Honte de prendre l’avion : « l’effet Greta » sur le transport aérien

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Le suédois n’est peut-être pas la langue universelle du monde de l’aviation, mais interrogez n’importe quel dirigeant de compagnie aérienne sur le terme « flygskam » et il saura probablement ce qu’il signifie exactement.

Flygskam – qui signifie « honte de voler » en suédois – est un mouvement environnemental en pleine expansion qui met en évidence l’empreinte carbone du secteur aérien, en faisant pression sur les transporteurs pour qu’ils réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre tout en gérant le coût de la culpabilité des passagers. L’aviation commerciale est responsable d’environ 2 % des émissions mondiales de carbone, une part bien plus faible que celle des voitures dont les estimations varient entre 15 % et 20 %.

« On dirait qu’il y a eu un déclic« , explique, au site d’information Bloomberg, Seth Kaplan, expert en transport aérien. « Pendant un certain temps, il y a eu cette reconnaissance progressive de l’urgence du changement climatique, puis, depuis environ un an, tout cela a vraiment été mis sous les projecteurs, avec l’aide de Greta Thunberg.« 

Cette jeune militante suédoise, qui s’est rendue en voilier à un sommet sur le climat à New York pour éviter de prendre l’avion et les émissions qui en découlent, a attiré l’attention sur le rôle de l’aviation dans le réchauffement de la planète, avec des conséquences pour les compagnies de voyage.

Le PDG de SAS, l’un des plus grands transporteurs de Scandinavie, a attribué la baisse du nombre de passagers en Suède à la honte des vols. Le principal opérateur ferroviaire du pays, SJ, a déclaré avoir vendu 1,5 million de billets de plus en 2019 que l’année précédente, grâce à ce que l’on a appelé « l’effet Greta« . D’autres pays européens connaissent le même phénomène. L’Allemagne a enregistré une baisse similaire de ses vols intérieurs ainsi qu’une augmentation correspondante des voyages en train.

Pour lutter contre cette tendance, les compagnies aériennes se tournent vers les compensations carbone, où elles investissent dans des projets tels que des parcs éoliens et la plantation d’arbres pour compenser le dioxyde de carbone produit par les avions.

De telles mesures pourraient coûter des milliards aux compagnies aériennes, a déclaré Citigroup Inc. dans une note de recherche en octobre dernier. Le conglomérat bancaire prévoit que les vols en classe économique avec compensation carbone coûteront 3,8 milliards de dollars par an d’ici cinq ans.

Les transporteurs pourraient absorber cette dépense ou la répercuter sur les consommateurs par le biais d’un prix de billet plus élevé, mais les compagnies aériennes auront du mal à long terme si l’augmentation des coûts dissuade les voyageurs de prendre l’avion, a précisé Citigroup.

Si les compagnies aériennes assument elles-mêmes la facture, le coût de la compensation carbone de toute la consommation de loisirs pourrait atteindre 27 % des bénéfices des compagnies aériennes d’ici 2025, selon plusieurs experts. La compensation des voyages d’affaires (définis comme des sièges en classe affaires) coûtera 2,4 milliards de dollars supplémentaires, réduisant les bénéfices des compagnies aériennes de 17 % supplémentaires.

La Commission européenne, de son côté, a appelé à une Europe « climatiquement neutre » d’ici 2050 et les compagnies aériennes ont pris des mesures importantes pour répondre à cet appel. easyJet a annoncé en novembre qu’elle commencerait à compenser ses émissions immédiatement, une mesure qui, selon elle, fait d’elle la première grande compagnie aérienne à exploiter des vols sans émission de carbone.Il faut aussi citer British Airways qui a commencé à compenser tous les vols au Royaume-Uni depuis le 1er janvier 2020. Air France mène également une politique visant à réduire et compenser les émissions carbone de ses vols.

Pour y parvenir, les transporteurs se dotent d’avions moins « énergivores » et investissent massivement dans les biocarburants. Toutefois, la prolifération des transporteurs à bas prix et un secteur touristique solide entraînent une augmentation des émissions, même si les avions sont de plus en plus économes en carburant.

Une étude récente du Conseil international pour un transport propre a révélé que les émissions des avions augmentent jusqu’à 50 % plus vite que les prévisions des Nations unies, dont l’organe de l’aviation prévoit que la consommation de carburant des avions fera plus que doubler d’ici 2045.

Aujourd’hui, afin de réduire l’empreinte carbone de leurs vols, les compagnies plantent des arbres comme si elle demandait pardon pour les « péchés climatiques » qu’elles commettent. De plus, il n’y a pas assez de plantations d’arbres dans le monde pour vraiment compenser l’impact des émissions.

En axant toute la stratégie environnementale des compagnies aériennes sur la compensation carbone au détriment de la question de la dépendance aux combustibles fossiles, on a réussi à transformer les effets en cause. Greta va pouvoir, pendant pas mal d’années encore, culpabiliser tous ceux qui prennent l’avion sans que, pour autant, un autre modèle de transport aérien acceptable d’un point de vue environnemental ne soit proposé.