L’adresse aux Français du 16 mars 2020 d’Emmanuel Macron fait date car elle nous fait basculer dans une autre réalité. Nous avons demandé d’évoquer ce souvenir à 12 acteurs du tourisme et du voyage d’affaires. Quand professionnalisme et émotion se rejoignent…
 
Attentats du 11 septembre 2001, finale de la Coupe du monde 1998, retransmission télévisée des premiers pas sur la Lune… Tragiques ou heureux, il est des événements qui impriment notre mémoire collective de façon si prégnante que chacun d’entre nous peut se souvenir avec précision des circonstances dans lesquelles il en a été témoin.
 
Qu’en sera-t-il de ce 16 mars 2020, où Emmanuel Macron annonce les mesures les plus drastiques de la lutte contre le Covid-19 ? Pour les acteurs du tourisme et du voyages d’affaires, leur stupeur de citoyen s’est doublée d’une prise de conscience brutale que leur activité allait être stoppée net.
 
Nous avons recueilli le témoignage de onze de ces acteurs. Pour chacun d’entre eux, l’intime se mêle au professionnel, l’action lutte contre la sidération, l’émotion le joue à la réflexion. 12 acteurs, 12 souvenirs, 12 témoignages* authentiques qui sont autant de petits cailloux voués à la construction de notre mémoire commune…
 
« Nos plans A, B, C et D étaient tombés à l’eau »
Eric Didier, Regional Manager Western Europe & Americas chez Air Astana
 
Eric Didier, le 12 mars 2020, du Kazakhstan à Paris, via Dehli et Francfort.
« La dernière semaine du monde d’avant a été, pour moi, riches en événements. 
Le 10 mars, j’embarquais de CDG pour rejoindre le siège d’Air Astana à Almaty, au Kazakhstan, pour participer à une réunion au sommet afin d’établir la stratégie à adopter dans une période difficile, où les frontières fermaient les unes après les autres. 
Le 11, le meeting s’est tenu en présence de toute la direction commerciale et de notre président. Après une journée de travail intense, nous sommes ressortis heureux d’avoir établis une stratégie de maintien de l’activité : on avait raisonné en termes de sous-hubs pour alimenter Almaty et Astana, en réfléchissant à des plans A, B, C, D en fonction des scénarios.
Quelques heures de sommeil plus tard, me voilà prêt à reprendre mon vol depuis Almaty pour rentrer sur Paris le 12 au matin. A ce moment-là, les compagnies commencent à réguler leurs vols : le mien est annulé. J’ai dû passer par Delhi puis Francfort pour rejoindre Paris en fin de journée du 12. 
Le 13, je prenais la route pour la Touraine avec ma femme et des amis pour passer un weekend festif. Le samedi 14 au soir, on est au restaurant, j’ai un push sur mon smartphone : alors qu’Emmanuel Macron avait déjà annoncé la fermeture des établissements scolaires le 12, voilà qu’Edouard Philippe annonce, deux jours plus tard, celle des restaurants le jour même à minuit… Ce dont j’informe d’ailleurs la propriétaire de celui où on se trouve. Là, on comprend que tout s’enchaine très vite. Nous sommes tous surpris et choqués par cette annonce. On a bu un verre tous ensemble pour noyer notre inquiétude et notre anxiété face à l’inconnu. Enfin, l’inconnu… On a vite compris qu’un confinement hard serait bientôt annoncé.
Le reste du week-end fut un mélange de questionnements, de discussions et de bienveillance entre amis. En tout cas, je le savais déjà : nos plans A, B, C et D étaient tous à l’eau… Le lundi, retour au bureau, point avec les équipes et retour à la maison pour… une année de confinement. »

« Le 16 mars 2020, on est sûr que le Festival de Cannes sera maintenu ! »

Didier Boidin, directeur du Palais des Festivals de Cannes
 
« Ce n’est pas forcément la date du 16 mars 2020 qui m’a marqué, je vous explique pourquoi. Le 20 février, je suis à Rome pour un séminaire réunissant les gestionnaires des plus gros sites et les organisateurs des plus gros événements internationaux. Il y a des gens du monde entier, y compris des Asiatiques – dont un confrère chinois qui me dit « Je ne retourne pas chez moi, je ne veux pas subir de quarantaine ». Et là, pendant deux jours, alors que pour moi c’était très lointain, on ne parle que de ça. Je suis revenu complètement sonné et j’ai très vite réuni mes équipes en cellule de crise pour leur dire : On va se prendre ce machin-là en pleine…, écrivez « figure » pour l’article. Finalement, du coup, quand les mesures sont annoncées, on y est préparé…
Mais surtout, il y a une autre donnée – qui va vous sembler incroyable aujourd’hui, c’est que notre priorité est que le Festival du Film qui est prévu pour le 12 mai se tienne… Et on est sûr que ce sera le cas ! Un an après, vous voyez où nous en sommes : le Festival du Film – non pas de 2020, mais 2021 – se tiendra en juillet, et dans des conditions qu’on ne connaît toujours pas. En fait, c’est quand on a pris conscience que cet événement qui n’a été annulé que durant la Seconde guerre mondiale, dont les retombées pour Cannes s’élèvent à 50 ou 60M€, qu’on s’est pris le vrai coup de bambou, trois ou quatre semaines avant l’événement. Donc le vrai traumatisme, pour moi, je ne se situe pas à la mi-mars mais plutôt un mois plus tard… 

« Le confinement, c’est mon congé maternité, mon groupe en mode « urgence »… et mon Covid »

Solenn Ojea-Devys, DG adjointe du groupe Okko Hotels

« Ce 16 mars, l’annonce du confinement coïncidait avec le début de mon congé maternité. Moi qui avais tout prévu pour profiter de ce moment particulier, m’octroyer une vraie coupure, je n’ai même pas eu l’occasion de dire au revoir à mon équipe ! Il a fallu être sur le pont, passer ma journée en call à tenter de prendre des décisions, sans aucune visibilité.

Nous choisissons avec mon conjoint de rester à Paris, pour la continuité du suivi médical et pour rester proches de nos bureaux respectifs, au cas où. Au sein du comité de direction d’Okko, chacun avance avec une combativité incroyable. Les choix qui concernent l’humain font consensus : nous invitons immédiatement les collaborateurs du siège à se choisir un lieu de confinement où ils se sentent bien, on se débrouillera pour organiser le travail autrement. Puis vient la décision de fermer nos établissements, c’est un dilemme, mais la santé des équipes reste prioritaire.
Nous nous battons face à notre propre effarement. Contre l’impression douloureuse que le travail accompli depuis dix ans est en train d’être balayé en quelques semaines. Je pense souvent à mon père avec qui nous avons créé le groupe, à toute l’énergie et la passion qu’il y a investies. Le poème de Kipling me vient régulièrement : « Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie… ».
Nous nous lançons dans la course à l’argent, au temps, aux infos, à l’énergie, au sens aussi. Les semaines passent et je ressens l’épuisement de la fin de la grossesse, puis la perte du goût et de l’odorat, le Covid vient s’inviter dans notre confinement ! Pas question de lâcher, je serai sur le pont jusqu’à une semaine avant l’accouchement.
Parce que dans ce moment où je ressens notre impuissance, j’ai besoin de me sentir utile, je me bats aux côtés de l’équipe pour maintenir la boîte à flots. Je garde le sourire, rien ne me volera la joie de la naissance à venir.Aujourd’hui, je réalise à quel point nous avons été naïfs quant à la durée de la crise. Mais aurions-nous seulement tenu si on nous avait annoncé d’emblée le montant de l’addition ? Mais de cette période d’une grande violence, je veux retenir les belles choses : la capacité incroyable de notre équipe à s’adapter, à maintenir le lien, à profiter de la parenthèse du confinement pour se remettre en question et innover, l’engagement des équipes sur le terrain, la solidarité de l’Okko Gare de l’Est qui a accueilli gratuitement des soignants, l’entraide plus que jamais essentielle entre professionnels du secteur.
Et bien sûr la naissance de mon fils, et de ma nièce à 24 heures d’intervalle, comme un incroyable pied-de-nez à cette époque folle. »
 
« Tous ces sentiments dévastateurs pour moi »
Jean-Pierre Lorente, PDG de Bleu Voyages
 
Le confinement laisse du temps : Jean-Pierre Lorente à la batterie.

« Je me souviens parfaitement de cette annonce du confinement imminent. Il a fallu, en quelques minutes, décrypter ce que pouvait bien signifier ce terme « confinement général ». Un mot aujourd’hui entré dans le langage commun mais il y a 1 an… C’est quoi au juste, pour qui, comment, dans quelles conditions ? Ensuite, ces motifs impérieux… C’est quoi ?
Après la stupeur de l’annonce , je pense immédiatement à mon entreprise, aux mesures à prendre en urgence pour respecter les dates de confinement et ne pas risquer une rupture de service, ce fameux PCA : plan de continuité de service – généralement un document abscons conçu par les équipes IT dont on ne fait jamais usage, mais cela rassure.
C’est d’ailleurs ce qui c’est passé, dans un vent de panique plutôt organisée, et dans un élan formidable de solidarité entre tous les services, les installations de PC et autres outils de gestion ont trouvé rapidement leur place en état de fonctionnement, à ma grande surprise, et prêts à assurer – ne l’oublions pas ! – les rapatriements : à cette période, des centaines de nos clients sont en vacances au quatre coins du monde, tout comme notre clientèle affaires.
Après la pluie, ou plutôt la tempête, le beau temps. Je me souviens de ce printemps 2020 qui ressemblait déjà à l’été, un temps de d’insouciance, de retrouvailles avec les enfants de retour à la maison pour profiter de l’espace, la piscine, la pétanque, les jeux de sociétés et les apéros midi et soir avec prise de poids en proportion…Tout ce temps dans une temporalité irréelle comme dans un rêve, ou un cauchemar, pour certains.
A vrai dire je me suis accommodé assez aisément de cette nouvelle vie que je croyais une parenthèse très courte, avant un retour à la normale rapide, à la sortie de l’été.
Je me suis trompé : à la rentrée, les perspectives sont sombres et notre métier, durement menacé. Puis est venu le temps des décisions difficiles à prendre que je n’aurais jamais imaginées, ni feu mon père, François, emporté par la Covid.
Tous ces évènements et sentiments entremêlés – crainte, anxiété, espoirs – furent psychologiquement dévastateurs pour moi, et sûrement pour mes collaborateurs. J’ai pu accomplir cette gigantesque opération « survie » grâce à eux. Seul, la tâche aurait été insurmontable.
Et puis aujourd’hui, nous avons relevé le défi : nous réinventer, créer de nouveaux services, de nouvelles marques, de nouveaux produits, trouver une forme de renouveau avec l’arrivée de nouveaux collaborateurs… Comme je disais : après la tempête, le beau temps. »
 
« Cette gravité… qui tranche avec la joie de mes enfants »
Thadée Nawrocki, DG France & Luxembourg Lufthansa
 
« Ce fameux Covid ponctuait déjà nos rapports de ventes et nos présentations power point depuis quelques semaines déjà… Comme une lente descente vers l’inimaginable… D’abord la réduction de nos opérations vers la Chine, la fermeture des frontières US et cette rapide propagation du virus en Europe et le vert des bons résultats des mois de janvier et février 2020 qui vire petit à petit au rouge… Et puis, la valse des scenarios : quel niveau de réduction de programme pour supporter la baisse de la demande ? Nous étions loin d’imaginer à ce stade l’ampleur du trou d’air que notre industrie allait traverser.
Et enfin, l’annonce du Président Macron d’un confinement généralisé. Gravité de la situation qui tranche étrangement avec l’effusion de joie de mes enfants comprenant que les écoles allaient fermer ! Impossible de ne pas penser, à ce moment précis, à toutes les crises que nous avons traversées dans le passé : 11 septembre, volcan Islandais, attentats, crises financières… et maintenant une pandémie ! Et puis, comme à chaque coup dur, la formidable énergie des équipes pour se battre et reconstruire notre outil de travail ! Henri Ford avait tellement raison : Lorsque tout semble aller contre vous, souvenez-vous que les avions décollent toujours face au vent.« 
 
 
« D’abord, un sprint, ensuite, un marathon »
Fabrice Pernoncini, CEO Gekko
 
« Plusieurs semaines avant la première allocution, la 12 mars, d’Emmanuel Macron j’étais très vigilant aux annonces possibles du gouvernement sans pour autant réussir à imaginer le pire. Mon esprit était comme beaucoup d’entre nous bloqué et je ne pouvais pas prendre conscience de cette crise avant de le vivre en réel.
Ce jeudi soir-là, nous étions au ski en famille et nous avons allumé la télévision l’esprit bien trop léger maintenant que je connais la suite de l’histoire… Je me souviens du plaisir que nous avons pris à skier le vendredi en comprenant qu’il s’agissait de l’avant dernier jour de la saison, sans pour autant imaginer un seul instant qu’il puisse s’agir de l’avant dernier jour avant au moins 2 ans… Sans compter la compassion que nous avons ressentie samedi soir sur la route en croisant les véhicules qui montaient en station et toutes ces familles et ces passionnés qui avaient compris quelques heures plus tôt qu’ils arrivaient trop tard.
J’ai vécu ces quelques jours avant la mise en confinement comme une préparation à l’arrivée d’un cyclone. Dès le 16 mars, les vies de Gekko et de nos clients ont basculé. Nous sommes entrés dans une période inédite, imprévisible avec des impacts immenses pour notre industrie. A ce moment-là, dans cette réaction à l’urgence, nous ressentons une adrénaline incroyable.
C’est un sprint qui s’engage : organisation du télétravail, de la continuité de service, assistance à nos clients, établissement des scénarios budgétaires « best, base, worst cases »… De cette période, je garde l’idée de solidarité – quand, avec Accor, nous avons créée de toute pièce une plateforme de réservation en ligne pour les personnes démunies ou en détresse, bien sûr. Mais aussi en interne : des apéritifs Zoom, des ateliers virtuels et une newsletter bimensuelle qui racontait le quotidien confiné de chacun d’entre nous. Créativité, bienveillance, entraide… Paradoxalement, cette période nous a permis de mieux nous connaître car cette situation imposait le mélange entre la vie privée et la vie professionnelle. Après une telle expérience vous savez parfaitement quels sont vos collaborateurs qui ont des enfants en bas âge !
Arrive la deuxième phase de cette crise, un peu après l’été : nous comprenons que nous qu’on s’inscrit dans un cycle plus durable et plus sévère.Nous n’étions plus dans un « sprint », il était désormais impératif de préparer Gekko à affronter un véritable « marathon ».
Notre stratégie s’est alors construite autour de deux axes. Un axe défensif : protéger le groupe, nos activités et notre organisation en réalisant un maximum d’économies par la mise en place d’un modèle asset light.  Un axe offensif en maintenant nos investissements dans des développements technologiques pour préparer l’après-crise.
Un an après, nous disposons d’un groupe Gekko plus agile sur le plan commercial et financier, prêt à prendre des positions clés sur ses différents segments, riche d’un nombre inédit de projets, de synergies et d’opportunités de business. Et enfin : un groupe Gekko plus soudé sur le plan humain, ce qui crée une émulation incroyable… Et ça fait du bien ! »
 
« Fermer le Salon de l’agriculture dès le lendemain »

Laurent Chiron, Directeur Exécutif, Division commerciale et marketing Viparis

« Dans notre monde, celui des grands salons, congrès et évènements d’entreprise, le choc est arrivé 15 jours avant le 16 mars. C’était l’après-midi, je m’en rappellerai toute ma vie, avant dernier jour du Salon de l’agriculture et – pour rendre la chose un peu plus exceptionnelle – un 29 février. J’étais le membre du comité de direction d’astreinte ce week-end-là.
J’ai reçu un appel et me suis rendu à la Porte de Versailles : le Salon de l’agriculture était contraint de fermer un jour plus tôt que prévu. La décision est tombée à l’issue d’un conseil de Défense et d’un conseil des ministres exceptionnels organisés le matin même, la foule était pourtant dense samedi matin-là : près de 100.000 visiteurs. Et tout de suite, l’annonce de l’interdiction des rassemblements de plus de 5.000 personnes.
Je vous passe les nombreuses réunions avec l’organisateur du salon pour anticiper le démontage et la fermeture d’un salon de cette taille un jour plus tôt que prévu et dès le lendemain.
Le dimanche matin, j’ai réuni mes équipes pour une réunion de crise toujours à la Porte de Versailles. Le hasard fait parfois bien les choses : l’équipe de direction de VIPARIS avait été formé à la gestion de crise un mois auparavant.  Nous avons appelé tous les clients qui avaient des évènements prévus sur nos 10 sites parisiens, dans les semaines qui suivaient, et avons passé la journée à trouver des solutions de report pour tous ceux qui le voulaient, sur avril etmai. On ne savait pas encore que le confinement allait durer jusqu’au 11 mai, et que les rassemblements resteraient interdits jusqu’au 1er septembre…
Je retiendrai de ce moment une grande mobilisation et une grande solidarité : presque tous acceptaient de changer de date, changer de hall, se déplacer pour permettre à un autre évènement de tenter d’avoir lieu.La suite,  une succession de déconvenues, au moins 50 scénarios de planning différents ont été imaginés, ceux qui reportent, ceux qui annulent, les effets sur les calendriers européens…
Au départ, personne ne croyait à un durée aussi longue. Fin juillet, il nous avait même été annoncé un redémarrage début septembre sans aucune limite de jauge…Aujourd’hui, la situation est très dure : un nombre inimaginable de manifestation annulées sans date de reprise annoncée. Une année catastrophique  pour toute la filière, avec un espoir en vue, la campagne de vaccination en France, en Europe et dans le monde, pour une reprise progressive à partir de mai sur les évènements nationaux et un retour des visiteurs et exposants internationaux à partir de septembre.
Mais la vraie reprise, le rebond, le retour à un monde où l’on se retrouve sans inquiétude, où les évènements nationaux et internationaux feront de nouveau le plein, c’est, désormais à partir de 2022 au mieux. »

« Le champagne est toujours au frais ! »

Sandrine de Saint-Sauveur, CEO de APG

Sandrine de Saint-Sauveur, le 16 mars 2020, sur les Champs-Elysées, au sortir de son bureau. Le confinement est pour le lendemain, une de ses collaboratrices la prend en photo

« Je suis à Paris car ce jour-là, dans nos bureaux les Champs-Elysées, avec des collaborateurs. On savait que le confinement serait annoncé le soir. On venait de commencer un chantier de rénovation de nos locaux et je me disais : au moins, le casse-tête de la place réduite durant les travaux est réglé !
Notre service informatique s’active , nous devons avoir tous les ordinateurs opérationnels en VPN avant de quitter le bureau. Le help desk est submergé d’appels depuis la matinée : l’affichage des appels en attente part en sucette : ce ne sont que des « XXX ».
La superviseure est désespérée; je lui dis « Prends une photo, c’est un collector ! »
Je m’adresse à tous les collaborateurs vers midi, il faut rassurer. Je finis par ces mots :
« Mes amis nous voyons la vague arriver. La plus grosse vague au monde est à Nazaré au
Portugal. Et seuls les très bons arrivent à la surfer.
Elle est dangereuse violente imprévue, elle fait peur. Mais les meilleurs surfeurs s’entrainent des mois pour cela, ils sont agiles, flexibles et contrôlent leur peur pour la surfer avec puissance, concentration, détermination, fluidité et humilité. Ils y parviennent en travaillant en équipe (…) APG va surfer cette vague. Nous allons la surfer ensemble. »
Et je conclus par : « Et n’oubliez pas que le champagne est toujours au frais ! » Alors on a ouvert les bouteilles !
Tout le monde est parti avec son PC sous le bras en fin de journée. Je suis concentrée : par la porte ou par la fenêtre on va y arriver. Le plus dur ? Avoir en permanence les gens qui me demandent « Alors à ton avis ? » JE N’EN SAIS RIEN !!!
Je n’aurais jamais pensé que ça dure aussi longtemps… Un an après nous sommes toujours là, personne n’a été licencié, on a planté toute l’année
pour récolter les fruits. On a perdu beaucoup d’argent mais j’ai un côté fourmi enfoui en moi.. ça sauve parfois.
Nous avons continué d’investir dans notre plateforme de distribution, curieusement nous
avons signé des contrats dès le mois de juin. Notre réseau mondial a tenu : ils me manquent tous. Je voudrais les serrer dans mes bras. »

« A La Réunion, un call « viril » avec Jean-Baptiste Lemoyne… et moi qui redoute qu’il entende le bruit des vagues »

Jean-Pierre Mas, président des Entreprises du Voyage
 
« A la suite d’une rencontre avec les adhérents d’EdV à La Réunion, je m’étais octroyé une petite évasion au paradis, à l’Ile Maurice. C’est là que je suis lors de l’annonce présidentielle. J’avais pris la mesure de la gravité de la situation et je passais mes journées en télétravail pour préparer l’ordonnance du 25 mars. On n’avait pas encore pris le pli des visio… Le point positif : l’océan indien. Le point négatif : ça irritait mon camarade Jean-François Rial, coincé à Paris !
J’ai le souvenir d’un échange téléphonique assez « viril » avec Jean-Baptiste Lemoyne (ça s’est vite arrangé) mais je redoutais qu’il entende le bruit des vagues !

Je crois que la distance, le fait de n’être pas directement dans le tambour du lave-linge, a été pour quelque chose dans l’efficacité de notre action. Je n’aurais pas imaginé un instant que ça dure un an (et plus). Et que notre industrie sortirait à ce point essorée de la crise. »

« Des changements structurels »

Manuel Brachet, Vice President Monde, Egencia
 
Ce 16 mars 2020, ma première question a été : combien de temps ?. Et après le choc, des questions sur le plus long terme : la pandémie entraînerait-elle un changement de nos modes de vie et de nos comportements pendant un moment, ou les changements seraient-ils structurels ? 
L’urgence a alors été d’aider les milliers de voyageurs d’affaires touchés par les annulations de vol et la fermeture des frontières. Au cours de cette période, nous avons constaté une augmentation significative de l’utilisation de nos services Duty of Care.
Et très rapidement, des clients de toutes tailles ont également commencé à demander de nouvelles caractéristiques et fonctionnalités : des outils de retour en arrière de 30 jours dans le suivi des voyageurs, un accès immédiat à une série d’alertes et de conseils de voyage – tels que les changements dans les restrictions de voyage COVID et les politiques d’autoquarantaine, etc.
Nous savons maintenant que tous ces changements seront bel et bien structurels. »
 
« Un révélateur de notre mentalité »

Valérie Golléty, Regional Manager GBTA France

Valérie Golléty, sans masque ou presque.

« L’annonce du 16 mars c’est avant tout, pour moi l’exil de mes enfants étudiants, déjà dans les starting-blocks depuis que la rumeur du confinement courait. Depuis, la pratique du travail nomade les démange, comme beaucoup de professionnels qui exercent désormais leur activité hors de tout bureau traditionnel.
Confinés heureux ou malheureux, résignés ou révoltés, critiques ou préférant sourire de la situation : cette période aura révélé notre mentalité aussi. Mais c’est vrai que face à cet isolement forcé, l’absence de vie sociale et ce nouveau statut de télétravailleurs, cuisiniers à plein temps, parachutés prof et gardes d’enfants, hypnotisés par zoom et happés par les sirènes de Netflix, on hésité entre l’amusement et la consternation…
Un an après… Qui aurait prédit que cette période de Covid s’éterniserait autant ? Pour ma part, elle laisse place à plusieurs sentiments : la gratitude à l’égard du personnel hospitalier; l’exaspération à l’endroit des pessimistes qui exagèrent leur malheur, dramatisent leur privation de liberté; la compassion pour ceux qui ont perdu des proches et ceux qui souffrent psychologiquement et professionnellement. Et à ce titre, bien sûr, je pense particulièrement aux professionnels du voyage et de l’événementiel qui forment notre communauté… Il nous faut maintenant nous tourner vers un avenir plus joyeux où nous pourrons à nouveau librement voyager et nous réunir. »

« Un espoir de retour rapide à la normalité. Il n’en était rien » 

Jean-Pierre Sauvage, président du BAR France

« J’ai connu au cours de ma longue carrière beaucoup d’événements dramatiques qui ont affecté l’activité du transport aérien  t de toutes les autres composantes de son écosystème mais l’annonce brutale du confinement m’a fait prendre conscience que nous allions là affronter de monstrueuses turbulences dont certains acteurs risquaient de ne pas se relever.

Le 16 mars, la Covid avait déjà engendré d’innombrables cortèges funèbres sur toute la planète. Et le monde aéronautique ressentait alors une grande inquiétude du futur immédiat avec les conséquences mesurables des effets de la pandémie grandissante  mais loin peut-être de s’imaginer que nous étions partis pour un cauchemar de longue durée dans lequel nous sommes toujours plongés malgré quelques petites lueurs qui semblent clignoter.

Mais à ce moment-là en particulier, il y a un an, j’ai pensé avec beaucoup de tristesse à toutes ces victimes impuissantes devant ce mal et, aussi, à toutes ces personnes de notre environnement industriel qui, du jour au lendemain, allaient se voir priver d’exercer leur métier pour un temps inconnu avec, malgré tout, l’espoir – c’est le propre de la nature humaine – d’un retour rapide à une certaine normalité. Nous avons constaté hélas qu’il n’en était rien. »

(*) Ces témoignages, ils étaient si riches, si empreints d’énergie et de sincérité, que nous avons dû un peu les raccourcir, dans un objectif de confort de lecture.