Trenitalia poursuit son offensive sur le marché ferroviaire français, avec l’ouverture prochaine de la liaison Paris-Marseille et l’ambition d’asseoir son modèle en Europe. Marco Caposciutti, président, et Fabrice Toledano, directeur marketing et commercial de Trenitalia France, reviennent sur le bilan de la compagnie dans l’Hexagone, ses perspectives et les défis liés à l’ouverture à la concurrence.
Depuis votre arrivée sur le marché français, et notamment depuis début 2025 qui a marqué une accélération de votre présence avec la réouverture du Paris-Milan et l’ouverture prochaine du Paris-Marseille, quel bilan tirez-vous ? Votre développement reste-t-il concentré sur le quart sud-est ?
Fabrice Tolédano : Trenitalia est présent dans plusieurs pays européens, avec des stratégies de développement adaptées à chaque marché. La France est aujourd’hui une priorité, car elle représente un important potentiel de croissance, l’ouverture à la concurrence y étant relativement récente (2021-NDLR). Au-delà de la taille du réseau, il existe un vrai potentiel de développement de la clientèle ferroviaire. La France bénéficie d’un avantage géographique notable : elle est idéalement placée pour devenir un hub du train européen, et cela correspond pleinement à la volonté de Trenitalia. Par exemple, la position centrale de Paris – notamment avec l’axe Paris-Londres – illustre cette ambition de développer en priorité le marché européen, au-delà du marché local.
Concernant la ligne Paris-Londres, ce projet s’inscrit sur le long terme. Il nécessitera la construction de nouveaux trains et leur homologation. À court terme, la priorité en France reste le développement de l’axe sud-est, notamment les liaisons Paris-Lyon, Paris-Milan et Paris-Marseille, qui ouvrira dès le 15 juin. Le réseau français est structuré différemment de l’Italie, il est organisé par axes, ce qui influence notre stratégie. En 2025, nous allons bénéficier de neuf rames, contre cinq en 2024, ce qui nous permet d’augmenter les fréquences plus que d’ouvrir de nouvelles lignes. Il est essentiel, lors du développement d’un marché, de concentrer les fréquences pour capter la clientèle et espérer devenir une référence.
La Renfe a annoncé le report du lancement de sa ligne à grande vitesse Toulouse-Barcelone et a menacé de se retirer du marché français. Faut-il craindre une décision similaire de la part de Trenitalia ?
F.T. : Notre dynamique est différente. Le retrait ou le ralentissement du développement d’un opérateur comme Renfe n’est pas une bonne nouvelle pour l’ouverture du marché. Il est important d’offrir des alternatives sur un maximum de lignes. La concurrence n’est pas présente partout, ce qui maintient des situations de monopole. Pour Trenitalia, la stratégie est inverse, avec une volonté affirmée de développement.
Il est vrai que le marché français n’est pas le plus simple. Le marché ferroviaire européen n’est pas le plus homogène, mais il tend à le devenir, notamment à travers le déploiement progressif de la norme ERTMS (European Rail Traffic Management System), qui concerne la signalisation des trains sur les rails. Cette évolution va nous permettre d’augmenter la capacité du réseau et une meilleure fréquence tout en garantissant la sécurité de chaque train. Toutefois, un opérateur doit homologuer ses trains, ce qui reste complexe. Nous savons que d’autres opérateurs privés rencontreront des difficultés, mais nous leur souhaitons de réussir, car avoir le choix est essentiel pour les voyageurs. Pour revenir sur le cas de la Renfe, je pense que la compagnie rencontre également des difficultés liées à son modèle économique. Les frais de péage sont particulièrement élevés en France, ce qui rend le modèle plus fragile.
Il y a peu, la direction de la SNCF appelait les opérateurs concurrents à davantage se positionner sur des lignes moins rentables, afin d’assurer un meilleur maillage du territoire. Imposer une telle mesure pourrait-elle, selon vous, être nécessaire ou contre-productive ?
Marco Caposciutti : L’axe sud-est reste prioritaire pour Trenitalia, mais la desserte du territoire l’est tout autant. Le marché du train à grande vitesse est libre et ouvert. En France, la concurrence contribue au maillage du territoire et offre une liberté de choix sur certaines liaisons. En Italie, on comptait 40 gares desservies par le train à grande vitesse lors de l’ouverture à la concurrence. Treize ans après, 113 gares sont désormais desservies. Les bénéfices de l’ouverture sont donc réels. Si des contraintes doivent être imposées, elles devraient l’être à l’échelle européenne et non pas uniquement sur le marché français. Ce sujet doit être abordé au niveau européen, et non régional.
F.T. : Il faut laisser la concurrence s’exprimer et constater si le territoire est mieux desservi ainsi, plutôt que d’imposer des contraintes. Bien sûr, la rentabilité demeure un enjeu, mais elle est aussi dictée par le coût économique du réseau.
Face à la “premiumisation” de vos concurrents (arrivée des TGV M, Lyria Première, etc.), comment comptez-vous conserver votre avantage sur des produits comme l’Executive ou la sala meeting que vous étiez jusqu’alors les seuls à proposer ? Des évolutions de votre produit sont-elles prévues ?
M.C : Nous allons continuer à proposer notre offre actuelle, avec les trois classes – Standard, Business et Executive. L’arrivée de nouveaux trains vient renforcer ce positionnement initial. Nous envisageons d’améliorer notre matériel roulant, avec une réflexion sur le type de sièges, les écrans d’information, etc. Les services actuels seront maintenus avec des améliorations pour intégrer les nouvelles technologies, notamment sur la connectivité WiFi. Nos rames ont à peine huit ans d’exploitation, donc nous les garderons encore plusieurs années tout en y apportant des modifications en fonction des besoins.
F.T : Si la SNCF innove pour s’aligner ou nous dépasser, tant mieux, cela fait partie des bénéfices de la concurrence qui vient stimuler l’innovation. Nous sommes là pour dynamiser le marché. Les choix faits à notre arrivée en France ont abouti à un taux de satisfaction de 98 %, preuve que la direction a pris les bonnes décisions. Nous voulons consolider cette qualité et restons agiles pour nous adapter et continuer de nous améliorer, en restant à l’écoute de nos clients.
En 2024, vous nous assuriez que la clientèle corporate représentait 44% de vos voyageurs. Un an après le lancement de Trenitalia Pro, ce ratio a-t-il évolué ? Qu’en est-il de l’évolution des tarifs fixes vs tarifs négociés ?
F.T : Nous avons dépassé aujourd’hui les 50 % de clientèle BtoB sur le Paris-Lyon, comprenant à la fois des voyageurs professionnels “purs” et du “bleisure”. Cette progression s’explique d’abord par la tarification Trenitalia Pro, qui sera pérennisée. Il s’agit d’un tarif fixe et flexible, qui permet d’être plus souple que des tarifs négociés avec les entreprises. Le lancement du Paris-Marseille et l’ajout d’un aller-retour Paris-Lyon en fin de journée sont également importants pour la clientèle professionnelle. L’autre levier pour capter davantage de clients BtoB est le renforcement de notre présence auprès des agences de voyages, notamment via Amadeus. Le développement de notre réseau d’agences se poursuit, en particulier auprès des TMC. Pour le moment, le tarif fixe est disponible uniquement sur notre plateforme, mais il sera bientôt proposé aux entreprises clientes via les TMC, dès 2025, en fonction des accords signés. La signature avec Amadeus nous a ouvert de nombreuses portes et désormais, techniquement, distribuer notre offre auprès des agences est possible.