La voyageuse est-elle un voyageur avec un tapis de yoga ?

Début septembre, Accor annonçait sa certification « SHe Travel Club ». Ce n’est pas rien, en France particulièrement, d’afficher son nom en face de cette institution, l’un des plus grands groupes hôteliers mondiaux. Et au surplus, cette semaine, SHe Travel, ce nouveau label hôtelier censé assurer que l’établissement est bien adapté aux attentes de la clientèle féminine, donne rendez-vous à la presse. Grosse actu, donc, pour cette asso récemment créée par Valérie Hoffenberg, également à l’origine, apprend-on sur LinkedIn, de Connecting leaders Club et du think tank Marie-Claire Agir pour l’Egalité.

Ce « SHe » qui trimbale ses deux majuscules impromptues, ce n’est pas une coquille. Le « S » figure « Safe ». Quant au « H », c’est une toute autre histoire, sur laquelle on revient plus loin. La sécurité, donc, d’abord.

Sur le site de SHe Travel, des chiffres sont avancés : 64% des clients d’hôtels seraient des clientes; 52% des voyageurs d’affaires seraient des voyageuses. Intuitivement, on peut imaginer que ce sont avant tout ces dernières qui sont sensibles à ces questions de sécurité, les clientes « loisir » voyageant moins fréquemment seules. Bien que la source des statistiques ne soit pas citée, on est bel et bien en présence d’un vrai enjeu – nous avons, pour notre part, reçu des témoignages de nombreuses voyageuses d’affaires à ce sujet.

Sécu

Cette question de la sécurité est donc on ne peut plus sérieuse. SHe Travel en fait à juste titre l’un des quatre piliers de son label. Et, comme pour les trois autres, pour qu’un hôtel le valide, il doit remplir un certain nombre de conditions au nombre desquelles « chambre entièrement sécurisée avec serrure à double loquet », « œilleton », « couloirs éclairés », ou encore « réception ouverte 24/24 ». Simple, clair, pertinent, utile.

Alors quelle déception que – comme dit plus haut – trois autres blocs de critères s’ajoutent, dévalorisant, selon nous, le premier. Ils arborent comme thèmes : « Confort », « Service & commodités » et « Restauration et divertissement ». On y trouve pêle-mêle la présence dans les chambres d’un « kit d’urgence disponible avec des serviettes hygiéniques, du démaquillant et du dissolvant pour vernis à ongles », des « services de beauté et de remise en forme sur demande avec des horaires flexibles », un « tapis de yoga à la demande », ou encore des « menus diversifiés et sains aux bars, restaurants et repas en chambre ».

Tout cela nous semble – en accord avec nos collègues féminines consultées – au mieux accessoire (et un peu ridicule), au pire douteux… Le « H », cette deuxième majuscule impromptue du label « SHe Travel » signifie « Happy ». Et ces trois piliers non liés à la « safety » justifieraient – si l’on comprend bien – la référence au bonheur.

Happy?

Mais pourquoi « Happy » ? Que vient faire ici le bonheur ? Que vient-il faire dans son emploi (un peu dégoûtant) « marketing » (puisque chacun conviendra que le bonheur, dans son acception première, relève de l’intime et non de la responsabilité d’un hôtelier, encore moins de la disponibilité d’un fitness center) dans un label, chose bien différente d’une marque ? Que vient-il faire, d’autant plus, accolé à la très sérieuse question de la sécurité ? Et d’ailleurs, est-ce que moi, femme amatrice de tripes à la mode de Caen et allergique au sport, je vais trouver mon « bonheur » (même au sens « marketing » !) dans une omniprésente et culpabilisatrice incitation à me bouger le popotin et une carte de resto remplie de quinoa ?

Alors pourquoi ce bonheur ? On n’ose imaginer la validité de cette hypothèse tant elle est détestable… Mais on est bien obligé de la mettre sur la table : en filigrane, la très désagréable idée que le « happy », le « fun », le futile et la légèreté sont nécessaires à impliquer le public féminin. Car les doubles-verrous sur les portes de chambre, c’est bien beau, mais le tapis de yoga et le bubble tea, c’est quand même plus sympa. En tout cas, les parties prenantes de SHe Travel estiment apparemment que c’est plus sympa. « Plus vendeur » conviendrait certainement mieux.

Pourtant – nous le répétons – si, notamment à l’occasion d’entretiens en vue de la rédaction de cette série d’articles, nous avons entendu beaucoup de témoignages féminins sur le sentiment d’insécurité en voyage, de carence en produits démaquillants ou tapis de yoga, jamais il ne fut question. Peut-être ne l’avons-nous pas posée, la question ? Oui, peut-être, et même sûrement. Mais vous savez quoi ? On s’en félicite.

Cette semaine, disions-nous, SHe Travel donne rendez-vous à la presse. La conférence sera-t-elle agrémentée d’un cours de zumba ou de confection de cupcakes ? On ne saurait le dire. Ce sera en tout cas l’occasion de nous convaincre car pour l’heure, ce n’est pas tout à fait le cas. En attendant, faut que je termine de passer l’aspi car ma femme m’attend pour changer le carbu de sa Kawa. Après, j’appellerai des gens de chez Accor.