Comment l’économie collaborative et la consumérisation bouleversent le fonctionnement de l’entreprise  

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L’économie collaborative et la consumérisation déchaînent les passions. L’industrie du voyage d’affaires, qui contribue rappelons-le pour plus de 1 trillion de US dollars à l’économie mondiale en est une illustration frappante : chaque entreprise se trouve aujourd’hui confrontée à des dépenses liées à de nouveaux acteurs. De quoi alimenter la réflexion d’Emmanuel Vergé, directeur marketing de Concur France.

L’arrivée de ces nouveaux modèles économiques au sein de l’univers professionnel suscite de nombreuses interrogations mais aussi des transformations (digitales) des usages à venir :
Comment les salariés réservent-ils aujourd’hui leurs déplacements et quels sont les enjeux en termes de sécurité, de maîtrise de coûts et de conformité ?
Comment intégrer ces nouveaux usages sans perturber la gestion de l’entreprise ?
Autant de considérations qui sont aujourd’hui à prendre en compte par les dirigeants.

Principe de réalisme : le bouleversement des habitudes de consommation

Par la désintermédiation des acteurs historiques au travers de plateformes internet, des nouvelles façons de consommer sont de plus en plus adoptées et plébiscitées au quotidien. Louer plutôt qu’acheter, voyager différemment, partager plutôt que conserver pour soi. La pleine maturité que nous observons des technologies mobiles, associée au développement de nouveaux modèles économiques, ont bouleversé les habitudes des consommateurs. Ils sont aujourd’hui de plus en plus sensibles à la qualité des services proposés de façon instantanée, à leur simplification de la vie courante et à leur dimension communautaire. Il s’agît toujours de convivialité mais surtout de prix proposés.

Ce phénomène s’applique avec force au marché du voyage d’affaires qui voit aujourd’hui se développer le recours à de nouveaux acteurs qui offrent de alternatives plus attractives les unes que les autres. Ainsi, certains salariés préféreront réserver un appartement via Airbnb plutôt qu’une chambre d’hôtel, ou encore commander un chauffeur privé via Uber à la place d’un taxi. Le partage de véhicule se profile à l’horizon et l’échange ou rachat de billets de trains (non remboursables) se développe.
 
De nouveaux usages qui, même s’ils ne sont pas encore systématiques chez les « pros », prennent de l’ampleur comme le démontre une étude réalisée par le Business Travel Show (BTS) indiquant que 20% des Travel Managers savent que leurs salariés ont recours à ces fournisseurs d’un genre nouveau (2). Pour autant, peu d’entreprises ont inclus ces nouvelles pratiques à leurs politiques de réservation et plus largement de dépense. Par conséquent, elles manquent de visibilité quant à la maîtrise de leurs coûts et de la sécurité de leurs salariés. Plus de 40% des entreprises se plaignent d’ailleurs de ce manque de visibilité (3).

La révolution industrielle : Vers la transformation digitale des acteurs traditionnels

Dans un secteur en pleine effervescence difficile aussi pour l’entreprise de réagir face à la pratique du « bleisure », qui consiste notamment à prolonger le séjour initialement prévu dans un cadre professionnel à des fins privées. Les générations « Milléniales », qui représenteraient 75% des professionnels en 2025, devraient renforcer cette tendance (4). Une tendance qui semblerait être très française puisque considérée comme « systématique » par 24 % des voyageurs (5).

La réponse des acteurs traditionnels du voyage ne s’est pas fait attendre et se matérialise par l’investissement massif dans les applications mobiles et le développement des programmes de fidélisation. La conquête (ou la reconquête) de la relation client est le nouveau champ de bataille marketing et commercial où compagnies aériennes, grandes chaînes hôtelières, services de transport, de location, d’hébergement, de restauration, et nouveaux entrants, construisent aujourd’hui des offres ciblées. Seule condition pour y avoir accès : posséder la bonne application mobile installée sur son smartphone. Mais la multiplication de ces solutions peut être perçue comme un risque par les entreprises, car elles viennent impacter la gestion de la politique dépense ou du programme voyage mis en place.

De vrais enjeux pour les entreprises : sécurité, maîtrise des coûts et conformité

Visant à encadrer les déplacements réalisés par les employés, les programmes et politiques de voyage reposent entre autres sur des canaux de réservations dits traditionnels et font appel à différents prestataires de voyages (compagnies aériennes, agences de voyage, etc.) avec lesquels des accords tarifaires sont négociés.
Face aux nouveaux usages, ce modèle historiquement centralisé s’effrite. Les voyageurs d’affaires français sont de plus en plus nombreux  (60 % en France selon notre étude menée avec GBTA (6) à utiliser ces canaux de réservation dits « alternatifs » (ceux non directement recommandés par l’entreprise). C’est là une des conséquences directes de l’émergence des acteurs de l’économie collaborative et des prestataires de voyages qui développent des nouveaux canaux de distribution.

Ces réservations alternatives induisent plusieurs problématiques pour les entreprises. Tout d’abord en termes de conformité, car ne respectant pas le cadre et les processus définis (en des temps anciens ?). Ensuite en termes de sécurité. Les Travel Managers n’ayant pas de visibilité sur ces déplacements, il leur est impossible de récupérer les informations propres aux voyageurs afin de les localiser et de s’assurer qu’ils sont en sécurité. Et enfin, elles ont une incidence sur la maîtrise des coûts, les salariés ne pouvant pas bénéficier des tarifs préférentiels (méconnus) qui ont pu être négociés par leur entreprise avec certains fournisseurs.

Dépenses invisibles : Pouvoir maîtriser les dérives du « Direct Booking »

Il semble venu le temps de réagir pour les directions achat et finance plongées jusqu’alors dans l’obscurité comptable (qui dépense quoi ?) Le fait de réserver en direct – le « Direct Booking » - est donc devenu une réalité. A défaut de l’interdire, ce qui serait illusoire, les entreprises se doivent de mettre en place des solutions qui visent à l’encadrer.

Pour y parvenir, deux possibilités s’offrent aux dirigeants. La première, consiste à encourager les salariés à avoir recours aux services dédiés aux voyageurs d’affaires de ces nouveaux acteurs tels que Airbnb for business ou encore Captain Train for business. Ils pourront ainsi disposer de tarifs mieux adaptés et envoyer leurs notes de frais simplement, facilitant ainsi la gestion comptable.
Une autre option repose sur la mise en place de solutions techniques qui permettent de récolter et traiter les informations émanant de ces réservations alternatives, et de les intégrer au programme voyage.
 
Pour conclure
La consumérisation et l’économie collaborative ne devraient pas être perçues comme une menace mais comme une opportunité par les entreprises. Une mise à jour des politiques et processus déjà en place est toutefois nécessaire. En effet, avoir recours à ces nouveaux acteurs peut améliorer la productivité des salariés, en prenant en compte leurs préférences quant à leurs conditions de voyage et de séjour. De plus, l’intégration de ces nouveaux usages aux bonnes pratiques de l’entreprise permettra de limiter les dépenses invisibles, tout en restant conforme aux processus internes. Le devoir de protection vis-à-vis de la sécurité des collaborateurs s’en verra également renforcé.

Emmanuel Vergé,
directeur marketing de Concur France
1 - GBTA Foundation Annual Forecast Predicts Global Business Travel Spending to Hit Record High of $1.25 Trillion in 2015
2 - Etude BTS, Novembre 2015, basée sur 182 Travel Managers européens.
3 - Etude Forrester The Real-Time Insight - 2014
4 - Deloitte Millennial (Generation Y)Survey.
5 - Etude Travel Technology d’Egencia , Mars 2015,  réalisée sur un échantillon de 1 000 employés en France, UK et l’Allemagne âgés d’au moins 18 ans et voyageant parfois pour des raisons professionnelles.
6 - Etude Concur GBTA - « Booking Behaviour: The Business Traveller’s Perspective », Février 2016, réalisée auprès de 741 voyageurs d’affaires français, allemands et anglais