Appels d’offres (2/5) – L’essentiel, ce n’est pas de participer

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Appels d'offres (2/5) - L'important, ce n'est pas de participer

Les émetteurs d'appels d'offres sélectionnent, c'est une évidence.. Mais les répondants aussi ont le choix... de ne pas répondre. Deux champions travel des appels d'offres publics témoignent.

On était bien calé dans nos starting-blocks, prêt à s'élancer dans notre couloir "Appel d'offres" (AO)... La première haie qu'on s'était proposé de franchir était celle des bonnes pratiques - sorte de guideline à suivre pour optimiser les chances du postulant. On your marks, Ready?... Mais juste avant que le bang! du starter ne retentisse...

On s'est dit - ou plutôt, au fil des témoignages recueillis, on s'est laissé dire - que, face à un AO, la première étape, c'est de choisir d'y répondre. Ou pas. Pour refiler la métaphore athlétique : ce n'est pas parce qu'il y a une course qu'on est obligé d'y participer car, en l'occurrence, n'en déplaise à Coubertin, y participer, ce n'est pas l'essentiel. On ne court et ne concourt que si on a une chance raisonnable de gagner.

Courir, ou pas 

"Une fois qu'on a pris connaissance d'un appel d'offres, notre première réflexion porte sur le go / no go", explique Tristan Dessain-Gélinet, de la TMC Travel Planet. "C'est un vrai choix. On ne claque pas des doigts en se disant On y va !", surenchérit Tristan Leteurtre, à la tête de Mooncard, une solution de paiement et de gestion des notes de frais. Outre leur prénom, les deux impétrants ont comme point commun d'avoir remporté, juste avant l'été, un très important AO public - en France pour Mooncard, au Royaume-Uni pour Travel Planet.

Ils savent parfaitement à quel point répondre à un AO est un processus long et chronophage. Dans quelle mesure ? Tristan Leteurtre : "Dans un appel d'offres public, les choses sont très cadrées d'une année sur l'autre, c'est pratiquement du copié-collé. En conséquence, la réponse est aussi une redite de candidatures antérieures. Quelques heures de travail y suffisent. Dans le cas d'appels d'offres émanant du privé, c'est différent. Les spécificités peuvent être très nombreuses, on peut s'y mettre tous durant deux ou trois jours non-stop."

Le chrono

Tristan Dessain-Gelinet partage la même analyse sur la distinction AO privés / AO publics et il y ajoute un autre retour d'expérience : "Depuis 2013, on s'est constitué une bibliothèque de réponses. Personnellement, j'y ai bossé parfois des nuits entières. Ce n'est pas figé : ça demande des adaptations, des mises à jour permanentes mais cette bibliothèque existe et c'est un gain de temps précieux." En d'autres termes : plus on répond à des AO, moins on met de temps à répondre à des AO.

Mais la réponse à un AO est un processus dynamique : le temps qu'on y consacre ne s'arrête pas à sa réponse écrite. Si l'on fait partie des sélectionnés pour le "deuxième tour" (on abordera dans notre prochain article ces  différentes phases), on doit se soumettre notamment, dans la plupart des cas, à une soutenance orale de sa proposition. Davantage, finalement, une course de demi-fond qu'un sprint.

C'est pour cette raison que la réponse à un AO est un investissement dont on attend un retour et c'est en cela que Tristan Dessain-Gelinet considère que "le choix de participer à un appel d'offres relève ni plus, ni moins de la stratégie d'entreprise". D'autant que, dans le domaine du voyage d'affaires, la demande est pléthorique - même si le contexte actuel laisse peser quelques doutes sur ce qu'il en sera dans les prochains mois. Chez Travel Planet, au doigt mouillé, on répond à 70 AO par an. Chez Mooncard, on est dans le cas d'une startup qui change de dimension : "Jusqu'alors, on répondait à 10 ou 20 appels d'offres par an. Désormais, ce sera le même chiffre mais par mois". Autrement dit : pendant qu'on répond à l'un, potentiellement, on ne répond pas à un autre. 

Usain, le cousin et le cloche-pied

Pourquoi ne pas répondre à un AO ? C'est vrai, la question se pose... Sur la ligne de départ, j'ai un short particulièrement seyant, un débardeur qui flatte mon teint et des pointes qui vont griffer le tartan autant que mon talent va déchiqueter mes concurrents... En dépit de tous ces atouts, on ne court pas parce qu'on ne court pas contre Usain Bolt. On ne court pas parce qu'on ne court pas contre le cousin du starter. On ne court pas parce qu'on ne court pas quand on met un pied devant l'autre alors que la règle est au cloche-pied.

Usain Bolt, c'est le plus simple : il est évident que l'un des concurrents est meilleur que nous intrinsèquement, nonobstant le détail de l'AO. Nonobstant le détail de l'AO ? Oui, il suffit que son poids, son expérience, sa force de frappe, la multiplicité et la diversité de son offre fassent qu'il nous met 10 mètres dans la vue au départ. C'est donc le cas le plus simple mais, en même temps, le plus rare pour la bonne et simple raison qu'il faut une bonne dose de modestie pour reconnaître la supériorité d'un adversaire avant d'avoir couru la course et que la modestie n'est pas la chose la mieux partagée par les chefs d'entreprise. Sinon, ils auraient fait - choix presque totalement aléatoires et dépourvus de toute volonté de blesser - toiletteur de bichons maltais ou souffleur au théâtre.

Le cousin du starter, c'est le cas controversé des AO "pipés", comme les appelle Tristan Leteurtre, tout en reconnaissant qu'ils sont quasi inexistants dans les AO publics et pas du tout la règle dans les AO privés. Deux remarques à ce sujet : d'une part, on peut s'étonner que le non-respect de la règle émane davantage des acteurs privés qui la choisissent (aucune obligation d'AO pour les entreprises de statut privé), plutôt que du public à qui elle s'impose. D'autre part, ces fameuses parties biaisées - pas si fréquentes, rappelons-le -sont vraisemblablement le fait d'habitudes qui se prennent avec tel fournisseur plutôt que l'expression de connivences inavouables (la raison d'être originelle de l'appel d'offres). Une forme de paresse, en quelque sorte (nous reviendrons sur ce sujet dans un des articles de ce dossier).

Enfin, le cloche-pied - cette course à laquelle on ne participe pas parce qu'on n'a tout simplement pas la même façon de courir que celle imposée par le règlement : l'AO. Un exemple concret : Mooncard promet une gestion très efficiente des notes de frais par le fait qu'elle est à la source de la note de frais puisqu'elle propose la carte de paiement qui va régler votre repas, votre nuitée, votre trajet... Son CEO explique : "Par exemple, si, dans un appel d'offres, on réclame de la reconnaissance visuelle de caractères (OCR, pour les intimes, ndr) qui permet de gérer les notes de frais en les photographiant, on laisse tomber". Un exemple révélateur d'un vrai sujet de (mé)connaissance du marché par les émetteurs d'AO ou, peut-être plus encore, certainement plus encore, d'un manque de compétence à rédiger un AO (là encore, on aborde le sujet dans un futur article de ce dossier). Notons qu'entre le cousin du starter et le cloche-pied, il peut y avoir des accointances...

Photo finish

Pour conclure, laissons, une fois de plus, la parole à l'un des deux Tristan, celui de Mooncard : "Outre la distinction public / privé, il y a un autre axe fondamental qui différencie les appels d'offres : est-ce pour une fourniture basique - par exemple des ramettes de papier où le prix sera l'élément fondamental, ou une fourniture complexe ? Dans ce second cas, où mon entreprise s'inscrit, je peux être face à un appel d'offres d'Areva ou de n'importe quel autre grand compte, je n'y vais pas si je ne les ai pas rencontrés avant, car la phase d'éducation - réciproque, d'ailleurs - en amont de l'appel d'offres, est essentielle pour pouvoir espérer l'emporter. Si elle n'a pas eu lieu, c'est peine perdue."

Puis il ajoute : "Ou alors j'y vais pour me faire connaître, semer des graines. Ou alors, étant sûr de ne pas être choisi, j'y vais en cassant les prix pour faire ch... la concurrence". OK, finalement, y participer et y participer seulement, peut s'avérer gagnant. Un  dépassement de Coubertin, qui rend le titre de cet article nul et non avenu.

Les autres articles de ce dossier :

  • Une vidéo de Yann Le Goff pour poser les enjeux.
  • Les bonnes pratiques pour répondre à un appel d'offres, où l'expérience de Yann Le Goff, le redchef de DéplacementsPros et acheteur pour un groupe français dans une vie antérieure, sera mise à contribution. 
  • L'appel d'offres est-il un frein à l'innovation ? (à paraître)
  • Une interview croisée de deux dirigeants de cabinet nous permettront de conclure sur cet obscur objet du désir qu'est l'appel d'offres. (à paraître)