L’aérien fait-il face à l’une de ses plus grosses crises sociales en Europe ?

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Mais que se passe-t-il au sein des aéroports et compagnies aériennes ? Scènes de chaos, grèves à répétition, suppressions de vols… Le secteur de l’aérien semble être touché par une crise sociale bien plus profonde que ce qu’elle laisse à penser. 

En mai dernier des dizaines d’images de l’aéroport d’Amsterdam Schiphol font le tour des réseaux sociaux. On peut alors y voir des files d’attente interminables, des bagagistes totalement dépassés par la situation et KLM avait fini par annuler de manière préventive plusieurs vols. Un chaos dû à un manque de personnel qui a impacté toute la chaîne du parcours voyageur. Chez Lufthansa et Eurowings, plus de 1 000 vols ont été annulés en juillet, faute de personnel dans les aéroports européens. Même son de cloche pour easyJet, qui a décidé de réduire sa capacité de vols cet été face à des « difficultés opérationnelles ».

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Du jamais vu, alors que les passagers n’ont jamais été aussi nombreux après deux ans de pandémie. Mais justement, là est peut-être une partie du problème. Les aéroports et les compagnies aériennes étaient-ils prêts pour la « reprise » ? Bien qu’attendue, il semblerait que non. Selon Laurent Timsit, délégué général de la FNAM, le point de départ est l’extrême fragilité du secteur au niveau économique après deux ans de crise sanitaire. Et qui dit crise, dit perte de trafic, dit perte de recettes, dit économies de coûts et donc, restructuration. « Il faut avoir en tête qu’il y a eu une grosse vague de départs et de licenciements entre mars 2020 et mars 2022. S’est ajoutée à la crise sanitaire, l’invasion de l’Ukraine par la Russie et toutes les interrogations autour de l’impact sur le trafic aérien en Europe ». Le secteur semble donc avoir eu du mal à anticiper la demande additionnelle très forte à travers une conjoncture sanitaire et géopolitique complexe. « Il a fallu remettre la machine en route avec des délais incompressibles et aujourd’hui on se retrouve face à une situation tendue », concède Laurent Timsit.

Envoyez votre CV, on peine à recruter 

 Chez easyJet, les pilotes ont récemment tiré la sonnette d’alarme en pointant du doigt des équipes en sous-effectif, « essentiellement chez les hôtesses et stewards et un peu chez les commandants de bord ». Face à cette situation, la direction a pris la décision de réduire ses capacités pour le troisième et quatrième trimestre à 87% et 90% des niveaux de 2019. Mais la problématique vient-elle d’un manque de main d’œuvre et de candidatures ou de moyens ? Probablement les deux. Tout comme le secteur de l’Hôtellerie-Restauration, les métiers de l’Aérien ne semblent plus faire rêver grand monde, notamment les techniciens : « Les horaires sont souvent décalés, les infrastructures loin des centres-villes et les salaires pas toujours attractifs », explique le délégué général de la FNAM. Seulement voilà, pour Olivier Rigazio, porte-parole du SNPL, le bon fonctionnement du transport aérien dépend de nombreux corps de métiers. Si un maillon est défaillant, toute la chaîne s’en trouve impactée.

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Du côté des pilotes en revanche, le métier fait toujours rêver mais l’ambiance à bord pourrait en rebuter certains : « Etant donné qu’il y a un turnover important chez les bagagistes ou les agents de sûreté, par exemple, et que le personnel n’est pas toujours qualifié ou bien formé, il faut qu’on vérifie régulièrement que tout est OK avant de décoller pour des questions de sécurité. On se retrouve donc à devoir vérifier le travail des autres et à gérer le mécontentement des passagers à cause des retards que ça engendre. Il y a rarement eu autant d’incivilités envers le personnel que depuis ces derniers mois », déplore-t-il. Qui plus est, si ce ne sont pas les pilotes qui manquent, ces derniers ont l’habitude de se faire recruter par les compagnies en hiver pour une prise de poste en été et inversement, le temps de se former. « Cette année c’était compliqué pour les compagnies d’anticiper ou de prévoir l’état du trafic. Résultat : certains pilotes sont encore en formation et ne peuvent pas encore exercer. Il y a une inertie importante avec un temps de latence entre le retour des pilotes et celui des voyageurs ».

Le traumatisme économique de 2020

En parallèle, les compagnies aériennes et les aéroports font encore preuve de prudence avant de mettre la main au portefeuille, traumatisés par des pertes astronomiques ces deux dernières années. « C’est compliqué de demander à des entreprises de faire des efforts financiers alors qu’elles ont énormément souffert. Les employés ont souffert également et cela exacerbe la tension sociale », déclare Laurent Timsit. Mais pour le porte-parole du SNPL, la perte de recettes n’est pas la seule et unique réponse : « Les compagnies aériennes jouent depuis plusieurs années en proposant des tarifs toujours plus bas. Forcément… au bout d’un moment cela va avoir un impact sur les employés. Nous avons d’ailleurs récemment soumis l’idée d’imposer un tarif minimal ».

La France mieux lotie que ses voisins 

Si l’été s’annonce « chaud », la situation n’est pas et ne sera pas la même partout. « L’image de chaos absolu qui touche tout le monde n’est pas la réalité. Certaines compagnies aériennes sont plus touchées que d’autres. Cela dépend des pays et des aéroports », explique Laurent Timsit. Pourquoi une telle hétérogénéité à travers l’Europe ? En raison d’une politique sociale différente selon les pays. « En UK par exemple, le système social est beaucoup moins protecteur qu’en France. Le secteur a licencié bien plus de personnes au début de la crise et aujourd’hui c’est compliqué de repartir », ajoute Olivier Rigazio. Pour le général délégué de la FNAM il y a effectivement une grande disparité au niveau des politiques sociales : « En France, nous sommes mieux préparés car une majorité des emplois a été maintenue grâce aux aides allouées par l’Etat et la mise en place du chômage partiel ». Une question de culture sociale donc, qui semble être également différente selon les compagnies aériennes. Air France déclare par exemple avoir anticipé le recrutement de 300 pilotes, 200 mécaniciens ou bien 200 agents de passage dans les aéroports parisiens ces derniers mois. Chez Ryanair, plusieurs syndicats appellent à trouver un accord rapide avec la direction pour garantir des « conditions de travail décentes pour l’ensemble des salariés» face à une pénurie de personnel qui ne fait que s’aggraver.

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Mais comment réussir à sortir de cette crise et revenir à une situation apaisée ? Si l’arrivée de la saison hivernale va marquer un ralentissement du trafic, il faudra faire attention à ce que cette crise sociale ne s’enlise pas. Une restructuration des équipes et une valorisation de certains métiers semblent désormais inévitables pour attirer des profils qualifiés et compétents. Avec des prévisions pour la fin de l’année revues à la hausse et un retour à la normale annoncé entre 2023 et 2024, les acteurs du secteur devront faire preuve d’anticipation et de pragmatisme…à condition qu’un évènement mondial majeur ne vienne pas tout faire valser.