SNCF, les dessous d’une grève

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Grève à la SNCF ce mardi 10 mars. Le premier mouvement social national de l’année pour l’entreprise. PAT, notre chroniqueur ferroviaire, subodore que cette journée de perturbations risque de n’être que la première d’une série. La campagne électorale des élections professionnelles à la SNCF est commencée.

Depuis le vote de la loi du 4 août 2014 et la réunification du système ferroviaire au sein de SNCF3  (SNCF puissance 3) comme se plaisent à dire les cheminots (lire les établissements publics SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités), l’heure n’est pas encore venue pour la paix des braves.

D’un côté la CGT, première organisation syndicale à la SNCF, toujours vent debout contre la réforme. Si elle prend acte que la loi a été votée, avec son préavis elle veut peser sur  les réorganisations et restructurations auxquelles procèdent actuellement les directions du groupe, à marche forcée souligne-t-elle.

SUD-Rail n’est généralement pas en reste sur tous les mouvements sociaux, au grand dam assez souvent de la CGT qui bien que faisant sienne un discours d’unité syndicale de bon aloi, se trouve parfois encombrée par son concurrent, plus que partenaire.

Cette fois-ci, SUD-Rail est resté sur le bord du chemin. L’organisation ne s’est pas jointe à la CGT. Cette dernière ne l’a d’ailleurs pas invitée ! Et SUD-Rail, contrairement à son habitude bien établie, n’a pas rejoint l’appel à l’action de la CGT. A l’heure où nous écrivons, il n’y a d’ailleurs toujours rien à propos de cette grève sur le site national de SUD-Rail. Seule amorce de conflit siglé SUD, une Demande de Concertation Immédiate datée du 6 mars (D.C.I. dans le jargon cheminot, préalable légal à tout dépôt de préavis de grève). Quatre jours seulement après la D.C.I. de la CGT. Si ça ce n’est pas se marquer à la culotte ! Certes sur un périmètre (les personnels des gares, vendeurs, agents d’accueil, d’escale … ) moins large que l’initiative de la CGT, mais il y a un début à tout.

D’expérience, le fait que SUD-Rail ne se soit pas officiellement associée à l’initiative du 10 mars ne signifie pas que l’organisation restera regarder passer le train de la grève CGT. Dans de nombreux endroits, ses militants, radicaux souvent, extrémistes parfois, volontiers jusqu’au-boutistes, très politisés pour l’élite, ne seront pas gênés de s’associer à la base à un appel de la CGT. Les rassemblements de la CGT sont toujours pour SUD une bonne occasion de faire passer son discours et de présenter ses alternatives à un public de choix. Il n’y a bien qu’une seule chose qui fâche SUD-Rail dans le préavis de la CGT : c’est que ne soit pas un appel à la grève reconductible. Non pas que toute première journée grève doive être immédiatement reconduite pour SUD-Rail (illimitée l’entend-on parfois dire par abus de langage). Mais, selon sa doctrine, elle ne juge pas bon de se priver au travers des termes du préavis de la possibilité de poursuivre une action. Encore que, lorsque le corps social se lève comme un seul homme, nul ne s’embarrasse trop avec les formes !

Les plus grands conflits sociaux à la SNCF ont rarement été exactement dans les clous des dispositions légales. Les droits de retrait récurrents qui n’ont de droit de retrait que le nom et la forme mais sont de véritables cessations concertées de travail (le terme savant pour une grève dans le vocabulaire des Ressources Humaines de SNCF) sont là pour nous le rappeler.

Autre syndicat qui compte au sein de SNCF : l’UNSA. Une organisation qui a eu des positions changeantes sur la réforme ferroviaire, passant de l’opposition (n’ayant pas rechigné à quelques grèves) à l’adhésion. Une organisation syndicale dont l’ancêtre (la Fédération Maîtrises et Cadres) s’était réjouie en son temps (1998) de la création de Réseau Ferré de France. Une organisation instable sur pas mal de sujets, au grand dam de Guillaume Pepy qui compte sur elle pour asseoir et consolider le pôle réformiste qui lui est cher.

Et la CFDT donc. Elle n’a de cesse pour justifier son choix politique et stratégique de soutien à la réforme que de positiver tout ce qu’elle peut. Mais, force est de constater que la Direction de la SNCF lui en donne peu. La réactivation d’une prime d’intéressement ici, quelques promotions là… Des promesses de ne pas toucher à l’essentiel (les grands équilibres de la réglementation du travail) aussi. Peut-être trop de promesses.

Les prochaines élections professionnelles simultanées au sein des trois établissements publics SNCF en novembre de cette année auront valeur d’arbitrage. Avec une représentativité faible, la plus faible des 4 seules organisations nationalement représentatives, la CFDT ne peut pas se permettre de perdre quelques points d’audience, sauf à risquer de se retrouver en-dessous du seuil légal fatidique de 10 %. Adieu veau, vache, cochon…

Et une baisse d’audience de la CFDT, sauf à imaginer qu’elle soit compensée par la progression de l’UNSA, éloignerait encore la perspective de constitution du pôle réformiste espéré par Guillaume Pepy. Pour que des accords d’entreprise soient valables, il faut en effet qu’ils soient avalisés par une ou plusieurs organisations cumulant 30 % des suffrages. L’UNSA ne pèse aujourd’hui que 22,98 % et la CFDT atteint 14,7 %. C’est largement suffisant pour que ces deux syndicats puissent valider ensemble un accord d’entreprise. Mais la combinaison CGT + SUD pèse plus de 50 % (52,63 % exactement), permettant au couple maudit de s’opposer à tout accord. Sous le contrôle et la souveraineté à terme bien sûr de leurs mandants lors des scrutins électoraux à suivre. Le corps électoral cheminot pourrait en effet finir par se lasser de ces trop longs face à face stériles. Avec la moitié des effectifs qui ont moins de 10 ans d’ancienneté, nul doute que Guillaume Pepy mise sur le changement de pratiques et l’attrait pour un autre type de syndicalisme dans sa grande maison.

Pour l’heure, nul ne sait encore ce qu’il va advenir de tout ça. On saura aux prochaines élections professionnelles au sein de SNCF. Une partie qui commence à se jouer maintenant. En conséquence, même si c’est au grand dam des voyageurs, usagers, citoyens, contribuables,  cette grève du 10 mars est le premier acte de la campagne électorale qui démarre. Il n’est pas exclu qu’il y ait d’autres initiatives du même genre jusqu’à plus soif.

Dans l’immédiat, la CGT-Cheminots a besoin d’afficher son rapport de force réel. Il lui faut aussi le mesurer dans l’action pour affiner sa stratégie, ajuster son positionnement et se mettre en ordre de marche pour le scrutin de fin d’année. Un électeur n’est pas forcément un gréviste et vice-versa. En faisant cavalier seul, même si ici ou là les renforts isolés de SUD-Rail viennent lui polluer son audience, elle va pouvoir s’afficher et montrer sans doute qu’il faut, qu’il faudra toujours, compter avec elle. Au moins ça. La logique voudrait que sur un appel à la grève ponctuel d’elle-seule et compte-tenu de son échec précédent (avec SUD-Rail), le mouvement ne soit pas suivi par plus de 10 % des cheminot(e)s. Mais si les chiffres des grévistes (et malgré les discussions sans fin et interprétations dont ils feront l’objet, tout le monde ne calculant pas exactement de la même façon) flirtent autour de 20 % voire plus, 30 % peut-être, l’avertissement aura été sévère. Et nul ne doute qu’il devra être entendu sauf à vouloir remettre le couvert. Bien plus que le pourcentage de grévistes sur la totalité du personnel, il ne sera pas non plus sans intérêt de repérer les secteurs les plus revendicatifs surtout s’il s’agit de métiers, de fonctions à forte capacité de nuisance immédiate pouvant faire se gripper rapidement la machine ferroviaire.

Le couvert est d’ailleurs d’ores et déjà en passe d’être remis pour le 9 avril, dans le cadre d’une journée interprofessionnelle d’action.

Au bout du bout, ce serait toutefois une erreur de penser que dans tout cela, il n’y a qu’un combat d’arrière-boutique pour la suprématie syndicale. C’est aussi une vision du service public qui se joue. Et là, si on creuse un peu, on n’a pas de mal à trouver une majorité de citoyens, d’électeurs, de décideurs politiques (à l’occasion de tous bords) qui, mine de rien, sont plus proches de la vision CGT que celle des ministres et parlementaires de la majorité les plus en vue (hors frondeurs s’entend). Une SNCF proposant des services pas chers, de qualité, en toute sécurité, partout, desservant les gares qu’on lui dit de desservir même si c’est impécunieux ou coûteux pour ses finances. S’il y a bien une chose qui fédère les cheminot (e)s, ce sont les injonctions contradictoires dont ils font l’objet au quotidien. Et cette dette qui continue d’enfler alors que les observateurs économiques soulignent que les causes fondamentales ne relèvent pas du domaine de décision de l’entreprise.

Ah oui ! C’est un problème qui n’a pas été traité lors de la réforme. Un oubli ? Non, un serpent de mer.

PAT