Appels d’offres (3/5) – Pour ne pas se ramasser à l’appel

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Appels d'offres (3/5) - Pour ne pas se ramasser à l'appel

On ne gagne pas à tous les coups, c'est une loi immuable, quel que soit le domaine. Mais certaines défaites sont vraiment évitables. D'après Yann Le Goff, ancien acheteur pour un groupe français, un grand nombre d'échecs ne sont pas dus à la qualité et à la pertinence intrinsèques de l'offre du répondant. En cause : un manque de méthode et de professionnalisation du processus de réponse.

Yann, tu as pu constater, en tant qu'acheteur et émetteur d'appels d'offres, des problèmes de méthode des répondants...

Beaucoup trop de vendeurs répondent de travers aux appels d’offres et se retrouvent hors-jeux dès les premières étapes de la sélection. C’est regrettable et navrant pour les deux parties. Il y a pourtant un certain nombre de règles simples à suivre qui permettent d'éviter les plus gros écueils…

Ce manque de méthode consiste notamment à présenter son offre comme dans un rendez-vous client classique, sans tenir compte d'un process pourtant hyper cadré...

Oui. La première chose à faire - et je peux t'assurer que ce n'est pas superflu de le rappeler - c'est d'apprendre les règles de la procédure d’appel d’offres avant de commencer à y prendre part. Ces règles, il faut les appliquer scrupuleusement sans chercher à les contourner. Autrement dit : combattre un phénomène naturel qui consiste à adapter la procédure en fonction de nos habitudes de présentation de notre offre, et donc accepter de s'éloigner de notre zone de confort. Il faut rester concentré sur la demande du client et non pas sur ce que votre entreprise peut proposer ! 

Si, en dépit de la volonté de se plier au process, il subsiste des doutes sur la façon de faire, peut-on demander des précisions ?

On ne s'adresse pas aux émetteurs d'appels d'offres durant la procédure, c'est une obligation légale dans le public et une pratique établie dans le privé. Mais les émetteurs ne s'adressent pas à des robots, ils le savent. En début de process, on peut poser un certain nombre de questions. Pas sur le process en lui même qu'on est censé maîtriser, mais sur le fond de l'AO et son évaluation. Ca peut même être interprété comme un signe d'engagement fort.

Par exemple...

Un exemple mais qui devrait être en réalité une permanence : demander quelle est la pondération des réponses aux questionnaires et si cette pondération n’est pas révélée, demander les ordres de priorité. Je m'adresse cette fois-ci aux acheteurs : ce système de pondération ou d'ordre de priorité n’est pas réservé aux marchés publics ! En posant cette question, non seulement vous pouvez orienter vos efforts sur les points clés, mais en plus cela prouve que vous avez parfaitement identifié l’importance des différents éléments de votre appel d’offres et que votre démarche est construite et réfléchie. Elle prouve votre volonté d’aboutir.

Ces questions qui sont posées en début de process sont essentielles, car l'acheteur, à ce stade du RFI (request for information) cherche à établir une short-list de postulants...

Oui : les questionnaires de qualification sont à prendre très au sérieux ! Alors, identifiez les questions clés. Le but des acheteurs, à ce stade, est d'éjecter des fournisseurs. Alors, ne pas hésiter à demander quels sont les critères éliminatoires et s'assurer de répondre à toutes les questions. Pour celles identifiées comme étant capitales, la seule réponse possible est l’affirmative. Pour les autres, il faut vérifier la tolérance aux potentiels écarts. Et, au final, ne pas investir de temps si un des critères éliminatoires est impacté...

On peut donc sélectionner en fonction de leur pondération, les réponses où mettre le paquet...

S'il y a un rapport de 1 à 5 entre la pondération de deux questions, on ne va pas se gêner ! Mais il faut bien sûr répondre à toutes les questions et justifier ses réponses en apportant un minimum de contenu. Attention, c'est une tendance de plus en plus fréquente, le répondant est amené à présenter des points qui lui paraissent anodins, mais qui sont en fait des critères clés pour certaines organisations. Ils peuvent toucher aux domaines de la politique de développement durable, de l'équité, des assurances, de la politique managériale... Mais aussi de l'expérience passée et des références de l'entreprise, voire une bio des dirigeants. Côté pratico-pratique, le mieux est de préparer une base de données comprenant les informations essentielles susceptibles d’être demandées, de copier les documents transmis et de stocker les originaux... Et respecter absolument les formats demandés - fichiers Excel en particulier, car l’acheteur croise les réponses et si le format de retour est différent…

On passe ensuite au "deuxième tour", la RFQ (request for information)...

La première chose à faire est de se renseigner sur les prérequis et les instructions particulières. La seconde est de les relire ! Quant à la troisième, elle consiste à demander à une autre personne de les lire à son tour ! Oui, je sais c’est lourd, mais crois-en mon expérience, trop de réponses sont considérées insuffisantes, car ce principe de base n’est pas respecté et que l’interprétation a fait son œuvre côté fournisseurs. De fait, un RFI/RFQ peut être compris dans un sens différent de celui initialement pensé par l’émetteur.

D'autant que ces échanges se font à l'écrit et que l'écriture est un exercice très particulier, pas forcément maîtrisé dans ses subtilités par les acheteurs comme par les répondants. Tristan Dessain-Gelinet, de la TMC Travel Planet, nous a confirmé que c'était un vrai enjeu. Il a même eu recours à des rédacteurs professionnels... Mais pour eux, le problème était alors la connaissance intime de son métier d'agent de voyage. Les réunions préparatoires qui ont parfois cours entre l'acheteur et les candidats sont un moment d'oralité qui peuvent pallier à cette difficulté...

D'abord, un élément capital : si des réunions préparatoires sont organisées, il faut y assister coûte que coûte. Comme tu le dis, c'est un moment ou la conversation directe peut permettre de préciser les choses, de poser des questions de reformulation ou de détail. Mais ces rendez-vous ne sont pas la panacée, ils comportent des pièges potentiels. D'abord, on est en présence de ses concurrents, c'est très particulier. Être actif et proactif dans ces conversations peut être un bon moyen de déstabiliser les adversaires, ou, au contraire, d'apparaître en retrait. A ces réunions, allez-y avec vos acteurs clés, mais n'y allez pas en armée ! Amenez des experts si et seulement si cela en vaut la peine. Veillez à ce que toute votre équipe soit clairement informée des enjeux et des règles de l’appel d’offres. Tout le monde doit parler le même langage. Votre temps de parole alloué devra impérativement être respecté même si ce dernier vous parait court. N’argumentez pas avec le leader et surtout n’interrompez pas vos propres intervenants, car c’est un signe de non-coordination. Bien entendu, ne faites pas de promesses inconsidérées. C’est de l’achat/vente, pas de la politique !

Au final, pour l'acheteur que tu étais, à quoi ressemble la réponse idéale à une RFI/RFQ ?

Les réponses convaincantes sont celles orientées client, celles qui disent clairement où est la force - capacité technique, mais aussi commerciale. Celles qui déterminent une valeur ajoutée quantifiable et donc mesurable. Celles qui apportent de l’innovation stabilisée, factuelle et réaliste. Et si, en plus, elles identifient des risques et y associent un plan d’action, on est au top ! Voilà pour le fond. Pour la forme, il faut que la présentation soit claire et précise, respecte les formats demandés. Petit truc : éviter les acronymes ou bien les définir clairement dans un glossaire car moi, acheteur je ne suis pas forcément familier du vocabulaire d'un métier ou d'un prestataire.

On espère que tes conseils seront utiles, mais rien ne vaut l'expérience pour apprendre. Peut-on demander un retour à l'issue d'un appel d'offres ?

Il FAUT toujours demander un débriefing, que vous ayez gagné ou perdu - le bon acheteur vous dira toujours oui, car il connait la fiabilité de son modèle de sélection. En cas d'échec, il faut avoir le réflexe de noter la période à laquelle aura lieu la prochaine consultation. Et ce retour dont il faut s'inspirer sera forcément un atout pour la prochaine échéance. 

Les autres articles de ce dossier :

  • Une vidéo de Yann Le Goff pour poser les enjeux.
  • Faut-it ou non répondre à l'appel ? That is the question.
  • Tristan Dessain-Gelinet, de Travel Planet, est l'intervenant principal de cet article où l'on se demande si l'AO n'est pas un frein à l'innovation dans le business travel. (à paraître)
  • Une interview croisée de deux dirigeants de cabinet nous permettront de conclure sur cet obscur objet du désir qu'est l'appel d'offres. (à paraître)