éventuel retour sur investissement tout en intégrant les données économiques au sein d’outils de reporting immédiatement interprétables par le client. Il ne s’agit pas, dans cet exemple, de multiplier les logiciels mais d’en avoir un seul, puissant et précis. C’est aujourd’hui une chaîne vertueuse qu’évoquent beaucoup d’agences de voyages d’affaires mais que peu font dans la globalité.

Nous allons travailler en développant les profils voyageurs ou en anticipant des besoins en fonction de ce que nous savons déjà des déplacements professionnels de l’entreprise. Si nous ne sommes pas capables de faire évoluer les services, il n’y aura pas de fidélité de nos clients. En tout cas, c’est ce qu'ils nous demandent clairement, en nous disant qu’ils sont prêts à adhérer à la marque Amex si nous leur offrons des tarifs particulièrement équilibrés qui respectent à la fois les contraintes financières, les attentes des voyageurs et l’audit permanent de cette chaîne du voyage.

DeplacementsPros.com: On a le sentiment que tout cela prend plus de temps que prévu alors que la nouvelle direction France de la TMC semble convaincue que la reprise est engagée?

Philippe Chérèque: Guillaume Col a raison de le penser car effectivement, nous sommes persuadés de la qualité de ce que nous pouvons offrir à nos clients. J’ai visité plus d’une dizaine de pays ces derniers mois et je fais très fréquemment des allers-retours entre l’Europe, les États-Unis, l’Asie et l’Amérique latine. Je constate que notre marque est forte et que notre savoir-faire est reconnu. On me dit également que nous avons une vision avancée de ce qui peut faire ou fera demain le voyage d’affaires. On nous reconnaît une expertise et il me semble aujourd’hui difficile de considérer qu’elle ne saurait séduire de nouveaux clients ces prochains mois. Je crois même que nous pourrons annoncer quelques surprises de taille.

Au-delà, et j’ai eu l’occasion d’en parler lors de l’EVP en janvier dernier à Paris, il ne saurait y avoir de précipitation dans la recherche technologique qui va nous permettre de construire demain une image forte que ce soit sur le mobile, les SBT ou les services d’audit que nous continuons à développer fortement. 

DeplacementsPros.com: On a souvent évoqué les 900 millions de dollars apportés à la joint-venture qui a donné naissance à la nouvelle structure de la TMC. C’est un investissement conséquent, qu’allez-vous en faire?

Philippe Chérèque: C’est une somme. Et il ne faut pas faire d’erreurs en la dépensant. il y a plusieurs voies que nous étudions aujourd’hui. La première, et ce afin de gommer toute ambiguïté, est claire: nous n’achèterons pas d’agences de voyages d’affaires. Il n’y a pas aujourd’hui de concurrents suffisamment avancés au point de nous inquiéter. A contrario, il y a beaucoup d’entreprises qui nous semblent intéressantes dans le monde de la technologie et qui seraient, à court terme, capables de nous apporter beaucoup dans l’univers de la mobilité. Je regarde, entre autres, deux entreprises, qui n’ont strictement rien à voir avec le voyage mais qui pourraient parfaitement s’adapter à nos besoins. Je me suis fixé comme objectif de participer au développement d’un outil global dont nous aurions une maîtrise totale dans le temps. Il ne m’appartient pas de développer aujourd’hui une solution qui, demain, serait commercialisée à l’ensemble de nos concurrents. C’est une vision qui demande des moyens financiers mais également du temps, comme je l’évoquais plus haut.

L’autre piste consiste à renforcer notre vision mondiale. D’être encore plus global. Aujourd’hui, nous sommes présents directement, via des franchises ou des distributeurs, dans de nombreux pays dans le monde. Sans doute, faudra-t-il réfléchir à des prises de participation qui donneront beaucoup plus de corps à notre réseau. Nous allons, peut-être, proposer à des entreprises qui nous représentent d’intégrer le groupe. Je n’ai pas d’exemple particulier à donner mais dans des pays forts comme le Brésil, l’Inde ou la Chine, il me semble nécessaire de développer et de dire aux clients qui ont besoin d’une vision globale de leurs voyage. Nous parlons d’entreprises qui dépensent 4 ou 500 millions de dollars par an de dépenses en déplacements professionnels, que nous maîtrisons l’ensemble de la chaîne en parfaite conformité avec leurs politiques voyages ou leurs attentes sur le terrain. Il ne me semble pas normal qu’un voyageur perdu à Rio de Janeiro, avec je ne sais combien d’heures de décalage horaire, doive attendre l’ouverture d’un plateau à Paris pour avoir une solution à son problème. Il faut développer des contacts locaux qui nous sont propres et qui apportent une réponse immédiate aux voyageurs.

DeplacementsPros.com: Et les recrutements de nouveaux talents?

Philippe Chérèque: ils sont indispensables, et ont déjà débuté, dans un univers où la data est un élément fort du développement. Nous allons par exemple travailler à l’amélioration des donnés voyageurs et à l’intégration des informations au sein de profils consolidés qui doivent nous permettre de gérer les voyages répétitifs mais également d’automatiser une grande partie des demandes formulées par les entreprises. Cela va passer par des développements qui vont nous permettre de modifier la réception des appels téléphoniques pour les intégrer directement dans les écrans placés devant les agents. Nous allons également croiser les datas d’une même entreprise pour assurer l’optimisation des dépenses.

Tout cela demande que de nouveaux métiers soient intégrés au sein de l’entreprise, d’autant que toutes ces informations doivent être liées pour permettre une adaptabilité totale de la politique voyages des entreprises. Je pense aussi que ce croisement des données - que les Américains appellent le "data lake", ce qui vous donne une idée de l’étendue du sujet! - doit devenir un atout majeur pour Amex GBT qui pourra répondre instantanément à des demandes aussi variées qu’une réservation de proximité on line, un voyage complexe avec de nombreuses escales ou aider un voyageur bloqué par une situation inattendue lors d’un déplacement professionnel. C’est la mission confiée aux développeurs et aux analystes.

Autre exemple, nous allons annoncer dans quelques jours l’arrivée d’un vice-président en charge du voyage digital qui aura une équipe dédiée dont la finalité sera d’imaginer les développements et les évolutions dans ce domaine. C’est sans limite.

DeplacementsPros.com: Vous évoquez la vision voyageur dans la stratégie que vous souhaitez mettre en place. Cela en est où?

Philippe Chérèque: Pendant très longtemps, et aujourd’hui encore on l’a vu avec le dernier baromètre, le voyageur n’était pas un élément essentiel de la réflexion apportée par celles et ceux en charge d’acheter les déplacements professionnels. Je pense que tout cela est en train de changer profondément, avec notamment l'arrivée des nouvelles générations qui échangent leur impression sur Internet et se transmettent leurs bonnes adresses. On voit bien ces mutations avec la montée en puissance de l’open booking même si j’en perçois les limites. Mais il faut regarder les mutations de l’économie partagée, la montée en puissance de la visio, etc…  Il nous appartient aujourd’hui d’intégrer cette vision dans notre stratégie, que ce soit par les outils mobiles ou via nos agents de réservation. Ce qui compte, c’est d’avoir la réponse à une demande d’un client. Cela n’a l’air de rien, mais c’est le cœur business d’une TMC.

Nous allons travailler à l’automatisation dans les applications mobiles des accès au système d’information qui permettront de gérer à distance les consolidations, les validations ou les re-confirmations de la chaîne des déplacements professionnels et qui seront des outils indissociables du carnet de voyage numérique qui se développe aujourd’hui dans notre univers. Nous annoncerons beaucoup de produits d’ici à la fin du deuxième trimestre 2015. Tout cela sera en place avant la fin 2016.
 

DeplacementsPros.com: Si, vous deviez résumer en trois points votre mission?

Philippe Chérèque: Ce serait très simple. La première de mes priorités est de construire cette plate-forme multicanale qui intègre la cohérence des données on line et off line. La seconde serait de réussir la globalisation de la TMC dans le monde entier et enfin, la troisième, de réussir la relation voyageur qui a été souvent oubliée au sein des entreprises. Mais je rajouterai, et cela me semble important, que tout ce que nous faisons n’a qu’un seul objectif: augmenter le volume d’affaires de la TMC!
 
Propos recueillis par Marcel Lévy

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