Pour le deuxième volet de ce dossier, nous nous intéressons aux moyens qu’il serait possible de mettre en oeuvre afin de limiter l’empreinte carbone de l’aviation commerciale.
En 2008 le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié un rapport spécial dans lequel était présenté un ensemble de pistes permettant de limiter le réchauffement climatique à une augmentation de la température de 1,5°C par rapport au niveau préindustriel. Depuis 30 ans, le GIEC évalue l’état des connaissances sur l’évolution du climat, ses causes, ses impacts. Il identifie également les possibilités de limiter l’ampleur du réchauffement et la gravité de ses impacts et de s’adapter aux changements attendus.
Les rapports publiés par le GIEC servent à alimenter le débat mais ne doivent pas prescrire de choix de nature politique. La formule constamment rappelée à ce sujet est que le contenu des rapports doit être « policy relevant, but not policy prescriptive » (pertinentes politiquement, mais non prescriptives). La production du GIEC constitue l’apport scientifique alimentant les négociations internationales sur le climat.
Mais que signifie concrètement limiter l’augmentation de la température moyenne à la surface de la Terre à 1,5°C ? Peut-on réellement rester sous cette valeur ? Quel type de mesures sont nécessaires pour y parvenir ? Pour mieux comprendre, B&L évolution, bureau d’études en développement durable, propose un décryptage de ce rapport spécial intitulé « Comment s’aligner sur une trajectoire compatible avec les 1,5°C ? » Ce document analyse la faisabilité technique d’une « trajectoire 1,5°C » et met en perspective l’ampleur et la rapidité des mesures à mettre en place pour y arriver.
L’étude de B&L évolution passe en revue l’ensemble des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre (résidentiel, tertiaire, mobilité, agriculture, industrie de l’énergie, aménagement, émissions liées à l’aviation, services et bien de consommation dont l’industrie textile et le numérique) et explicite pour chacun d’eux des exemples de bloc de mesures types qui leur permettrait, en les appliquant toutes, de réduire suffisamment nos émissions de gaz à effet de serre (GES) pour s’inscrire dans une trajectoire compatible avec l’objectif de 1,5°C.
S’il parait aujourd’hui difficile de réduire l’élevage intensif (on ne va pas demander à la population de ne plus manger de viande) qui est à l’origine des plus fortes émissions de GES, on peut, en revanche, réfléchir à une autre façon d’envisager nos déplacements.
« Il faut concilier nécessités économiques et protection de l’environnement« , explique Charles-Adrien Louis, cofondateur de B&L évolution et co-auteur de l’étude. « Il ne s’agit pas de casser le secteur aérien, » précise t’il, « mais on doit absolument réfléchir à notre manière de nous déplacer. On peut difficilement réduire l’utilisation de la voiture qui reste indispensable dans de très nombreux endroits. Pour l’avion, c’est moins évident et nous devons faire des efforts si nous voulons vraiment réduire le réchauffement climatique.«
Même si le secteur aérien est en forte croissance, le nombre de personnes transportées ne cesse d’augmenter, « il reste un moyen de transport surtout utilisé par une population privilégiée », indique Charles-Adrien Louis qui précise qu’aujourd’hui « seule 1 personne sur 7 a déjà pris l’avion et que 80% des vols sont faits pour 10% de la population.«
Il y a, bien sûr, de nombreuses mesures mises en place pour tenter de limiter les émissions de CO2 des avions. Ne serait-ce que la compensation carbone où l’on plante des arbres pour réduire les effets néfastes en aidant la planète à recycler le CO2. « Il faut déterminer sérieusement comment c’est faisable à grande échelle« , souligne l’étude de B&L évolution, « planter des arbres c’est bien, mais où va-t on les planter ? On ne peut pas réduire la surface des terres cultivées pour nous nourrir afin d’y planter des arbres et continuer à voyager en avion. » Pareil pour les bio-carburants déjà utilisés de façon marginale par quelques compagnies aériennes. « Là aussi on ne va pas sacrifier nos terres cultivables, il ne sera donc pas possible de disposer de plus de 10% de ce carburant dans l’aviation d’ici 2050. »
Compensation carbone guère efficace et bio carburant insuffisant, les carottes sont-elles cuites pour le transport aérien ? Bien évidemment, non ! L’avion a encore de beaux jours devant lui, à condition, toutefois, de ne plus l’utiliser à tout-va. « Il faut supprimer tous les vols qui ne sont pas indispensables », détaille Charles-Adrien Louis qui souligne que si l’on veut réduire l’impact environnemental du secteur aérien « on ne va pas pouvoir tous se déplacer en avion. »
L’étude de B&L évolution propose plusieurs mesures dont les effets auraient une incidence forte sur l’environnement. Des mesures radicales que Charles-Adrien Louis préfère qualifier de « contraignantes. »
Passons en revue les mesures les plus significatives de cette étude :
- Privilégier la visio-conférence et réduire les voyages d’affaires afin de n’effectuer que ceux qui sont réellement indispensables.
- Essayer de coupler les déplacements professionnels et personnels (prolonger son voyage d’affaires par des vacances plutôt que de rentrer chez soi à la fin d’une mission et repartir en vacances en avion quelques semaines plus tard).
- Reconsidérer les vols intérieurs en France. « 10% des trajets Paris-Lyon sont faits en avion, ce n’est pas logique face à l’offre ferroviaire » indique B&L évolution.
- Mise en place d’une « loterie-voyage« , 500 000 billets d’avion disponibles chaque année pour des voyageurs tirés au sort.
- Interdire les vols non-justifiés.
- Création d’une taxe sur les billets d’avion sur le principe du « pollueur-payeur. » Charles-Adrien Louis évoque un prix de 250 euros supplémentaires sur un trajet Paris-New-York.
Des mesures contraignantes que l’étude B&L évolution juge nécessaires pour inscrire le secteur aérien dans une logique de développement durable à long terme. « Si l’on veut diviser par 4 les émissions carbone des avions, nous devons accepter de faire 3 fois moins de déplacements en avion. »
En pénalisant ceux qui continueront de prendre l’avion, en tapant directement dans leur porte-monnaie, il apparaît clairement que les grands perdants de la « décarbonisation » du secteur aérien seront les populations des pays en voie de développement. Dépolluer,certes oui, mais sans priver les pays émergents d’un possible désenclavement économique par les airs. C’est aussi là que se situe le véritable défi de la lutte contre le changement climatique.