Selon que l’on s’appelle Laetitia ou Fatima…

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Discrimination à l'embauche

Une campagne de testing à l'embauche, une opération "name and shame" qui lui fait suite. Et, au final, un sentiment nauséeux qu'on retrouve jusque dans le choix de communication du gouvernement...

Peut-être faut-il s’imaginer père ou mère d’une petite Fatima à qui on devrait expliquer que sa copine Laetitia recevra un nombre de réponses de 25 % supérieur qu’elle dans le cas d’une candidature d’embauche... Peut-être faut-il s’essayer à cet exercice pour mesurer pleinement le scandale que constituent les résultats du dernier testing organisé à l’initiative du gouvernement.

Le « name and shame » épinglant sept entreprises (dont deux dans le secteur du tourisme), rendu public le 7 février dernier, à propos de la discrimination à l’embauche, fait suite à ce fameux testing qui a été effectué auprès de 40 des 120 plus grosses entreprises françaises. Il en ressort que Fatima a reçu 9,3 % de réponses sur les 5 000 candidatures qu’elle a envoyées, quand sa copine Laetitia en recevait 12,5 %.

Discrédit

Pour ajouter le ridicule et la lâcheté à l’abject, six des sept entreprises nommées se sont confondues dans une pitoyable tentative de discrédit de l’enquête. Pourtant, les résultats sont si concordants et si tranchés que la méthodologie, forcément critiquable, comme pour toute enquête en sciences humaines, ne peut distordre les conclusions qu’à la marge. Tentative de discrédit de l’enquête, donc, et pas un mot pour Fatima…

Mais, comme s’il en était besoin, il y a autre chose qui gêne aux entournures. C’est le choix de communication du gouvernement sur ces chiffres. Reprenons le critère de ce « name and shame » : la discrimination moyenne enregistrée est donc de 25 % ; les entreprises nommées sont celles qui sont au-dessus de cette moyenne.

Pourquoi ne pas publier l’intégralité des résultats de l’enquête ? C’est, peut-être, ce qui sera fait dans les prochaines semaines (la position gouvernementale n’est, pour l’heure, pas arrêtée à ce sujet). Mais en attendant, que faut-il comprendre ? Que l’entreprise dont la discrimination s’élèverait à 5, 10 ou 20 % ne mérite pas d’être désignée comme discriminante ? Que sous 25 %, on tolère ?

Tolérance

Oui, il semblerait que ce soit le cas : sous 25 %, on tolère… On tolère parce que – que voulez-vous ? – « la société est comme ça », pourquoi voudriez-vous qu’il en soit autrement dans l’entreprise ? Pour au moins deux raisons : d’une part, parce qu’il est plus facile de fixer une politique de recrutement ferme que de faire évoluer « la société ».

D’autre part, parce que quand on dit « la société est comme ça », on sous-entend qu’une fraction importante de la population a des préjugés racistes et/ou islamophobes. C’est regrettable mais c’est son droit, dès lors que ces préjugés n’engendrent pas des actes condamnés par la loi. Dans le cas de ces entreprises, on est en plein dedans : par des actes discriminants basés sur des préjugés racistes, elles se placent hors la loi.

Mais, donc, manifestement, sous 25 %, on tolère pourtant… Souvenir personnel d’un directeur de publication, dépourvu de préjugés racistes, lui, la très grande mixité de ses salariés et les excellents rapports qu’il entretenait avec eux en étant l’un des signes. Très grande mixité... à l’exception du service commercial : « Tu comprends, parmi nos clients (d’achat d’espaces publicitaires, ndr), il y a de tels blaireaux, qu’il ne vaut mieux pas que nos commerciaux soient arabes ». Tolérance…

Accueillir

Le testing est, comme son nom l’indique, d’origine américaine. Un mode d’action adapté à un pays où l’origine ethnique et la race (terme explicitement employé par les autorités) sont considérées comme des marqueurs d’identité constitutifs de la société. Dans la République française qui ne distingue pas entre les origines (c’est même interdit par la loi, y compris aux chercheurs), le procédé ne coule pas de source…

Mais son efficacité a vaincu les résistances théoriques. Ainsi, trois campagnes de testing à l’embauche ont été réalisées dans l’Hexagone : un premier organisé par la Halde (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité) en 2008, un autre en 2016 à l’initiative du Ministère de l’Emploi et cette dernière campagne qui s’est étalée de novembre 2018 à janvier 2019.

Hallucinante performance pour AccorHotels qui s’est retrouvé dans la liste noire des entreprises testées à ces trois occasions. A part ça, le groupe français a lancé en septembre sa nouvelle marque hôtelière : Greet. Ça signifie « accueillir » en anglais.