Les 12 événements qui ont changé le business travel (3/3) – Tech et Chine

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Aujourd'hui, la seule façon de voyager sans masque, sans test PCR et sans risque de quarantaine est de substituer l'espace au temps. On vous invite donc à périple chronologique dans l'histoire du voyage d'affaires. Fasten seat belt !

Sur cette frise chronologique qu'on vous propose*, des dates sont indiscutables; d'autres, par leur présence ou leur absence, feront débat - et tant mieux, la subjectivité est ici revendiquée ! D'autre part, si, parmi les événements répertoriés, certains sont clairement identifiables, d'autres relèvent du symbole, donnant corps à une tendance lourde irréductible à un événement particulier.

Pour cette troisième livraison de nos Douze événements qui ont changé le voyage d’affaires, deux faits saillants, qui peuvent apparaître contradictoires : l'émergence d'une intelligence artificielle qui se substitue à l'Homme et un souci écologique qui se recentre sur l'humain. 

Après "1 - Début du XXe siècle, Les prémisses du voyage d’affaires moderne", "2 - 1962, un événement qui va trancher : Sabre", "3 - Les Seventies, Naissance du business traveler moderne", "4 - 1978, Généralisation du GDS", "5 - 11 septembre 2001, ...", "6 - Début des 2000's, Le zéro commission”, "7 - Deuxième moitié des 2000's : le web, Toile de fond", "8 - 2009, On n'est pas plus smart mais on est plus phone", voici...

9 - Deuxième moitié des 2010's, le Data mining

Si leurs enfants utilisent très consciemment Minecraft, c'est souvent sans le savoir que leurs parents voyageurs d'affaires utilisent sans le savoir le Data mining. Ce terme générique englobe toute une famille d’outils facilitant l’exploration et l’analyse des données contenues au sein d’une base décisionnelle. Et ces données sont gigantesques, complexes, fines. La technologie du big data est donc la sœur jumelle du data mining . Puissance d’analyse, filtrage des informations propres à chaque utilisateur, anticipation de ses besoins : un assistant qui nous connaît mieux que notre propre mère, et parfois même que nous même, sous forme d'algorithmes ultrasophistiqués engendrant des solutions prédictives par la grâce de l'IA. S’informer, comparer, choisir, communiquer et décider où qu’on soit et dans n’importe quelle situation, c'est la promesse qui est faite. Tous les opérateurs digitaux du BT prennent conscience, depuis quelque 5 années, que leur succès futur passera par leur habileté à maîtriser ces tech et les terminaux mobiles qui leur sont associés. Le chantier est énorme et, considèrent certains analystes, ne donnera que son plein rendement avec le déploiement de la 5G.

10 - 2019, L'écologie ou le "moment Greta"

Elle est née en 2003. Elle n'avait donc que 15 ans, en 2018, quand elle organisa une "grève scolaire pour le climat" dans sa Suède natale, et un an de plus, quand elle prononça, devant les Nations Unies, ce discours débutant par ce vocatif culpabilisateur "How dare you?", son "I have a dream" à elle. Une carrière médiatique menée à la vitesse de la lumière, dont l'avenir dira si elle se fixera comme une étoile qui indique les directions ou comme une comète rapidement noyée dans le noir intersidéral. Mais peu importe : dans sa traînée, incluant le "smygflyga" - la "honte de voler", se cristallise un souci écologique qui s'avère tendance profonde de la société. Elle ne crée pas un mouvement, elle l'incarne. Et, bien sûr, il impacte profondément le BT, notamment pour les Millenials, qui seront très vite, demain, des dirigeants ou, à tout le moins, des décisionnaires. Une empreinte carbone par trop importante pour une entreprise peut être un repoussoir à jeunes talents, des voyages jugés inutiles seront rapidement estampillés "vieux monde", etc. Dès lors, sans que leurs convictions écologiques profondes soient certaines, les acteurs du BT répondent à cette aspiration à une vertu environnementale, qu'il s'agisse des entreprises dans leurs politiques voyage (PVE), des TMC ou de leurs partenaires en technologie dans les options green qu'elles offrent désormais de plus en plus fréquemment, et des fournisseurs qui se plient aux obligations légales qui s'épaississent ou les devancent. Par conviction, parfois, par souci marketing, plus sûrement, mais le résultat est le même : en 2034, vous mangerez peut-être votre steak de tofu de business class avec des couverts en bois.

11 - Crise Covid

Tout le monde l'a dit à chaque crise : on ne voyagerait plus jamais de la même façon après. Et finalement, rebelote. Demain, un vaccin ou un traitement efficace advient, est-ce que le monde du BT tournera sur le même axe qu'avant la crise "Covid" ? Possible mais peu probable, d'après nous. Conséquences certaines : le duty of care deviendra une donnée plus essentielle encore des PVE ; de là, on devrait voir apparaître des outils de plus en plus pointus dans ce domaine et un maintien des labels et autres certifications assurant de conditions sanitaires optimales pour telle compagnie aérienne ou tel hôtel ; les budgets tendus à moyen terme seront affectés aux voyages essentiels, ceux dont le retour sur investissement sera le plus évident, avec un chaine de validation plus longue. Conséquences très probables : pour la raison qu'on vient d'évoquer mais aussi parce que le confinement nous aura fait la démonstration de leur efficacité, le recours aux outils de télécommunication se substitueront à ces voyages considérés comme non essentiels (même quand l'amplitude financière des entreprises sera recouvrée) et, en partie, aux rendez-vous MICE, à l'occasion d'événements hybrides. Conséquences hypothétiques : les PVE s'affinant, il serait logique que les TMC jouent un rôle davantage stratégique mais cette promesse a tellement été faite sans être suivie d'effets véritables qu'on est en droit d'en douter ; les marchés du BT pourraient se restructurer fortement, notamment en ce qui concerne les TMC et le secteur hôtelier ; le transport aérien devrait connaître son lot de faillites ou de rachat aussi, et, s'il y a diminution durable des voyages (y compris dans le leisure), c'est le modèle économique des low cost, basé sur le volume, qui pourrait être remis en cause. Bref, oui, on fait le pari que cette crise-là, contrairement à la plupart de celles qui l'ont précédée, va changer le visage du business travel.

12 - Demain, la Chine et Google ?

Transport, hébergement, activités, rien n'échappe à la plateforme voyage que Google a lancée en janvier 2019. Mais en réalité, cette incursion est plus ancienne... Qui se souvient, en effet, du rachat du comparateur de prix de vols ITA Software, par le géant américain, en 2011 ? C'était certes relativement discret mais, même pour le seigneur de Mountain View, on ne dépense pas 700M$ sans avoir une sérieuse idée derrière la tête... Pour l'heure, Google Voyage se place avant tout sur le marché du tourisme. Mais pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Le business travel est forcément dans sa ligne de mire. Pour ceux qui en douteraient, rappelons ce qui fut écrit dans nos colonnes la semaine dernière : le déploiement d'une solution optimisant la personnalisation du voyage, fruit d'une collaboration entre le moteur de recherche-roi et Sabre. Cette étreinte à l'historique du BT est-il le baiser du tueur ?

A part quand on parle de musique pop (pour l'instant) ou de confit de canard (et encore), il est difficile de parler d'avenir sans évoquer la Chine... Et le BT est très loin de faire exception. L'Empire du Milieu est le terrain de développement de nombreux acteurs hôteliers internationaux majeurs. Mieux que ça : HNA et Jinjiang International sont, respectivement, dans le Top 10 et sur le podium des plus grands groupes hôteliers mondiaux. En termes de transport aérien, un marché domestique incomparable avec aucun autre (à l'exception de l'Inde, mais avec tellement de retard) soutient des compagnies nationales conséquemment bien armées pour se développer worldwide, nonobstant les soubresauts internationaux. Si on y ajoute des performances technologiques - incarnées par Huawei - remarquables, on peut se dire que demain, l'alpha et l'oméga du BT se composera peut-être d'idéogrammes... Mais le monde est incertain : soit la crise actuelle favorisera la Chine (qui en est à son deuxième trimestre de croissance consécutif, alors que l'Europe s'enfonce dans son deuxième confinement) ; soit un antagonisme commercial croissant entre ce pays et l'Occident impliquera un resserrement des deux camps, infligeant un coup d'arrêt au mouvement de mondialisation de l'économie, dont le Chine pourrait faire les frais.

(*) Cette liste a été établie avec l'aimable (et très enrichissant) concours de Charles Petruccelli, ex-dirigeant d'Amex GBT.