Voyage d’affaires, la Chine s’amuse beaucoup des gesticulations americano-européennes

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Dans un pays qui a su donner ses lettres de noblesse au boulier, les centaines d’heures de discussion autour de l’évolution du voyage d’affaires font sourire. Si la technologie n’est pas encore l’apanage de toutes les entreprises locales ou nationales, on constate qu’elles commencent à s’y intéresser même si les acheteurs privilégient "le réalisme au futurisme".

Dans un pays où le Networking n’est pas la première qualité des chefs d’entreprise, on cultive le secret comme arme de réussite commerciale. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’échanges autour des bonnes pratiques mais plus simplement que l’on n’a pas l’habitude de les porter en place publique. Encore moins dans le monde du voyage d’affaires où l’indication d’une destination privilégiée pourrait dévoiler quelques informations sur les marchés visés.

Pour beaucoup d’acheteurs chinois, le voyage d’affaires n’est que l’assemblage d’un ensemble de besoins, facilement identifiables et qui ne doit pas être consommateur de temps. Cette vision du déplacement professionnel a pendant longtemps été un obstacle à la compréhension par les TMC internationales des besoins de leurs clients locaux. La où elles voient un manque de maturité et un retard évident, les Chinois eux constatent une véritable stratégie d’achats. Il est vrai que les notions modernes de Travel management sont principalement arrivées avec les entreprises étrangères qui s’installaient en Chine. La cohabitation entre des dirigeants locaux et une vision internationale jugée « trop laxiste » a engendré bien des difficultés qui commencent aujourd’hui à s’estomper.

Il en va de même dans l’univers local du business Travel qui a parfaitement compris les bienfaits de l’automatisation et du reporting mais qui se refuse à céder à un fournisseur le soin de gérer la négociation tarifaire et l’organisation interne de l’entreprise. On le constate dans les très grandes entreprises chinoises, le fournisseur doit tenir un rang et en aucun cas aller au-delà des prérogatives qui lui sont confiées. On perçoit mieux la complexité de la mise en place d’un audit qui, en soulignant d'éventuelles failles internes, s’attaquerait à la susceptibilité du dirigeant. Tout est affaire de mots et de présentation avec comme seul mot d’ordre, ne jamais faire perdre la face.

Pour autant, toutes les grandes TMC sont sur le marché concurrencées depuis quelques années par des agences de voyages chinoises qui se sont très tôt attaquées au marché du voyage d’affaires en développant des produits propres aux besoins de leurs clients. Dès leurs premiers pas sur place, les TMC internationales ont compris la difficulté du marché chinois. Venues en conquérant, il a fallu se transformer en partenaires dociles et respectueux des usages.

On voit bien qu’il s’agit là bien plus qu’une stratégie commerciale. Nous sommes de plain-pied dans les spécificités d’un pays qui a besoin de comprendre et d’apprendre avant de choisir. Il est vrai que bien des sujets que nous évoquons ici en Europe peuvent heurter les Chinois en raison de leur implication plus politique qu'économique. Prenons l’exemple de l’intelligence artificielle, censée gérer les profils des voyageurs et optimiser leurs besoins. C’est une vision technologique que maîtrisent parfaitement les Chinois mais dont la finalité n’est pas la même pour eux. Le choix n’est pas du fait du voyageur d’affaires, mais de l’acheteur et surtout de l’entreprise qui détermine en fonction de statuts du voyageur l’offre qui lui est allouée. Il faut bien comprendre cette hiérarchisation du besoin pour répondre aux attentes des entreprises chinoises.

D’autres sujets, comme celui de la gestion de la dépense, font débat dans le pays. La notion de notes de frais, naissante il est vrai dans la forme qui nous est propre, n’est pas totalement comprise dans sa vision européenne. Il est vrai qu’en raison des multiples déplacements à l’étranger, on ne peut aujourd’hui la négliger. Mais les Chinois voyagent rarement seuls pour leur entreprise, c’est donc toujours un membre du groupe qui assure le rôle de "trésorier temporaire". Généralement, il appartient à une structure d’achat qui pilote également la finance.

Enfin, les notions de politique voyage restent assez floues pour les raisons évoquées plus haut : la place du salarié dans l’entreprise détermine ce à quoi il a le droit. Rien, pas même le voyageur, ne viendra troubler cet ordre établi, quasi céleste. Toute cette vision bouscule l’envie des americano-européens d’exporter leur savoir faire dans l’Empire du Milieux.

Mais ne nous trompons pas d’analyse. La Chine est très preneuse de toutes les nouvelles technologies de gestion du voyage d’affaires, mais à son rythme et à sa vitesse... Selon ses propres codes. Le pays sera en tête, d’ici 5 ans, dans le classement mondial des dépenses dans le voyage d’affaires. C’est la force des TMC mondiales et leur faiblesse car il faudra trouver les bons arguments pour séduire ce que les agences locales maîtrisent. Mais le marché est colossal et les promesses de réussite à la hauteur des chiffes vertigineux qui circulent. Voilà qui donne des ailes.

A Honk Kong,
Johan Yu