« Ce sont surtout les senior managers qui voyageront… Et la première victime, ce sera le MICE »

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Les Entreprises du Voyages (EDV) organisaient ce mercredi une visioconférence sur la reprise du voyage d'affaires. Au programme : le rendu d'une enquête à ce sujet et l'intervention de différents acteurs. Compte-rendu.

Pour imaginer le voyage d’affaires de demain, les EDV sont partis de ce à quoi il ressemble aujourd’hui, plus d’un semestre après le début de la pandémie, une dizaine de semaines après la fin du confinement de deux mois en France, à l’approche d’une rentrée qui s’annonce difficile.

Enquête

Pour ce faire, une enquête exclusive Opinionway auprès de voyageurs d’affaires permettait d’y voir plus clair. Le rendez-vous se faisait en partenariat avec l'association Marco Polo, et deux de ses membres ont réagi aux données chiffrées de l’étude : Arnaud de Lamezan, directeur des Achats et de l’Immobilier du groupe Lagardère, et John Baird-Smith, spécialiste de l’expérience voyageur.

Confirmation : 77 % des entreprises des voyageurs interrogés ont été fortement ou très fortement impactées par la crise sanitaire et les mesures de confinement. 

Depuis lors, pour 73 % d’entre elles, les voyages professionnels domestiques ont été gelés ou drastiquement réduits ; cette proportion atteint 88% pour les déplacements à l’étranger. Quatre mesures phares ont alors été prises - et perdurent - dans ces entreprises :

  • Les visioconférences sont encouragées pour limiter les transports dans 76 % des cas.
  • Une anticipation maximale des voyages est requise dans 66 % des cas.
  • 65 % des entreprises exigent de leurs voyageurs qu’ils utilisent pour leurs réservations les canaux privilégiés.
  • 65 % d’entre elles encouragent les trajets directs.

Expérience positive

52 % des voyageurs de ces entreprises ignorent si ces nouvelles requêtes sont appelées à être pérenniser ou non. Quoiqu’il en soit, ils sont une grande majorité à vouloir le maintien de certaines de ces nouveautés, au premier rang desquelles, l’utilisation, dans certains cas, des mises en relation à distance.

Pour les collaborateurs qui se sont remis à voyager, l’expérience a été plutôt positive en dépit des contraintes liées aux mesures sanitaires. L’étude entend par “positive” le fait que leur expérience a été plutôt conforme à ce qu’elle était avant la crise. Dans le détail :

  • L’expérience a été plutôt conforme à 81 % dans les hôtels,
  • 73 % dans le train
  • 72 % dans le cas d’une location de voiture
  • 66 % en avion

Les voyageurs semblent parfaitement conscients de la nécessité des mesures sanitaires puisque, pour prendre l’une des plus intrusives d’entre elles, ils sont 87 % à ne pas être réticents à un test Covid en cas de déplacement.

Incertitude

Eté ? Rentrée ? D’ici fin 2020 ? En 2021 ? Les réponses des voyageurs d’affaires se partagent quasi équitablement entre ces quatre propositions quand on les interroge sur la reprise du déplacement professionnel. Signe d’une grande incertitude et d’un manque de visibilité qui se maintient (l’enquête a été réalisée au mois de juin).

Pour autant, 85 % d’entre eux se disent prêts à voyager en France, 70 % dans l’Union européenne, 61 % dans des pays européens hors-UE. Cette proportion oscille de 35 à 40 % lorsqu’il s’agit de l’Amérique latine (35), l’Asie (36), le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Amérique du Nord (37), la Russie (40). Voilà pour le ressenti. D’une façon effective, 69 % d’entre eux envisagent un voyage en France et 64 % à l’étranger d'ici la fin 2020. 

A noter que cette enquête est la première d’une série de quatre, étalées dans le temps, dont les résultats du dernier volet seront publiés en décembre 2020. Le cœur de l’enquête concernant le ressenti des voyageurs d’affaires, le suivi de son évolution sera particulièrement signifiant et - on peut l’imaginer - fonction de l’évolution du contexte sanitaire.

Projection

A partir de ces données, Arnaud de Lamezan a tenté une projection concernant la reprise du BT. Il identifie cinq éléments clés :

  • Parce qu’en plus de la donnée sanitaire, il sera soumis à une situation économique globale très difficile, le voyage d'affaires aérien va rester longtemps à des niveaux bas. A ce titre, il cite une étude menée par Air France auprès de comptes globaux (des multinationales) : 4 % d’entre eux, seulement, pensent que le BT retrouvera un jour son niveau de 2019. “Il convient de relativiser ce chiffre édifiant : ce n’est que le ressenti des répondants, à une période où la crise provoquait une certaine panique”. 
  • Les vols court et moyen courrier devraient reprendre en septembre, le long courrier pas avant 2021 (et à des niveaux bien inférieurs à ceux connus avant la crise).
  • Pour l’heure, les politiques voyage des entreprises (PVE) n'ont pas changé sur les fondamentaux : 120 € la nuitée d'hôtels, choix des compagnies, choix de la classe, choix des directs... En revanche leur volume va réduire. Ceux qui continueront à voyager seront surtout des senior managers et les personnels opérationnels pour qui le déplacement est indispensable. La limitation se fera par la généralisation des outils de communication à distance pour les meetings internes, notamment, et la première victime de cette PVE sera l’événement d'entreprise, le MICE”.
  • Chez les voyageurs comme au niveau de la direction, il y a de la vigilance quand il s’agit de (faire) voyager, mais pas d’appréhension. C’est la preuve que les fournisseurs (transporteurs et hôteliers) ont agi, que ça s’est vu et que l’opération “réassurance" porte ses fruits.

TMC renforcées

Le dernier élément concerne les TMC. Leur rôle va évoluer. Cette confiance, elles devront la maintenir auprès de leurs clients, surtout pour les voyages de longue distance. Pour cela, elles devront fournir de l’information, en matière sanitaire, sur les destinations (frontières, restrictions locales) et sur les prestataires. Plus globalement, elles vont devoir renforcer leur rôle de partenaires en RSE, “dans un secteur (le BT) qui est en retard sur ces questions (...) Non seulement elles devront fournir les informations concernant l’empreinte carbone d’un déplacement et le bilan RSE d’un prestataire, mais aussi dire : En tant que professionnel, à votre place, voilà ce que je ferais”.

John Baird-Smith abonde dans ce sens. “Les entreprises ont envie de reprendre le voyage, ça ne fait aucun doute, puisqu’elles en ont besoin pour continuer à grandir. Mais pour ce faire, il leur faut un partenariat qui les relie à leur TMC qui a un rôle central entre elles et les fournisseurs, indispensable à créer un climat de confiance.

De la confiance, de la sécurité et du bien-être. Dans le contexte actuel, ces notions sont plus liées que jamais. Des notions, d’après John Baird-Smith, qui “sont plus importantes que le prix. Or, pour l’heure, le voyageur d’affaires n’est pas satisfait de son expérience. Il a des habitudes qu’il ne retrouve pas dans ses déplacements professionnels, on lui impose des choses, il n’a pas forcément les bons outils. Le digital va devoir lui offrir ça, comme il le fait avec succès dans le voyage loisir”.

Techno

Une importance de la technologie que reprend à son compte le dernier intervenant, Julien Kauffmann, PDG d'American Express GBT – France, Benelux, Europe du sud. Lui aussi convaincu du rôle accru de la TMC dans ce “new normal”, il met en avant le digital aussi bien pour fournir de l’information, ainsi la plateforme Travel Vitals (voir notre article à ce sujet), que pour adapter quasi en temps réel les PVE en fonction de l’évolution du contexte sanitaire.

Comme mise en perspective de l’enquête de ressenti d’Opionway, il fait un point sur l’activité chez Amex GBT : “On a une reprise marquée depuis la fin du confinement : aujourd’hui, l’activité correspond à 30 à 35 % de celle de l’année dernière à la même période. Et ce taux augmente semaine après semaine.

Outre leur volume, les voyages en eux-mêmes sont différents : “63 % de rail contre 50-55 % habituellement, et 77 % de domestique contre 66 %”. Il note aussi une reprise “asynchrone”, selon les entreprises dont certaines sont déjà à 50 % de leurs voyages quand d’autres n’ont pas repris. Cette différenciation se fait  “en fonction du secteur d’activité (l'impact qu’il a subi), la situation financière spécifique de l’entreprise, et de la localisation du siège de l’entreprise : quand il est en France, ça reprend beaucoup plus vite que quand il est aux Etats-Unis où l’état d’esprit ressemble au nôtre il y a un mois et demi. C’est donc une reprise avant tout small business et middle market.”