GBT/Egencia, TripActions/Reed & Mackay, etc (2/2) – L’enjeu « techno »

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GBT/Egencia, TripActions/Reed & Mackay, etc (2/2) - L'enjeu

Ca y est, ça bouge. Et si deux bombes ont explosé en 24 heures il y a deux semaines - annonce de l'acquisition d'Egencia par Amex GBT le mardi 4 mai, puis celle de Reed & Mackay par TripActions, le lendemain - on peut raisonnablement s'attendre à d'autres déflagrations dans les jours, semaines ou mois qui viennent. L'objectif de ces mouvements tectoniques : l'acquisition de parts de marché (voir le 1er volet de cet article), mais aussi une redistribution du jeu technologique...

D'un côté, Amex GBT, une TMC traditionnelle devenue, par l'acquisition de KDS (désormais Neo Technology Group (NTG)) en 2016, propriétaire de l'entièreté de sa chaîne technologique, achète Egencia, dont l'outil couvre l'ensemble des étapes du voyage.

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De l'autre, TripActions, outil de réservation 100% online, qui engrange les levées de fonds comme on enfourne des pizzas, valorisée à 4 Mds$, distributeur de voyages pour Gafam notamment, qui acquiert Reed & Mackay (R&M), TMC traditionnelle, identifiée "service VIP" pour des PME et ETI, souvent à haute valeur ajoutée, dans les domaines de la banque, de la finance, de l'assurance, des médias anglo-saxons.

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Dans l'un et l'autre cas, on voit bien que les rôles d'acheteur et d'acheté ont beau être inversés, le mouvement est comparable : des boites de "tech" qui intègrent à leur dispositif un service "agence de voyages", et inversement.

La découverte de l'Ancien Monde

La stratégie de TripActions ne consiste cependant pas uniquement en un déplacement du curseur vers une offre plus servicielle. La licorne californienne se lance tout simplement dans une bonne vieille stratégie à l'ancienne de conquête d'un nouveau marché, l'Europe. En cela, son rachat de R&M est dans la continuité de son partenariat avec Lufthansa Group, dont on a connu les détails fin 2019 - il s'agissait alors, notamment, que les stocks des compagnies aériennes du groupe (Lufthansa, Austrian Airlines, Swiss et Brussels Airlines) soient ajoutés au contenu de TripActions.

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Mais les appétences de TripActions pour le Vieux-Continent ne sont que le revers d'une même médaille : sa technologie ne sait pas gérer ce qui est quasi absent du marché américain - la facturation centralisée pour les entreprises qui ne paient pas leurs voyages avec des cartes logées ou les collaborateurs qui avancent les frais, et le ferroviaire, notamment. Julia Vulcain nous le confirme : "Tout ce qui relève des particularités du marché européen sera confié à Reed & Mackay". La dame sait de quoi elle parle : elle est la Pdg de Frequent Flyer Paris, propriété de R&M.

Avec une vision plus large, la même Julia Vulcain estime : "Les outils technologiques sont binaires et difficilement applicables aux cas particuliers. Ils ne savent pas anticiper les bouchons, le temps de transfert dans un aéroport... Je pense qu'ils peuvent satisfaire 80% des voyageurs. Mais les 20% restants sont les voyageurs les plus exigeants, les plus stressés, les plus fréquents, souvent membres de Comex".

Elle ajoute : "La pandémie a exacerbé le besoin d'humain dans la gestion du business travel. Mais la réflexion de TripActions est antérieure à cette crise dans sa recherche de savoir-faire dans le servicing".

Changement de discours

"Je ne les vois pas comme des ensembles technologiques concurrents, ils sont très complémentaires". C'est Paul Abbott, PDG d'Amex GBT, dans une interview accordée à nos confrères de Skift, qui assure de la cohérence d'une coexistence entre l'outil Egencia et sa technologie maison.

Il poursuit : "L'une des faiblesses concurrentielles de nombreuses sociétés de gestion de voyages est qu'elles sont unidimensionnelles, et qu'elles offrent un seul produit. Dans la plupart des secteurs, les entreprises offrent une gamme de produits et de services aux clients. Il faut des solutions différentes pour des besoins différents."

Le discours est construit. Il n'en est pas moins en contradiction avec ce qui se disait jusque là chez les TMC, y compris GBT, qui possédaient leur propre tech : un service, un outil, et tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. En la circonstance, son propos s'approche d'avantage des TMC sous-traitant la technologie, à l'image d'un FCM Travel, par exemple, dont le directeur ventes et marketing France et Suisse, Stéphane Lormant, vantait il y a peu dans nos colonnes les avantages que constituait "l'agnosticisme" en matière technologique.

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Et Traveldoo dans tout ça ?

Reste que la complémentarité des technologies GBT et Egencia a une limite. Ainsi, Traveldoo ne fait pas partie du périmètre de rachat, comprendre : l'outil acquis par Egencia en 2011 ne fait pas partie de la corbeille de la mariée, il restera propriété d'Expedia. 

Un collaborateur de Traveldoo nous rappelle que "l'acquisition de Traveldoo par Egencia avait pour but de créer une sorte de laboratoire technologique pour développer certaine briques, notamment dans l'expense, mais que les deux entreprises resteraient dans des situations de concurrence". C'est effectivement ce qui s'est passé, du moins en ce qui concerne la deuxième partie du projet initial.

Qu'adviendra-t-il de Traveldoo ? "L'annonce du rachat d'Egencia par GBT a provoqué la surprise générale... Alors vous imaginez aisément qu'on ne peut pas avoir de certitudes sur l'avenir. Mais je pense que ça peut être intéressant pour Expedia de garder dans son giron un petit acteur technologique comme nous". En attendant, Traveldoo va se retrouver dans la situation paradoxale de travailler en association avec la TMC Amex GBT pour des clients comme Axa ou le Crédit agricole...

Ce sont ces collaborations multiples, avec un grand nombre de TMC, qui font croire à ce même membre de Traveldoo que le modèle est bien installé et peut perdurer... A la différence d'autres acteurs technologiques. Comme TripActions... ou encore Rydoo, de laquelle nous annoncions en exclusivité, il y a quelques semaines, que Sodexo voulait se séparer.

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Plans sur la comète

Une récente interview que nous a accordée Laurent Demaret, VP Global Sales & Marketing de KDS, peut apporter un autre éclairage sur la stratégie de GBT. Il y disait que la nouvelle dénomination de KDS en Neo Technology Group ne relevait pas uniquement de la volonté de faire apparaître le nom du produit - Neo - dans l'identité de son vendeur : que le périmètre de NTG allait au-delà de celui de KDS, qu'il correspondait plus largement le département tech de GBT... Et il concluait avec, certes, beaucoup de prudence, que GBT prenait "indéniablement un virage tech qui pourrait justifier (qu'elle) fournisse cette nouvelle proposition de technologies demain. Quand je dis demain : dans deux ou trois ans."

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La crise sanitaire et les leçons qu'elle prodigue : "Ils ont l'air malin à gérer des annulations et des remboursements à la pelle, que leur outil ne sait pas faire !', raillaient les uns. "Ils ont l'air fin avec leurs plateaux d'affaires alors que leur salariés sont tous en activité partielle !", moquaient les autres. Toujours, bien sûr, avec argument pro domo à disposition.

Est-ce qu'on est en train d'assister à une mue de la proposition TMC ? Est-ce que, une bonne dizaine d'années après l'émergence à grand bruit d'outils online, elle serait en train de s'orienter vers un modèle plus mature, marchant sur ces deux jambes, servicielle et technologique ? Ou tous ces mouvements ne sont-ils avant tout que des attitudes opportunistes de la part de gros acteurs quand d'autres sont considérablement affaiblis ? Et ces deux hypothèses sont-elles, d'ailleurs, forcément contradictoires ?

A part ça, le 6 mai dernier, Luis Maroto, président et CEO d'Amadeus déclarait : "Si nous trouvons la bonne opportunité et que nous pouvons la justifier en termes de création de valeur, nous n'allons pas attendre d'atteindre un niveau (de dette par rapport aux bénéfices, ndr) pour vraiment nous lancer dans une acquisition."

A suivre...

Lire le 1er volet de cet article