Air France : Thierry Antinori, un possible PDG déjà « chouchou » des salariés

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Un nom chasse l'autre, chez Air France-KLM : alors que le nom de Benjamin Smith, Directeur des opérations d'Air Canada, est cité comme possible futur PDG du groupe AF/KLM, celui de Thierry Antinori, actuel second d'Emirates aurait les faveurs des salariés et d'une partie du comité des nominations. Pour l'heure, l'intéressé n'a ni confirmé, ni infirmé sa candidature. Seule certitude, les 2,5 millions d'euros de salaire annuel lui conviendraient mieux que les émoluments précédents plafonnés à 1,2 million d'euros.

Chez Delta, partenaire d'Air France et actionnaire à hauteur de 8,5%, on ne décolère pas face aux incertitudes permanentes entretenues par l'actuelle direction collégiale d'Air France. Un sentiment partagé par le patron des pilotes qui affirme sur RTL qu'un "grand ménage doit être fait au sein des dirigeants actuels"… On serait tenté de lui retourner le compliment. Beaucoup de navigants souhaitent également le voir quitter son poste de Président du SNPL. Mais il reste que la nomination s'éternise alors que Delta veut aller vite. Pas question d'attaquer la rentrée sans qu'une solution pérenne soit trouvée aux conflits sociaux. Cette vaste plaisanterie (triste il est vrai) doit déboucher sur du concret car ne l'oublions pas, la bataille des salaires n'est pas terminée et les menaces de grève dès le 10 septembre prochain planent toujours.

Face à toutes ces questions, Thierry Antinori fait figure de "sauveur potentiel". Sa première qualité : avoir donné du souffle à Emirates derrière un patron emblématique, Tim Clark. Cet héritier potentiel du numéro 1 de la compagnie de Dubaï n'a pas fait dans la dentelle. Amélioration opérationnelle, maîtrise des coûts, refonte de la politique des prix, adaptation du programme de vol. Emirates lui doit un rapide retour aux bénéfices après une année 2016 en demi-teinte. Sa capacité à améliorer le chiffre d'affaires de 8% (au 31 mars 2018) lui donne une légitimité naturelle. Mieux encore, pour avoir débuté chez Air France, il sait à quel point le "social français" est complexe. De son passage chez Lufthansa, il garde également ce qu'il appelle "la rigueur du quotidien". Expression qu'il utilisait à l'ITB Berlin pour définir l'avenir de la compagnie allemande.

A 57 ans, Thierry Antinori fait donc l'unanimité en sa faveur. Pour celui qui se présentait, il y a quelques années, dans le Figaro comme "Français, d'origine italienne, travaillant pour une firme allemande", le monde ne se limite pas à l'Hexagone. "Regarder loin avec toujours un coup d'avance", voilà ce qu'il a retenu de l'ESSEC puis de son premier job au sein de Chatelier Conseils. Et sa méthode est simple : écouter, comprendre puis décider. Non pas en fonction d'intérêts partisans mais de ceux de l'entreprise. En privé, il ne cache pas son interrogation quant au poids des pilotes dans les décisions de la compagnie et pourrait bien chercher à remettre à plat toutes ces contraintes qui freinent le développement de Joon ou Transavia. Bref, il n'a pas peur de la castagne. "Il pourrait conduire l'entreprise à un point de rupture nécessaire à la reconquête des marchés et au maintien même du transporteur français", évoque l'un de ses compagnons de route chez Emirates. Bref, un peu comme l'avait fait Christian Blanc entre 93 et 97.

Mais au-delà de cette bataille interne, c'est le regard des acheteurs qu'il faudra reconquérir. La première vague lancée depuis l'été - qui consistait à proposer des compensations financières aux grandes entreprises - ne suffira pas à rétablir la confiance. Pas plus le programme de fidélisation qui, malgré une nette amélioration au printemps 2018, ne séduit qu'à moitié les voyageurs d'affaires.

Bref, aujourd'hui le TSAF (Tout Sauf Air France) a ses adeptes dans les entreprises et la montée en puissance des outils de fidélisation des concurrents séduit. British ou Lufthansa développent de nouveaux projets en ce sens pour 2019. On dit depuis plusieurs mois qu'il y a le feu au lac mais sans une reprise en main rapide de la relation commerciale ternie par les grèves des pilotes… Air France s'engagerait dans une lente agonie dont l'issue ne dépendrait plus de l'État, actuelle vache à lait morale des syndicats.

On le sait, on ne prête qu'aux riches. Thierry Antinori n'a pas été désigné et il n'est pas sûr qu'il soit candidat ou qu'il accepte. Il faudra donc attendre que s'effacent les hésitations du comité de nomination et de gouvernance. Une situation ubuesque qui nuit à l'image de la compagnie et à son développement. Mais le paradoxe français n'a peut-être pas livré toutes ses limites. Le pire est peut-être devant.

Marcel Lévy