Tribune JL Baroux – Après les lowcost, le transport aérien est-il encore un service ?

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Tribune JL Baroux - Après les lowcost, le transport aérien est-il encore un service ?

Jean-Louis Baroux est un acteur reconnu du monde des compagnies aériennes. Créateur du World Air Transport Forum et de l’APG, il fait un bilan désastreux de la course aux prix bas dans l'aérien sous l'influence des lowcost.

Cela fait des années que nous dénonçons cette course folle à la multiplication des classes de réservation et des tarifs, soi-disant pour répondre aux demandes des passagers. Or, une étude récente menée par Travelport largement commentée par David Keller pour DéplacementsPros montre tout le contraire. Je cite l’article : « 42% des interviewés ont l’impression que les offres des compagnies aériennes sont devenues moins adaptées à leurs préférences personnelles ». Autrement dit trop de tarifs tuent la perception des prix.

La dérive a réellement commencé avec l’arrivée massive des « low costs » dans le paysage aérien. Les compagnies traditionnelles les ont vu venir avec une certaine condescendance en prédisant leur disparition rapide, et le contraire s’est produit. Ne pouvant réduire leurs coûts au niveau des nouveaux arrivants, les transporteurs se sont alors lancés dans une course à l’imagination pour arriver à proposer des prix suffisamment bas afin d’être affichés en tête de liste dans les comparateurs de prix. Les clients se sont engouffrés dans ce toboggan infernal, et l’offre tarifaire et réglementaire est devenue totalement disproportionnée à la capacité de transport. La course folle à la baisse des prix a eu pour conséquence la baisse réelle de la qualité de services et l’érosion des marges à tel point que pendant des années le transport aérien traditionnel a perdu de l’argent.

Petit à petit les compagnies se sont séparées de leur personnel, qui était devenu certes un peu pléthorique, pour demander aux clients de faire eux-mêmes le travail à la place de leurs salariés. C’était tout bénéfice tant que les produits et la qualité de service restait acceptable, mais finalement les passagers ont fini par ne plus voir de différence entre les « low costs » et les compagnies traditionnelles. On a touché le fond dans les années 2010. 

Et fort heureusement pourrait-on dire, le Covid est arrivé et avec lui l’effondrement du transport aérien, sans doute le secteur d’activité le plus touché par la pandémie. Cela a obligé les acteurs à repenser leur modèle et à revenir au bon sens tarifaire. Devant une demande puissante due à la frustration des passagers privés de déplacements pendant deux ans, les tarifs sont rapidement revenus à un niveau normal et les compagnies ont enfin prix le virage de l’amélioration de leur produit. C’est ainsi qu’on a constaté un réel progrès chez de nombreux transporteurs en particulier pour les longs courriers. Mais il semble bien que la progression de la demande de transport soit en train de fléchir. L’année 2024 sera sans doute moins favorable que la divine année 2023 au cours de laquelle tous les indicateurs revenaient au vert à la seule exception de la construction aéronautique obligée d marquer le pas par manque de main d’œuvre.

Alors le péché mignon qui consiste à revenir à une guerre des offres tarifaires est en train de revenir et avec elle les recettes additionnelles constituées par la vente de services autrefois inclus dans le prix normal. L’imagination en la matière est sans fin. Tout est bon pour grapiller un peu d’argent. Cela du bagage enregistré ou non, à l’accès au wifi à bord, sans compter les priorités d’embarquement, les assurances annulation et maintenant le développement des prestations auxiliaires avec la généralisation progressive de la norme NDC (New Distribution Capability) qui multiplie les possibilités de vente. En fait les compagnies aériennes non seulement ne veulent plus rémunérer le circuit de distribution, mais se mettent en position de prendre leur activité aux agents de voyages. Sauf que ce n’est pas leur métier et que c’est finalement aux clients de faire le travail.

Back to the future

Il est temps de revenir à ce que doit être le transport aérien : un produit d’une extrême qualité et d’une fiabilité sans égale. La partie technique est proche de l’excellence. Les accidents d’avion sont devenus rarissimes, et dus pour la plupart à des erreurs de pilotage. Il n’est est pas de même pour le service. Celui-ci ne peut pas être laissé à la seule utilisation des machines. Les clients, dont une grande partie a peur en avion, ont besoin du contact humain. Les agents au sol des compagnies aériennes ont déserté les aéroports pour être remplacés par des téléphones ou des bornes d’enregistrement. Or le transport aérien ne peut pas être déshumanisé. Les clients ont besoin de clarté dans l’offre qui leur est proposée, 3 à 5 tarifs par classe de service devraient être largement suffisants à comparer aux plus de 100 couramment affichés, et de contact personnel pour remplacer les insupportables liaisons avec des machines que ce soit au téléphone ou dans les aéroports.

Cela coutera peut-être un peu plus cher, mais au final tout le monde y gagnera, les personnels des compagnies qui trouveront une nouvelle légitimité et les clients qui, on l’a vu au sortir du Covid, sont prêts à payer plus cher une prestation de meilleure qualité.

 

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