Evolution de la mobilité urbaine, explosion des données : comment Google et consorts se positionnent-ils dans la ville ?

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Nouvelles contributions des experts de SIA qui viennent de publier une tribune sur l'évolution de la mobilité urbaine. L'enjeu est de taille car il devrait modifier sensiblement l'approche urbaine des déplacements professionnels. Google a bien compris l'importance du sujet.

La mobilité urbaine est en constante évolution, posant de nouveaux défis et ouvrant de nouvelles perspectives aux acteurs du transport. Comme dans tous les secteurs de l’économie, la percée du numérique contribue significativement à cette mutation, et amène de nouveaux acteurs dans l’écosystème du transport que sont les entreprises du numérique.

Favorisés par leur position de leaders et leur capacité d’innovation, les géants du net sont de grands bénéficiaires de cette évolution. Ils sont ainsi amenés à jouer un rôle grandissant dans le marché du transport, et notamment dans la gestion des déplacements urbains.
Le désintérêt pour la voiture en ville semble se confirmer

Au cours des dix dernières années, les usages des citoyens en termes de déplacements quotidiens ont fortement évolué en France. En hausse depuis des décennies, le nombre de déplacements en voiture a stagné entre 2001 et 2013, marquant une rupture dans les tendances observées jusque-là. Ce phénomène est d’autant plus important, que le parc automobile a progressé de 6% durant la même période.

Ce désintérêt pour la voiture, observé surtout en ville, s’explique par plusieurs motifs tant sur le plan économique, que sur le plan écologique et social.

Parmi ces raisons économiques, la hausse du prix du carburant, couplée à une conjoncture difficile pour plusieurs ménages, incite fortement à réduire les déplacements en voiture. Par ailleurs, les investissements de l’état pour développer le report modal, à travers par exemple l’extension du réseau des transports en commun, a offert des alternatives à l’usage de la voiture pour les déplacements quotidiens.

Sur le plan écologique, la volonté des pouvoirs publics de développer et favoriser des modes de transport plus respectueux de l’environnement a également renchéri le coût d’usage de la voiture.

Les déplacements urbains de plus en plus multimodaux

Parallèlement à ce désintérêt pour la voiture, les transports en commun sont de plus en plus prisés par les usagers. En effet, la fréquentation des transports urbains en France a progressé de 25% entre 2000 et 2010 . Cette tendance est promise à la hausse dans les années à venir, au regard notamment des efforts de l’Etat pour favoriser ce report, et de l’augmentation du coût de possession et d’utilisation d’une voiture.

Les déplacements en transport en commun, en particulier dans les grandes villes, impliquent souvent l’usage de plusieurs modes de transport pour un même trajet : Métro + Bus, Train + Tramway… Cette intermodalité introduit de nouveaux défis pour les autorités organisatrices du transport (AOT), notamment assurer l’interopérabilité entre les systèmes des différents transporteurs, et garantir la cohérence et l’homogénéité du service aux yeux de l’usager (information trafic, accès, billetterie/billettique commune…).

Explosion des données disponibles et des capacités d’analyse
Par ailleurs, une révolution est en cours concernant la collecte des données des usagers. Outre la capacité des transporteurs publics à suivre l’état du trafic en temps réel, la prolifération des capteurs qui scrutent les déplacements des usagers (boucle de comptage sur les autoroutes, Smartphones équipés de géo-capteurs, GPS…) permet de disposer d’une quantité phénoménale de données de déplacement, indépendamment du mode de transport utilisé. Il devient dès lors possible de connaître plus finement les habitudes de déplacement des citoyens d’une ville, et d’en faire un usage plus poussé pour une meilleure gestion de la mobilité.

Le défi majeur aujourd’hui reste de pouvoir organiser, nettoyer et exploiter ces données.

Le traitement de données au service du réseau de transport

Avec la croissance des villes, les problèmes de congestion, synonymes de pollution et de déclin de la productivité, deviennent de plus en plus critiques et rendent nécessaire une gestion optimale de la mobilité. A cet égard, l’analyse des données collectées peut s’avérer très utile pour la gestion des flux quotidiens, ainsi que pour la planification des investissements futurs.

Au-delà de l’information de l’usager sur l’état du trafic en temps réel, les moteurs de calcul d’itinéraires peuvent intégrer des éléments sur les habitudes de déplacement des citoyens, de façon à mieux répartir le trafic sur l’ensemble des capacités disponibles. En effet, sachant quand, comment, et où se déplacent les citoyens d’une ville, des modèles analytiques sont capables d’orienter les usagers de façon à minimiser les risques de congestion du réseau. Plusieurs initiatives ont vu le jour pour explorer cette piste, le cas de la société Inrix (dont Google est un client en Angleterre) est un des plus réussis. Elle propose des services d’information temps réel et de prévision de l’état du trafic, basés sur les données collectées des utilisateurs de son service.

Des expérimentations similaires ont été menées avec succès au cours des jeux olympiques de Londres en 2012. La ville s’est en effet basée sur les signaux émis par les téléphones mobiles pour suivre les déplacements des supporters. Elle s’est également appuyée sur les services de recherche d’itinéraire de Google de façon à inciter les usagers à privilégier les déplacements en bus et éviter que les métros soient débordés par les flux de visiteurs .

En France, le groupe de transport Transdev s’est allié à IBM pour développer et proposer un calculateur d’itinéraire multimodal temps réel et prédictif. Cette solution permet de coupler les informations provenant du trafic routier et celles du transport public et de fournir des prévisions de trafic à une heure. A ce jour, deux expérimentations sont en cours à Lyon (Optimod’) et Montpellier.

Par ailleurs, la connaissance des habitudes de déplacement des usagers permet de prévoir les futurs besoins en mobilité et en couverture du réseau. A travers l’observation des flux de déplacement sur quelques années, il est en effet possible d’anticiper les zones du réseau susceptibles de connaître une forte montée en charge dans le futur.

Des services innovants pour le voyageur
Des services innovants pour le voyageur ont aussi émergé et continuent à se développer grâce à l’exploitation des données de trafic et de géolocalisation. Google s’apprête par exemple à ajouter une nouvelle fonctionnalité à son service d’assistant personnel (Google Now), qui consiste à croiser l’information du trafic avec le calendrier de l’utilisateur, lui permettant d’optimiser ses déplacements à ses rendez-vous selon ses modes de transport préférés.

Google est par ailleurs en train d’enrichir son système de cartographie Google Maps en intégrant des cartes « d’intérieur » de bâtiments publics (Google Indoor). Cela permettra lors d’une recherche d’itinéraire de se repérer y compris à l’intérieur des endroits fermés, tels les gares et les aéroports. Le service est déjà opérationnel dans quelques villes à travers le monde (Tokyo…).

Apple a récemment racheté la jeune startup américaine WifiSlam, spécialisée dans la géolocalisation par Wifi dans les bâtiments. A terme, l’outil de recherche d’itinéraire d’Apple permettra d’offrir des possibilités similaires à celle du service Google Indoor. L’entreprise a également conclu plusieurs acquisitions ces derniers mois (Hopstop, Embark…) en vue d’enrichir son offre de services de mobilité. La marque à la pomme, qui avait déjà proposé son propre système de cartographie dans l’iOS6, tente de rattraper son retard face à Google.

Enfin, dans un objectif de digitalisation de la relation client et de l’enrichissement de l’offre, les transporteurs aussi développent des outils innovants basés sur les données de transport. DBahn a ainsi mis au point l’application DB Navigator, qui permet non seulement de consulter les horaires et réaliser des réservations, mais aussi de rechercher des itinéraires et de se repérer même à l’intérieur des gares. Pour cela, le service utilise les données GPS émises par les Smartphone.

Plus généralement, ces innovations pourraient potentiellement s’accélérer avec la démultiplication des acteurs ayant accès aux données. La libéralisation complète des données dans un cadre bien défini pourrait donner lieu à une effervescence dans la mise au point de solutions novatrices (Voir article Sia Partners sur l’open data).

Engouement des géants du net pour la mobilité : cas de Google Transit

Les grands acteurs du Web sont parmi les premiers bénéficiaires de la libéralisation des données du transport. Cela leur offre l’opportunité d’accroître leur audience en proposant des services de compagnon de voyage à une clientèle planétaire.

En effet, en mettant à disposition du client un service efficace pour gérer tous ses déplacements, le fournisseur collecte aussi de précieuses informations sur les habitudes du client. Il peut alors monétiser ces informations comportementales grâce aux possibilités offertes par le Big Data : par exemple en personnalisant davantage les publicités pour ne montrer au client que les produits et services les plus à même de l’intéresser.

Google développe ses propres standards et récupère les données des transporteurs
Lancé en 2005, Google Transit est un service de recherche d’itinéraire basé sur Google Maps et qui intègre aussi les transports en commun. Le service se base essentiellement sur les données fournies par les gestionnaires locaux du transport. Ces derniers connaissent en effet la structure du réseau, ainsi que les plans de transport de leurs flottes. Ces données sont ensuite soumises à des contrôles de validité par Google avant de pouvoir les exploiter (contrôler par exemple que les horaires fournis n’impliquent pas des trains roulant à 300 km/h en centre-ville). Google met enfin ces données validées à disposition de toute la communauté des développeurs.

Pour faciliter ces échanges de données, Google a mis au point un format simple qu’il utilise dans le cadre du programme Google Transit : General Transit Feed Specification (GTFS). Ainsi, le transporteur publiant ses données en ce format permet aux développeurs de disposer d’informations dont la qualité est validée par Google. Ce dernier va même jusqu’à proposer aux transporteurs des convertisseurs pour passer leurs données depuis les autres standards (SIRI, NEPTUNE, etc.) vers le format GTFS. Le succès de ce format est tel qu’il est devenu le choix de référence pour beaucoup de transporteurs souhaitant rendre accessibles leurs données.

En plus de la recherche d’itinéraire classique, Google Transit doit permettre à terme de prendre en compte, en temps réel, les incidents éventuels sur le réseau. Pour cela, une option serait que le transporteur transmette des informations en temps réel sur l’état du trafic (format des données GTFS-Realtime).

Un succès mondial mais un déploiement compliqué en France

Opérationnel dans plus de 800 villes à travers le monde, le déploiement semble ralenti en France. Les raisons principales de ce blocage sont liées à la réticence des opérateurs de transport et des collectivités françaises à partager leurs données. C’est ainsi que Google n’arrive toujours pas à référencer les données des bus à Paris, Le STIF refusant pour le moment de les rendre disponibles.

En mettant en avant son succès à travers le monde, Google essaie aujourd’hui de dissiper les doutes en France quant à ses intentions et son modèle de partenariat.

Outre la disponibilité des données, Google pointe du doigt une complexité de l’organisation administrative en France, qui contribue à ses yeux à retarder le lancement des partenariats avec les AOT du pays.

Risques de concurrence et de monopole de l’application Google Transit
Dans le cadre de la gestion des transports d’une région, l’AOT est responsable de mettre en place les moyens nécessaires à l’information des voyageurs (site internet de recherche d’itinéraire…). Elle peut également déléguer cette tâche aux transporteurs, en contractualisant les obligations de qualité et de disponibilité des services.

Dans ce contexte, Google Transit peut se retrouver en concurrence directe avec les outils gérés par les AOT (ou les transporteurs). Cela fait craindre à ces derniers de perdre la main sur un levier important de la politique locale de mobilité, et de ne plus disposer d’un contact direct avec les voyageurs au-delà du déplacement. En effet, le respect de règles précises sur l’exploitation de l’information multimodale est indispensable pour empêcher tout usage inadéquat.

Par ailleurs, l’ouverture des données risque de provoquer un monopole de Google et mettre ainsi un frein au développement de solutions novatrices. La gratuité de Google rendant difficile aux start-ups de se lancer sur le marché, y compris avec des applications plus innovantes. Enfin, le transport étant un service public assuré par les AOT, ces dernières ne sont pas très favorables à la possibilité pour des acteurs privées de faire un usage marchand des données collectées.

Google se défend de vouloir concurrencer les outils des AOT et des transporteurs locaux en affirmant cibler essentiellement les touristes. En effet, les AOT ne disposent pas forcément des moyens pour gérer les contraintes de multilinguisme, de montée en charge en cas de forte affluence (événements sportifs…), de publicité à grande échelle dans les aéroports… Google met alors ses capacités au service des gestionnaires locaux.

L’entreprise insiste également sur l’utilité publique de son service, en accord avec les intérêts des AOT et ceux des transporteurs locaux. La diffusion à grande échelle de l’information sur le transport public permettrait d’attirer plus d’usagers, générant ainsi plus de revenus pour les gestionnaires du transport, et réduisant les nuisances dues aux autres modes de transport.

Ces services innovants nourrissent des interrogations sur les intentions de Google à long terme dans l’industrie du transport. Le lancement par ailleurs de Google Flight Search, concurrent potentiel des GDS traditionnels, du service Google Wallet, compatible avec la technologie NFC… font craindre à plusieurs transporteurs un éventuel lancement de Google dans le monde de la distribution, ce qui constituerait une menace de désintermédiation pour leurs activités avec, notamment, une réduction de leurs marges .

Si Google rappelle que son business model est basé sur la publicité, et qu’il n’a aucune intention de le changer, ses acquisitions récentes dans le domaine du transport (Uber, ITA Software…) et ses travaux sur la voiture connectée laissent à penser que le géant du web se prépare à fortement élargir son offre de services.

A propos de SIA

Sia Partners est un cabinet indépendant de conseil en management et stratégie opérationnelle organisé autour des unités de compétence Energie, Finance, Télécoms & Médias, Transport – Industrie – Retail, Secteur Public, Ressources Humaines, Fonction Finance, Actuariat. La société fait partie des cabinets de conseil en management majeurs en France. Elle est présente en Belgique, aux Pays-Bas, en Italie, au Maroc, à Dubaï et à New-York.